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2.1- l’état de la question sur le Livre XXV

Les analyses du Livre XXV

Avant d’aborder les fragments dont nous disposons aujourd’hui et leurs interprétations de détail, nous voudrions proposer un aperçu d’ensemble des travaux antérieurs sur ce Livre XXV, d’un traité composé en 37 livres au total. Nous laisserons provisoirement de côté les recherches érudites sur les papyrus eux-mêmes, la restitution des textes et leur traduction, et nous intéresserons aux hypothèses dess critiques sur les idées qui s’y trouvent exposées.

Les travaux que nous avons consultés ont pour la plupart la caractéristique de ne concerner que les fragments considérés comme les plus exploitables, ceux qui se trouvent dans ce qu’on estime être la deuxième moitié du Livre. Renonçant à proposer une vue globale de la progression des arguments, ils les réordonnent selon une problématique d’ensemble, davantage fixée par le chercheur lui-même que par un texte considéré dans son état d’incohérence d’ensemble. Au cœur de cette problématique reviennent les questions de l’action, de la responsabilité, et, qu’il s’agisse de suivre la thèse réductionniste ou la thèse anti-réductionniste, voire une synthèse des deux, revient également la question du clinamen : même absent du texte – du moins, selon certains, sous sa forme explicite – celle-ci résoudrait le problème de l’action délibérée. Nous concentrerons notre aperçu rapide sur la confrontation de ces deux grandes orientations de la recherche des dernières décennies308.

A partir d’une lecture erronée de la subscriptio du manuscrit PHerc. 697, David Sedley a d’abord considéré, en 1974, que le Liber incertus [34] Arr. n’était pas le Livre XXV, mais le Livre XXXV du traité. Il y a vu la confirmation que le plan d’ensemble des 37 livres consistait successivement en un exposé de sa physique, suivi d’une polémique d’ordre canonique avec les autres physiciens, pour se terminer par les questions éthiques, dans lesquelles se rangerait le Livre XXXV. Il en déduisait que la Lettre à Hérodote, dans laquelle il considérait que le philosophe ne remettait pas en cause la loi universelle de la nécessité physique, pas plus qu’il n’y exposait la théorie du clinamen, était bien antérieure au traité De

308 Francesca Masi propose un aperçu assez détaillé de l’histoire des recherches sur le Livre XXV et de son

interprétation au chapitre I de son ouvrage Epicuro e la filosofia della mente, op. cit., p. 13-36. Avant d’aborder les travaux de Sedley et les suivants, elle y rend compte de ceux de Diano, Arrighetti et Furley, principalement concentrés sur le désir de combattre la thèse de Bignone, qui mettait la pensée d’Épicure en relation avec des œuvres perdues d’Aristote, et sur les questions de la liberté et du clinamen. Nous nous contenterons de citer ces travaux dans le cours de notre étude des fragments.

la nature, dans lequel il pensait que pourrait se trouver l’indispensable clinamen, sans affirmer

pour autant qu’il devait se trouver dans ce livre309. Dans cet esprit, tout en se ralliant à la

démonstration de Simon Laursen selon laquelle il s’agissait bien du Livre XXV310, il a été le

promoteur de la thèse anti-réductionniste, qu’il a étayée par une mise en rapport des considérations de la Lettre à Hérodote sur les attributs (ou « propriétés ») et les accidents avec certains passages du Livre XXV. Nous voudrions revenir plus longuement que nous ne l’avons fait dans la première partie de ce travail sur son analyse des attributs (terme employé par Sedley) et des accidents sur laquelle il fonde sa théorie des propriétés émergentes. Le but de Sedley est de démontrer que « l’ontologie épicurienne tend à avoir pour intérêt central les entités phénoménales, et qu’en aucun cas elle ne privilégie les atomes sur celles-ci.311 ». Dès

