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Partie III : Discussion

1. Les limites méthodologiques

a. Un contexte évolutif

Notre analyse s’inscrit dans un contexte de déploiement à la fois de l’informatisation des prescriptions et de l’analyse pharmaceutique. En effet, entre 2016 et 2019, plusieurs changements ont eu lieu. Fin 2017, les services de gériatrie ont changé de logiciel au profit d’Orbis®, suivis en 2019 par les services des urgences. Par ailleurs, notre analyse n’est pas exhaustive puisqu’elle ne comprend pas les données des services non informatisés sur Orbis® (pédiatrie, réanimation). L’informatisation permet en parallèle une facilitation de l’analyse pharmaceutique. Le nombre de séjours validés avec ordonnance sur Orbis® a ainsi augmenté sur notre période d’étude, de 31 333 en 2016 à 43 964 en 2019, en suivant la même progression que le nombre de séjours avec prescription sur le logiciel. Le nombre d’ordonnances validées a quant à lui augmenté de 28 %, de 93 844 en 2016 à 119 988 en 2019. Le nombre d’IP a suivi de la même manière une tendance à l’augmentation (Tableau 9). Une étude française a montré que l’utilisation d’un logiciel d’aide à la prescription est associée à une augmentation du taux d’IP de 11,1 % à 32,5 %, en partie grâce à une meilleure détection des erreurs médicamenteuses par les pharmaciens (67).

b. Des données manquantes

L’une des limites de notre analyse réside dans un certain nombre de données manquantes. Dans près de 7 % des cas, nous avons dû rechercher le code ATC du médicament qui n’était pas renseigné, ce qui s’explique par un problème de paramétrage des fiches produits. Mais c’est avant tout le codage de l’intervention qui est incomplet : dans 12 % des cas, le problème et/ou la proposition selon la SFPC ne sont pas renseignés. Quant à la donnée d’acceptation ou non de l’IP par le prescripteur, l’information n’est précisée que deux tiers des cas. Il serait intéressant

76 de connaître les raisons de cette omission : manque de temps, sentiment d’inutilité de préciser ces données, mauvaise compréhension des différents items ?

Le périmètre lié à l’acceptation ou non de l’IP peut être parfois difficile à apprécier. En effet, le message n’est pas directement visible sur la prescription et il peut passer inaperçu auprès du médecin. Par ailleurs, il n’y a pas d’indicateur pour l’équipe pharmaceutique permettant de savoir si l’IP a été lue ou non. Dans certains cas, il peut également être complexe pour le pharmacien de savoir si l’IP est prise en compte ou non (exemple d’une interaction médicamenteuse, à l’origine d’une proposition de surveillance clinique rapprochée dont l’application est difficilement observable par le pharmacien). Dans d’autres cas, il est difficile de savoir si c’est l’IP qui est à l’origine de la modification d’ordonnance ou si, même sans cette IP, la modification aurait eu lieu. Il arrive aussi fréquemment que le patient soit transféré ou sorte peu de temps après la rédaction de l’IP, ce qui mène à une perte de données sur le suivi de l’IP.

Un travail de 2015 au sein du CHU de Toulouse avait mis en avant que seul un peu plus d’un tiers des prescripteurs lisait les interventions pharmaceutiques (68). Ce faible taux s’expliquait alors par le déploiement en cours du logiciel Orbis®, les médecins n’étant pas encore habitués à ce nouvel outil et à cette nouvelle communication avec l’équipe pharmaceutique. Cinq ans plus tard, il serait intéressant d’évaluer à nouveau les avis et habitudes des prescripteurs.

c. Un manque de qualité et d’homogénéité du codage - Les limites du logiciel

Comme tout outil informatique, le logiciel d’aide à la prescription présente des limites propres à son utilisation. S’il permet une sécurisation du circuit du médicament et contribue ainsi à la lutte contre l’iatrogénie, il nécessite toutefois un apprentissage de la part des utilisateurs et des ressources humaines supplémentaires afin d’en assurer les améliorations et mises à jour (69).

