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Les limites de la théorie du capital humain

La théorie du capital humain exploite ainsi radicalement, dans le droit fil de l’investissement-formation, le rapprochement entre potentiel humain et potentiel productif d’une machine. Elle souffre cependant de deux défauts majeurs36 :

35 N. Zuinen et S. Varlez (2004), Op, Cit, p80

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 Le premier défaut est de poser comme acquis ce qui justement fait problème : que les salaires traduisent bien des différences de contributions productives, celles-ci ayant été correctement perçues et évaluées par les entreprises. Dans une logique de calcul marginaliste, les entreprises ne payent que les contributions, a priori isolables, de chaque salarié, et le jeu de la concurrence permet aux entreprises comme aux salariés de parvenir à une rétribution stabilisée pour un type d’apport donné. Mais la contribution peut dépendre de dispositions incitatives, notamment salariales, tout comme du fonctionnement d’un collectif de travail. Les capacités d’un salarié peuvent avoir été simplement révélées, non créées à travers le processus de formation qui a permis sa sélection et son recrutement.

 Le second défaut de la théorie du capital humain est de se fonder sur une série de calculs individuels a priori tous équivalents : tout salarié est ainsi vu comme un capitaliste en puissance, sa carrière salariale résultant simplement d’un arbitrage qui lui a fait choisir rationnellement d’investir en lui-même plutôt que dans une entreprise, dans l’immobilier ou sur le marché financier. Les dimensions structurées, hiérarchisées et structurantes des espaces économiques et sociaux ne sont vues que comme des contraintes que l’optimisateur introduit dans son calcul : on gomme tout le débat sur la détention du pouvoir au sein des firmes.

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4.2. Capital humain générique ou capital humain spécifique : chez Gary Becker

L’apport tient à une opposition mise au jour par l’auteur clé de la théorie du capital humain, Gary Becker : entre capital humain générique et capital humain spécifique.

Le premier est général, transférable d’une entreprise à une autre, cependant que le second n’existe que dans l’entreprise où il a été acquis : maîtrise d’une machine propre à un établissement, travail dans un cadre et avec des collaborations spécifiques… La question de la plus ou moins grande transférabilité des qualifications et des aptitudes acquises est évidemment stratégique pour les entreprises, de deux façons.

 D’une part, elle conditionne les initiatives de formation une fois le salarié recruté. Des acquis transférables laissent planer la menace permanente d’une défection du salarié formé par l’entreprise, ce qui constituerait une perte sèche pour celle-ci.

 D’autre part, l’existence de fortes transférabilités est un puissant facteur d’homogénéisation : elle encadre et même limite les gammes de traitements que l’on peut envisager pour la main-d’œuvre ainsi normée, voire structurée, avant son utilisation.

Le paradoxe est alors que dans cette logique la formation spécifique est mieux rentabilisée par l’entreprise, mais est plus étroite et découle d’une forme de monopole relatif, et que la formation transférable, qui est de l’intérêt de tous, risque de n’être financée et réalisée par personne du côté des entreprises. Ce qui n’est en fait pas le cas !

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4.3. L’investissement en capital humain /éducation : quel risque ?

En plus, dans la théorie du capital humain, l’éducation est considérée comme un investissement auquel, on associe des coûts et des avantages. Rappelons toutefois qu’un investissement est souvent associé à un risque de perte en capital ; du moment où l’éducation est vue comme telle, un investissement en capital humain peur être associé également en un risque de perte en capital, alors que la théorie du capital humain ne parle que de gains associés à l’éducation (investissement en capital humain).

L’idée qu’une année d’éducation dans un pays donné procure un rendement identique dans un autre pays n’est pas toujours vérifiée (cas des pays riches et des pays pauvres). Ainsi, les travaux empiriques qui prennent en compte les indicateurs quantitatifs de l’éducation seraient biaisés, dans le sens où ils considèrent le capital humain comme un facteur de production homogène.37

Il convient de rappeler que même si l’éducation contribue de façon irréversible à la croissance économique, cette contribution n’est possible que lorsque les structures économiques sont capables d’absorber tous les diplômés et apprentis, pou cette raison on conclut que38 :

 La théorie du capital humain oublie que la fonction première de l’école consiste à l’éveil des consciences et renforcer la cohésion sociale.

 La théorie du capital humain ne rend pas compte des effets de l’éducation sur les comportements privés et sociaux. « Elle ne s’intéresse pas au processus d’acquisition et de transmission des connaissances et des compétences, mais plutôt au revenu futur qu’elles engendrent ».

37 Altinok N. (2006), « Capital humain et Croissance : l’apport des enquêtes internationales sur les acquis des élèves », Publique Economie, IREDU pages 177-209

38 Ba Youssouph (2010), « Analyse du capital humain : diagnostic des dépenses d’éducation au Sénégal », Université du sud Toulon-Var

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L’analyse du capital humain sous une approche économique de l’éducation parait incomplète, voire inadéquate. La logique du capital humain est davantage axée sur l’individualisme méthodologique, ce qui voudrait dire qu’elle néglige la dimension sociale de l’éducation39.

Du point de vue théorique, des approches remettent en cause la logique du capital humain (les théories du filtre et du signal sont concurrentes du capital humain). Pour Arrow et Spence, l’éducation joue plutôt un rôle de signal et de filtre et non d’accumulation de capital humain. Les exigences d’un emploi en termes de compétences ne sont pas déterminés à l’avance ni par l’employeur ni par l’employé. Le niveau d’éducation est donc souvent sans influence sur la productivité.

Section 5 : l’éducation : un investissement dans le capital humain