lors, il projette l’implication de ces thèses sur ce qu’il considère comme les propriétés émergentes des apogegennèmena dont traitent plusieurs passages du Livre XXV. Il lui faut d’abord pour cela prouver d’une part que les accidents ne sont pas foncièrement distincts des attributs, et d’autre part qu’on retrouve les attributs aussi bien dans les réalités phénoménales que dans les atomes. Ce deuxième argument n’est pas contestable : c’est bien à propos des réalités phénoménales qu’Épicure expose sa théorie des attributs, ou propriétés, et accidents. S’il l’a évoquée précédemment au paragraphe 40, à propos des , c’était pour la rejeter purement et simplement, car à ce moment du déploiement de la prolepse du tout, corps et vide, dans la Lettre rien ne permettait encore de parler de propriétés ni d’accidents. D. Sedley affirme avec justesse que « les atomes ne sont […] jamais véritablement isolés en tant que seuls supports de quelque type de propriété que ce soit. Cela s’explique par le fait que les accidents n’existent pas au niveau microscopique […], et que même les propriétés permanentes, si certaines existent à ce niveau, ne sont pas réservées à celui-ci, mais appartiennent plutôt au corps et à l’espace en tant que tels, à tout niveau312.»

Concernant le premier point, l’intégration des accidents dans l’ensemble des propriétés, il s’appuie sur Démétrios Lacon, réputé pour sa rigueur exégétique, qui, au témoignage de Sextus Empiricus, affirmerait que les sumbebèkota (« propriétés » ou « propriétés ») se diviseraient en propriétés permanentes et en propriétés non permanentes : « ces choses que le temps accompagne sont donc des accidents – je veux dire le jour et la nuit,

309 D. Sedley, « The Structure of Epicurus’ On Nature », Cronache Ercolanesi, 4, 1974, p. 89-92. 310 S. Laursen, « Epicurus, On Nature Book XXV », Cronache Ercolanesi, 17, 1987, p. 77-78. 311 D. Sedley, « Epicurean Anti-Reductionism », trad. fr. dans L’Épicurisme antique, op. cit. p. 344. 312 D. Sedley, ibid., p. 340.

l’heure, la présence de sentiments et leur absence, le mouvement et le repos313. » D. Sedley

en conclut que les accidents ne sont que des espèces de la catégorie plus générale des propriétés. Or nous nous permettrons de contester le témoignage de Sextus et de le retourner contre Démétrios Lacon, dont on ne connaît que des extraits, et surtout contre Épicure. En effet, Sextus semble citer ses sources à la lettre (on croit reconnaître les alternances permettant de se représenter le temps dans Hérodote 73), mais opère des glissements insensibles qui en détournent le sens. Quand il oppose les réalités existant par elles-mêmes aux propriétés, il les qualifie de « substances » (), un mot aux résonances aristotéliciennes dont le philosophe du Jardin se défie314. Mais il faut surtout observer que Sextus inverse la démarche d’Épicure, puisqu’il définit les accidents à partir du temps, alors que le philosophe cernait le temps, sans concept, à partir des accidents, définis au paragraphe précédent, par opposition aux attributs (ou « propriétés » dans la traduction française de Sedley). C’est à partir du temps que Sextus énonce la particularité des accidents par rapport à ce qu’il considère comme le reste des propriétés. Or si, précisément, Démétrios a éprouvé le besoin de définir le temps comme « accident d’accidents », c’est bien que pour lui la notion d’« accident » précédait celle de « temps ». Sextus a sans doute « aristotélisé » Épicure pour mieux le combattre315.

Quand D. Sedley passe de l’extrait de Sextus aux paragraphes de la Lettre, il a lui aussi tendance à inverser l’ordre des choses : Épicure doit confirmer Sextus, présenté comme plus clair. Car le savant doit maintenant montrer qu’Épicure a en définitive affirmé la même chose. Il soutient pour cela qu’il y a une certaine confusion dans les termes employés par le philosophe. Par exemple,  alternerait avec  (lignes 21-22, 28 de la transcription de l’auteur dans Les philosophes

313 Sextus Empiricus, Contre les professeurs, X, 219-227, cité par D. Sedley, « Epicurean Anti-Reductionism »,

trad. française d’Anne Dao et Cédric Morant, op. cit. p. 332-333.

314 Il ne l’emploie précisément dans la Lettre à Hérodote, au paragraphe 72, que pour rejeter l’usage de termes

cherchant à définir le temps par une essence. Conche, dans son commentaire, affirme qu’il vise les définitions platonicienne et aristotélicienne du temps (Épicure,…op. cit., p. 172). Dans Pythoclès, § 86, l’ des meteôra est précisément leur réalité sensible – par opposition, il est vrai, à l’essence des réalités en soi. Dans le Livre XIV du traité De la nature ([34.27] Arr.), le philosophe ironise sur l’essence des homéomères d’Anaxagore.