77 Le logiciel Orbis® présente ainsi quelques restrictions comme un accès parfois complexe au texte de l’IP pour le prescripteur ou l’absence de moyen de notifier un refus de validation ou une validation avec réserve, ce qui ne permet pas de bien distinguer les IP urgentes des non urgentes (70). S’ajoute à cela l’absence de témoin de lecture des IP, nécessitant souvent un appel téléphonique complémentaire. Par ailleurs, la rédaction de l’IP sur notre logiciel ne suit pas exactement les recommandations de la SFPC : une IP peut être acceptée, refusée ou notée « autre », cette dernière option n’étant pas toujours très bien définie et donc parfois mal utilisée ; le niveau d’interaction médicamenteuse (à prendre en compte, précaution d’emploi, association déconseillée, contre-indication ou non publiée) ne peut pas être précisé avec Orbis® ; ou encore l’erreur liée à l’informatisation apparaît comme un type de problème à part entière, non validé par la SFPC.

- Les limites du codage des IP selon la SFPC

L’outil standardisé de la SFPC permet dans la majorité des cas d’associer un problème et une proposition bien définis (Annexes 2 à 4). Néanmoins, certains cas sont plus difficiles à codifier, car à la limite entre deux items. A titre d’exemple, l’apparition d’une thrombopénie sous héparine peut à la fois être considérée comme un effet indésirable et une contre-indication. Dans d’autres cas, un médicament est prescrit tous les jours et sans date de fin, ce qui peut mener à un surdosage et à des effets délétères chez le patient mais qui ne se sont pas encore produits : exemple du Kayexalate®, le problème pourrait à la fois être un « Surdosage », un « Médicament non indiqué » ou une « Administration inappropriée ». Citons également l’exemple de médicaments qui devraient être administrés une fois par jour mais sont prescrits en plusieurs prises, sans dépasser la posologie maximale quotidienne : un doute peut exister entre « Surdosage » et « Voie et/ou administration inappropriée » (par ex. amlodipine, IPP, antibiotiques).

Hormis une éventuelle hésitation entre plusieurs problèmes, il arrive également assez souvent qu’un même médicament génère plusieurs problèmes (comme une erreur de posologie associée à une interaction ou un besoin de surveillance biologique). Dans notre analyse, nous avons

78 d’ailleurs dédoublé certaines lignes d’IP afin de gagner en précision. Or les recommandations de la SFPC précisent bien que si la situation comprend plusieurs problèmes médicamenteux, il est nécessaire de réaliser autant d’interventions que de problèmes. En pratique, cela est possible avec notre logiciel mais cette multiplication des IP risquerait de noyer l’information et de la rendre illisible auprès du prescripteur. Il est néanmoins important de prioriser les problèmes, la clarté de l’IP étant en effet essentielle à sa bonne compréhension. Par exemple, devant du paracétamol injectable surdosé chez un patient ayant par ailleurs des traitements per os, la priorité est bien évidemment le surdosage, et dans un second temps le pharmacien pourrait alerter sur la possibilité de passer par voie orale.

De la même manière, dans de nombreux cas, l’IP soulève un problème mais le pharmacien propose plusieurs solutions. Ainsi, une interaction médicamenteuse peut être à l’origine d’une substitution par un autre médicament, une modification du plan de prise en décalant les administrations ou encore un suivi biologique. Là encore, la SFPC n’autorise qu’un seul choix alors qu’il pourrait sembler plus judicieux de proposer l’ensemble des possibilités au prescripteur.

Enfin, les grilles de la SFPC ne prennent pas en compte les erreurs liées à l’informatisation et les IP liées à un historique médicamenteux ou une conciliation médicamenteuse. Or cette activité de conciliation est très développée au sein du CHU de Toulouse, il serait donc intéressant de disposer d’un indicateur fiable des IP issues de ce travail. A noter néanmoins que l’interface Act-IP intègre ces informations d’erreurs liées à l’informatisation et de conciliation médicamenteuse, via une case à cocher lors de l’émission d’une IP.

