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Le comportement asymptotique des observables de diagrammes ayant été précisé, nous sommes finalement prêts pour démontrer :

Théorème 8.5 (Loi des grands nombres pour la q-mesure de Plancherel, [FM10]). Soit q un paramètre réel positif strictement inférieur à1, et λ = (λ1 > λ2 > · · · ) un diagramme de Young de

taille n tiré aléatoirement sous la q-mesure de Plancherel Mn,q. Pour tout i >1,

λi

nMn,q (1−q)qi−1.

On peut donner deux preuves distinctes de ce résultat : l’une est tout à fait élémentaire et met en jeu une mesure aléatoire discrète sur R, et l’autre découle de la théorie des représentations de l’algèbre d’Hecke infinie (cf. [KV07,Oko97a,Oko97b]) et du théorème de Kerov4.2. Avant de présenter ces deux approches, donnons un corollaire important de la proposition8.5: Corollaire 8.6 (Longueur du plus long sous-mot croissant d’une permutation obtenue par le q-processus de Knuth). Soit σn une permutation aléatoire de taille n tirée suivant la mesure de probabilité

Pn,q[σ] = q imaj(σ)

{n!}q .

La longueur L(σn)d’un plus long sous-mot croissant de σna pour asymptotique L(σn)

nPn,q 1−q.

En effet, ceci est une conséquence immédiate de la proposition 7.2 et des propriétés de la correspondance RSK.

Première démonstration de la loi des grands nombres. Pour commencer, remarquons que la limite de pk(λ)/nk sous la q-mesure de Plancherel s’écrit

(1q)k 1qk = ∞

i=1 [(1q)qi−1]k.

Si λ est un diagramme de Young de coordonnées de Frobenius (ai, bi)16i6d et de taille n,

notons Xλ la mesure de probabilité :

= d

i=1 ai(λ) n δai(λ)/n+ d

i=1 bi(λ) n δbi(λ)/n.

Le k-ième moment de Xλ est exactement pk+1(λ)/nk+1; d’après le théorème 8.4, tous les

moments de Xλ convergent donc en probabilité vers ceux de la mesure X,q= ∞

i=1 (1q)qi−1δ (1q)qi−1.

Dans ce qui suit, on considère Xλ comme une variable aléatoire à valeur mesure ; sa loi est l’image de Mn,qpar l’application λ ∈Y 7→ ∈ M([−1, 1]), M([−1, 1])désignant l’ensemble

8.2. Loi des grands nombres pour les premières parts.

des mesures de Radon signées sur l’intervalle[−1, 1]. Ce dernier espace est le dual topologique de C([1, 1]), et l’ensemble des mesures de probabilité P([1, 1])M([1, 1])est compact métrisable pour la topologie -faible2. En effet, si (f

k)kN est une suite de fonctions dense dans C([−1, 1]), alors

d(m1, m2) =

kN 1

2k max(1,|m1(fk)−m2(fk)|)

est une distance compatible avec la topologie de M([−1, 1]). On choisit{fk}kN =Q[X]; cette partie est dense par le théorème de Stone-Weierstrass, et compte tenu de la convergence des moments,

k, Xλ(fk)→Mn,q X,q(fk) ⇐⇒ d(Xλ, X,q)→Mn,q 0 .

Dans l’espace des mesures muni de la topologie (métrisable !) de la convergence en loi, on a donc convergence en probabilité de Xλ vers X,q. Or, pour des mesures de Radon sur l’en-

semble des réels, la convergence en loi est équivalente à la convergence des fonctions de répartitions

FXλ(x)→ FX,q(x)

en tout point x où la fonction de répartition limite FX,q est continue (c’est une partie du

théorème de Portmanteau, voir de nouveau [Bil69, chapitre 1]). Par conséquent, pour tout nombre réel x6= (1q)qi−1, on a

y6x nyA(λ)⊔−B(λ) |y| →Mn,q

(1q)qi−16x (1−q)qi−1.

La fin de la preuve est maintenant purement technique. Dans tout ce qui suit, on fixe un réel εtel que 1−q>ε>0 ; d’après ce qui précède, pour tout point x qui n’est pas un(1q)qi−1,

FX,q(x)−ε6FXλ(x) 6FX,q(x) +ε

pour n assez grand en dehors d’un événement de probabilité arbitrairement petite. Prenons donc x = 1−q+η avec η > 0 suffisamment petit. Dans un voisinage de x, FX,q = 1, donc

pour n assez grand, en dehors d’un événement de petite probabilité, FXλ(x) =

y6x nyA(λ)⊔−B(λ)

|y| > FX,q(x)−ε=1−ε>q.