315 Il est curieux de constater que les commentaires de Sextus, Simplicius et Thémistius, tels que les rapporte

M. Goeury (L’atomisme épicurien…op. cit. p. 536 sq.), ne portent pas sur cette notion d’« accident d’accidents », mais sur les théories d’ Épicuriens attribuées sans preuve à Épicure lui-même, concernant les minima dans le temps (voir également F. Verde, « Testimonianze tardoantiche sulla fisica di Epicuro, Questioni epicuree, op. cit. p. 188-191), ce qui les place dans l’orbite de la critique aristotélisante. A l’inverse, M. Isnardi-Parente (op. cit., p. 173) a souligné qu’il ne fallait pas confondre les différents plans de l’analyse du temps par Épicure, ni accepter l’idée de minimum absolu. A. Monet (« La représentation du temps, chez Épicure : lectures du PHerc. 1413 », Akten des 23 Internationalen Papyrlogenkongresses, Bernhard Palme éd., Vienne, 2001, p. 455-460) commente le PHerc. 1413 pour insister sur la notion selon laquelle le temps est une simple .

hellénistiques, I) et avec  (l. 30). La définition des attributs

(Hérodote 69) par la notion d’« accompagnement durable » nous semble pourtant parfaitement claire, antagonique avec la définition des accidents par l’absence de cet accompagnement durable, au paragraphe suivant (Hérodote 70). D’autre part, D. Sedley observe que , au présent, concerne « la relation dans laquelle les , aussi bien que les propriétés permanentes, se trouvent vis-à-vis de ce qui en est le support ». Mais dans le passage auquel il fait allusion (Hérodote 71. 2 et 4), même employé au présent le verbe  désigne bien les attributs (ou « propriétés ») considérés un par un et distingués des accidents.

Si l’on peut donc tomber d’accord avec l’auteur pour dire que, au paragraphe 40 comme aux paragraphes 68 à 71, c’est bien à propos des corps que sont introduites les catégories d’attribut et d’accident – que ces corps soient saisis sous leur forme la plus générale, avec le vide, comme composants du tout, ou sous leur forme sensible –, on ne peut accepter de faire des accidents une sous-espèce des attributs. De la distinction entre les réalités existant

per se, qu’il rapproche des substances aristotéliciennes, et les propriétés, permanentes ou

non316, Sedley tire la conclusion de l’autonomie de ces dernières, ce qui permettra, dans un second temps de la démonstration, d’en faire des réalités agissantes et capables d’infléchir le déterminisme atomique. Il en vient alors alors, sur le fond de ces propriétés autonomes, à la nécessité pour Épicure de se démarquer du déterminisme mécaniste démocritéen, et en tire la possibilité, telle que l’exprime surtout le fragment [34. 21] Arr., que les apogegennèmena, « états acquis » ou « développements », nous procurent une autre cause que celle qui nous vient des atomes, une cause qui provient aussi de nous. Ce type de cause doit être le fait d’une « manière différentielle » () qu’ils ont de se comporter, « différenciation » de degré variable, pouvant aller jusqu’à « renverser la direction de la causalité317. » Dans une contribution à l’ouvrage collectif , quelques années plus tôt, l’auteur avait donné du  une définition plus explicite : « The distinction between the characteristic and the atoms must be of a

316 D. Sedley, « Epicurean Anti-Reductionism », trad. fr. A. Dao et C. Morant, L’Épicurisme antique, op.

cit. p. 336. On pense notamment aux Seconds Analytiques, 73b 4. Les  d’Aristote sont traduits par « accidents », les  étant, dans la Physique, réservés aux faits de hasard. Les nécessités logiques, chez Aristote, prennent la dimension de nécessités ontologiques, ce qui n’est pas le cas chez Épicure, qui ne soumet pas l’ordre des faits à l’ordre de la raison.