- Une absence d’harmonisation des pratiques

Lors de notre analyse détaillée des IP, nous avons noté une hétérogénéité dans la rédaction des IP et leur codage, à la fois entre équipes de pôles pharmaceutiques et au sein d’une même équipe.

79 Prenons l’exemple d’une interaction médicamenteuse, identifiée sur notre annexe 5 des principaux médicaments concernés et de codage a priori simple : nous retrouvons alors 782 IP, or moins de la moitié (331 cas) est clairement codifiée comme une interaction médicamenteuse, les autres se rapprochant majoritairement d’une « Non-conformité aux référentiels ou Contre- Indication » (295 cas). La dénomination de contre-indication porte donc à confusion, entre la contre-indication physiopathologique et celle liée à une interaction médicamenteuse. Dans le cas du même médicament en double (1 855 lignes), le problème identifié est une erreur liée à l’informatisation dans 38 % des IP et un surdosage, problème recommandé par la SFPC dans ce cas, dans 32 % des IP. Pour ces deux exemples, une variation de codage est observée selon les services et les pharmaciens. Dans d’autres cas, comme une erreur d’unité ou une surveillance biologique à effectuer, les différents pôles pharmaceutiques retiennent une codification assez homogène (respectivement 71 % d’« erreurs liées à l’informatisation » et 71 % de « Monitorage à suivre »). D’autres équipes pharmaceutiques, quant à elles, ne codifient pas les IP. C’est notamment le cas du pôle gériatrie, à l’origine de plus de 5 000 lignes dont le problème n’est pas précisé.

Par ailleurs, outre la codification selon la SFPC, nous avons remarqué une grande variabilité sur la rédaction et la formulation des IP. Certains messages sont très courts, ce qui peut mener à une difficulté de compréhension : par exemple il est parfois uniquement indiqué une proposition, sans précision sur le contexte (« merci d’arrêter le médicament »). Dans d’autres IP, des sigles sont employés, mais incompris du prescripteur qui peut le faire remarquer, comme « DAPT », pour une double anti-agrégation plaquettaire. Or, des études se sont intéressées à l’importance de la qualité rédactionnelle d’une IP. Sa formulation regroupe le contexte dans lequel elle est émise, son contenu ainsi que sa structure rédactionnelle (71). L’IP doit être claire, concise, précise, exhaustive, centrée sur le patient et standardisée. Un format standard est préconisé, de type SOAP : présentation des données Subjectives et Objectives du patient, Analyse puis Planification (50). Ce format consiste en une description du contexte, du problème et les conséquences éventuelles puis en une proposition de solution. Si plusieurs problèmes médicamenteux existent, une priorisation des plus importants doit être réalisée. Il est possible d’utiliser des abréviations mais il faut que celles-ci soient claires et connues des autres

80 professionnels de santé (72). Au total, la rédaction de l’IP en texte libre permet certes une rapidité mais peut également manquer d’exhaustivité et de précision.

Cette hétérogénéité du codage se surajoute bien évidemment au manque de reproductibilité de l’analyse pharmaceutique, et ce malgré les recommandations tendant à lisser ces écarts. Très peu d’études ont évalué cette homogénéité de la production d’IP entre pharmaciens (73). L’une d’entre elles a comparé deux analyses simultanées des mêmes 60 prescriptions, l’une par un pharmacien, l’autre par un interne. Seulement 18 % des IP étaient communes alors que 61 % d’entre elles ont été jugées pertinentes (74). Une autre étude évalue la sensibilité de la détection d’erreurs médicamenteuse entre 20 % et 57 % et sa spécificité entre 93 % et 99 % (75).

Ce manque d’homogénéité peut en partie être expliqué par l’organisation de la pharmacie clinique au sein du CHU de Toulouse. Chaque pôle pharmaceutique est globalement assez indépendant. Les internes de chaque secteur sont formés par leur pharmacien sénior, à l’origine d’une analogie plutôt interne à un pôle et non transversale à l’ensemble des équipes pharmaceutiques.

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