Par conséquent, toutes les lignes3de λ sont plus petites que nx. En effet, dans le cas contraire,

il y aurait au moins une ligne strictement plus grande que n(1q+η), et ceci impliquerait FXλ(1) >FXλ(x)+1−q+η>1+η>1 ,

ce qui est impossible pour une fonction de répartition. Ainsi, on a montré que pour n assez grand, a1(λ)/n est plus petit que x avec probabilité très proche de 1.

De même, si l’on considère x= 1qη, alors FX

,q = q au voisinage de x, donc pour n

assez grand, en dehors d’un événement de petite probabilité, certaines des lignes de λ sont plus grandes que nx. En effet, dans le cas contraire, on aurait

FXλ(1) =FXλ(x′) 6FX,q(x′) +ε=q+ε<1 .

2. C’est un cas particulier du théorème de Prohorov ([Bil69, chapitre 1]) : si E est un espace séparable et métrisable complet, alors l’espace des mesures de probabilité P(E)est également séparable et métrisable complet. Le caractère métrisable permet en particulier de parler de convergence en probabilité d’une famille de mesures.

Chapitre 8. Asymptotique de la q-mesure de Plancherel.

On conclut que pour n assez grand, en dehors d’un événement de probabilité arbitrairement petite, la première colonne renormalisée a1(λ)/n est comprise entre x′ et x. Ainsi, a1(λ)/n

converge en probabilité vers 1q, et les mêmes arguments s’appliquent clairement aux lignes suivantes a2(λ)/n, a3(λ)/n, etc. (faire une récurrence sur i). De plus,

ai(λ)/n−λi/n= (−i+1/2)/n=O(1/n), donc λi/n converge bien en probabilité vers(1−q)qi−1.

Remarquons qu’en utilisant la convergence des fonctions de répartition au point x = 0, on voit que d

i=1 bi(λ) nMn,q 0 ;

l’ordre de grandeur des colonnes de la partition est donc un o(n).

Seconde démonstration de la loi des grands nombres. Une autre démonstration du théorème 8.5

utilise la théorie des représentations de l’algèbre d’Hecke infinie Hq(S∞); cette théorie est

en tout point similaire à celle exposée dans le paragraphe4.1pour le groupe symétrique infini S∞. Pour tous entiers n6N, on peut plonger Hq(Sn)dans Hq(SN)en identifiant les généra- teurs Ti =Tsi pour i6n−1 ; ces injections sont compatibles entre elles, et la limite inductive

des algèbres d’Hecke Hq(Sn)relativement à cette famille dirigée de morphismes d’algèbres est l’algèbre d’Hecke infinie

Hq(S) =  T1, T2, T3, . . . ∀i,(Tiq)(Ti+1)=0 ∀i, TiTi+1Ti=Ti+1TiTi+1 ∀i,j,|ij|>2⇒TiTj=TjTi  .

Les caractères irréductibles de cette algèbre infini-dimensionnelle sont de nouveau indexés par les points ω = (α, β)du simplexe de Thoma Ω, et toute mesure de probabilité m∈P(Ω) correspond à un caractère (positif, normalisé) χ(q)de Hq(S∞), qui s’écrit :

χ(Tσ∈Sn, q) =

λ∈Yn ˆ Ω (ω)ςλ(q, Tσ)m(dω)  . En particulier, la trace régulière4 τ(T

σ) = 1(σ=id) de l’algèbre d’Hecke infinie correspond au

Dirac en le point

αq, βq= 1−q,(1−q)q,(1−q)q2, . . ., 0, 0, . . .. En effet, compte tenu des calculs effectués dans la section7.1,

Mn,q(λ) = (dim λ)(1−q,(1−q)q,(1−q)q2, . . .) = (dim λ)q, βq),

et d’autre part, τ|Hq(Sn) = ∑λ∈YnMn,q(λ)χλ(q). Si Tσ est un élément de base de l’algèbre d’Hecke Hq(Sn), on a donc bien :

τ(Tσ) =

λYn q, βq)ςλ(q, Tσ) =

λYn ˆ Ω (ω)ςλ(q, Tσ)δαq,βq(dω)  .

4. Pour une algèbre d’Hecke finie Hq(Sn)≃C[B(n, Fq)\GL(n, Fq)/B(n, Fq)], la trace régulière est la restriction

de la trace normalisée de EndC(C[GL(n, Fq)/B(n, Fq]). Il est naturel de se demander si la trace τ de Hq(S∞)a une

interprétation semblable (avec q puissance d’un nombre premier). La réponse est oui, mais on doit prendre au lieu de GL(∞, Fq)le groupe GLB(Fq)introduit par Kerov et Vershik dans [KV98,KV07] ; ce dernier contient GL(∞, Fq)

comme sous-groupe dense. Alors, on peut montrer que τ est la restriction de la trace canonique de l’algèbre de convolution L1(GLB(F

q), mHaar)à la sous-algèbre des fonctions à support compact et bi-B(∞, q)-invariantes, cette