‘transcendent’ (literally ‘separative’) kind, not just a difference of scale318. » , et il empruntait

pour la première fois aux théories modernes la notion d’ « émergence » pour désigner cette propriété spécifique. Cette , liée à la sensation, serait celle que le philosophe évoque dans la Lettre à Hérodote (§ 51) comme étant la source de l’erreur. Nous discuterons plus précisément de cette analyse quand nous aborderons les fragments concernés ([34. 4), [34. 21], [34. 25]. Nous nous contenterons de remarquer pour le moment que la traduction de  par « différenciation », nécessaire pour expliquer le rôle causal, physique en définitive, dévolu par Sedley aux apogegennèmena, n’est pas la traduction qui nous paraît la plus appropriée : nous avons proposé pour notre part, quand nous avons évoqué plus haut la question de l’erreur dans le paragraphe 51319, de le traduire par « distinction » ou « mode

distinctif », capacité de l’esprit à opérer des distinctions au sein du contenu sensible320. Ce choix de David Sedley doit être mis en rapport avec le fait que, puisqu’il s’agit de causalités s’accomplissant, en dernière instance, par un canal physique, elles entraînent pour conséquence la nécessité de recourir à la déclinaison des atomes, afin de pouvoir expliquer comment cette causalité différentiatrice peut infléchir le mouvement des atomes.321 La

préoccupation de l’auteur est de faire échapper Épicure au dilemme entre la causalité ascendante mécaniste de l’atomisme démocritéen et la causalité descendante des stoïciens, dont le corporalisme quasi universel, touchant même les réalités mentales et éthiques, tient à ce que « la capacité de telles choses à être la cause de quoi que ce soit est considérée comme une conséquence de leur capacité à participer à des interactions corporelles322. » Les

apogegennèmena semblent ouvrir une troisième voie, mais en compromettant les fondements

318 D. Sedley, « Epicurus’ refutation of determinism », op. cit. p. 39 319 Voir supra, p. 67.

320 Voir T. O’Keefe, « The Reductionist and Compatibilist Argument of Epicurus’On Nature, Book 25 »,

Phronesis XLVII/2, 2002, p. 175 : « can also mean « distinguishing in thought », « judgment », or « opinion ». The way in which I interpret this  closely parallels the way Epicurus uses the term  in Ep. Hdt. 69, where he says that the permanent attributes of a body can each be distinguished, even though they are not separable. »

321 D. Sedley, « Epicurus’refutation of determinism », op. cit. p 11-15 et 40-49 : après avoir

affirmé clairement sa conviction que la  doit être imputée à Épicure, mais que, réservée à la partie « psychologique » du Traité de la nature, elle devait figurer dans les derniers livres (p. 13), l’auteur établit un parallèle entre la réfutation par Lucrèce du scepticisme au Livre II et celle du déterminisme, autre héritage réductionniste de Démocrite, par Épicure, et termine son argumentation par l’idée que le philosophe grec avait autant que son disciple romain besoin d’aboutir à la nécessité de la déclinaison. Dans le cas d’Épicure, il conclut « Hence the indeterministic swerve, and, parallel to it in logic, the denial of bivalence – both theories being designed not to explain what volition is but to guarantee its efficacy by keeping alternative possibilities genuinely open » (p. 46). En 2003 (1988) (« Epicurean Anti-Reductionism », L’Épicurisme antique, op. cit., p. 348), plus prudemment, l’auteur prend la précaution de dire qu’il s’agit là « d’un autre débat », mais comment ses « conclusions immédiates » pourraient-elles ne pas entraîner cette autre conclusion ?

matérialistes de l’épicurisme. Remettant à juste titre en cause la tendance réductionniste à faire de l’épicurisme une physique atomiste, D. Sedley plaide contre « l’impression injustifiée qu’Épicure serait un matérialiste pur et dur », et rappelle qu’il faut considérer que « l’esprit, tout comme pour nous le cerveau, est l’entité matérielle par rapport à laquelle les états de conscience existent en tant que propriétés de celles-ci » mais que, « pour Épicure en tout cas, cela n’implique pas que ces états de conscience soient simplement des états matériels régis par les lois de la physique323. » Pourtant, si nous concevons la pensée d’Épicure comme un

matérialisme pratique, un matérialisme qui fait de toutes les considérations théoriques des questions pratiques, partant non de notre conscience, mais de notre rapport matériel au monde qui nous entoure, par les modalités de notre appréhension de celui-ci, et notamment le « besoin dense de l’appréhension rassemblée » (Hérodote 35), la question théorique de savoir si les états de conscience peuvent échapper aux lois physiques, et comment ils le peuvent, ne se pose plus. Notre conscience, en tant que déterminée par notre présence au monde, n’est pas une question théorique à résoudre, mais le point de départ de toute activité aussi bien théorique que pratique. Nous aborderons les apogegennèmena dans le Livre XXV à partir de ce postulat.

Les analyses de David Sedley ont suscité de nombreuses réactions. Simon Laursen, en 1988, tout en rendant hommage à la somme d’érudition que représente Les philosophes

hellénistiques de Long et Sedley, paru l’année précédente, discute de l’établissement du texte

et de la traduction d’un certain nombre de passages, sur lesquels nous reviendrons, pour s’opposer nettement à la traduction de  par « développements », et de  par « différentiel », que Sedley explicite par « transcendant ». Il s’élève contre la volonté de Long et Sedley d’exploiter les apogegennèmena dans la perspective d’une « new metaphysics ». Il propose plusieurs analyses possibles des fragments [34.4], [34.20] et [34.21] Arr., tout en soulignant le caractère fragile de ces interprétations aussi longtemps que l’on n’aura pas une vue d’ensemble du Livre XXV, rapportée à d’autres textes mis en parallèle324. Il établit cependant quelques points qu’il considère comme sûrs : les processus mentaux sont strictement atomiques ; l’objet d’Épicure dans le Livre XXV est « le progrès éthique », rendu possible par le fait que l’esprit joue sur deux plans, celui de l’apogegennèmenon et celui de « la constitution originelle, première ou en développement »,

323 Op. cit., p. 356- 357.

324 Laursen, « Epicurus, On Nature XXV », Cronache Ercolanesi, 18, 1988, p. 15 : « There is need for much more

work, particularly on the book as a whole, but also on other more or less parallel texts, before I would dare be definitive. »

la nature nous laissant plus ou moins la liberté de choisir d’unifier ces deux plans en « la constitution première des atomes et du produit », ou de préserver la constitution originale. Dans une lacune du texte ou dans l’obscurité du mot , il envisage prudemment la possibilité de glisser l’hypothèse de la déclinaison ou de ce qui y ressemblerait325, ce qui expliquerait comment la nature nous offre un tel choix.

Conscient de la nécessité de replacer tous ces fragments, ainsi que ceux des PHerc. 1634 et 419, récemment identifiés comme des écorces du PHerc. 697, dans la restauration la plus érudite et la plus complète du Livre XXV, S. Laursen procède à leur publication dans deux parutions des Cronache Ercolanesi, en 1995 pour les premiers fragments, les plus lacunaires, et 1997 pour le reste. Il accompagne cette publication de commentaires qu’il présente comme provisoires, dans l’attente d’une édition plus complète qui malheureusement, semble-t-il, n’a pas vu le jour. Outre ses commentaires au fil du texte, que nous évoquerons au fur et à mesure, il brosse une vue d’ensemble des premiers fragments du Livre dans son édition de 1995 (p. 42-47). La thèse réductionniste y est soutenue : les propriétés psychiques sont absentes des atomes ; la raison est une propriété acquise par l’être humain au cours de son développement ; elle consiste en une mise en ordre d’informations sensibles ou intelligibles qui nous parviennent de l’extérieur, d’abord généralisées comme prolepses, puis mises en œuvre de façon active par les epibolai. L’apogegennèmenon est un état intermédiaire produit en nous par une impulsion sensible ou une pensée : S. Laursen voit dans ce qui n’est « ni une propriété ni totalement différent de la réalité à laquelle il adhère » (fragment 419.5) la possibilité d’y lire l’apogegennèmenon. Il rapproche cette hypothèse des considérations de Lucrèce sur le fait que la volonté d’agir, par exemple de se mettre en marche, naît de la vision préalable de cette action, et il étaie cette lecture de l’emploi du verbe  quelques fragments plus loin. Nous pensons plutôt, comme nous tenterons de le démontrer dans l’étude du fragment 419.5, que le passage, très proche des termes employés dans les paragraphes 69-

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