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Limites locales de cartes aléatoires

1.4 Limites locales de cartes aléatoires

Jusqu’à présent, nous nous sommes intéressés à des limites d’échelle de grandes cartes aléatoires. Autrement dit, nous avons renormalisé les distances dans ces cartes par leur taille typique de sorte à obtenir à la limite des espaces métriques aléatoires compacts. Une autre approche consiste à étudier des limites de grandes cartes aléa-toires sans changement d’échelle. On obtient alors des cartes aléaaléa-toires infinies qui constituent l’un des objets d’étude principaux de cette thèse.

1.4.1 La topologie locale

La construction de cartes aléatoires infinies requiert l’introduction d’une topologie sur l’ensemble des cartes, appelée topologie locale. Elle a d’abord été introduite par Itai Benjamini et Oded Schramm dans [BS01]. Nous allons utiliser une définition légèrement différente due à Omer Angel et Oded Schramm [AS03].

Commençons par introduire quelques notations. Pour tout R ≥ 0 et toute carte m ∈ Mf, on note BR(m) la boule de rayon R dans m autour de l’origine, pour la distance de graphe. Autrement dit, B0(m) est le sommet origine de m, et pour tout R ≥ 1, BR(m) est la carte formée par tous les sommets de m à distance de graphe inférieure ou égale à R de l’origine, ainsi que toutes les arêtes reliant ces sommets.

La topologie locale est métrisée par la distance locale dloc, définie par

dloc(m, m) := (1 + sup{R ≥ 0 : BR(m) = BR(m)})−1, m, m ∈ Mf. (1.12) On peut effectivement montrer que dloc est une distance surMf, et que le complété M de l’espace métrique (Mf, dloc) est polonais (voir par exemple [Cur16a]). Intuiti-vement, deux cartes sont proches au sens de la distance locale si elles ont la même boule de rayon R autour de leur racine, pour R très grand.

Les éléments deM:=M\Mf sont appelés des cartes planaires infinies, et sont représentés par une suite (mR : R ≥ 0) d’éléments de Mf cohérente, au sens où BR(mR+1) = mR pour tout R ≥ 0. Néanmoins, une carte planaire infinie avec un seul bout (en tant que graphe) peut être vue comme une classe d’équivalence (à homéomorphisme préservant l’orientation près) de plongements propres de graphes infinis dans le plan R2, de sorte que tout compact de R2 n’intersecte qu’un nombre fini d’arêtes (voir [CMM13, Appendice] et [Cur16a, Proposition 2] pour plus de détails). Dans la suite, toutes les cartes infinies que nous considérons ont un seul bout (ou un plongement canonique dans le plan), de sorte que tout élément deMpeut être vu comme une telle classe d’équivalence. Le bord ∂m d’une carte infinie m ∈ M est alors formé par l’ensemble des arêtes et sommets incidents à la face externe (à droite de la racine). Le bord est infini lorsque la face externe a degré infini, et dans ce cas, il est dit simple s’il est isomorphe à Z en tant que graphe.

Une carte infinie avec un seul bout a au plus une face de degré infini. Lorsque toutes ses faces sont finies, elle décompose le plan R2 en une collection de domaines simplement connexes bornés et on parle d’une carte infinie du plan. Si au contraire elle possède un bord simple infini, elle décompose le demi-plan supérieur H en une

telle collection et on parle d’une carte infinie du demi-plan (à bord simple). Par abus de langage, une carte infinie ayant un seul bout et un bord infini est parfois également appelée carte infinie du demi-plan (à bord quelconque ou général). Les définitions de p-angulation et de carte bipartie (à bord) s’étendent également aux cartes infinies.

Dans la suite, on s’intéressera notamment à l’ensembleTloc des arbres plans

loca-lement finis, qui sont les limites locales d’arbres plans. Ils sont également obtenus en étendant la Définition1.1.3aux arbres avec une infinité de sommets (de degré fini).

1.4.2 Cartes uniformes infinies du plan

Le premier résultat de convergence locale de cartes aléatoires est dû à Omer Angel et Oded Schramm [AS03].

Théorème 1.4.1. ([AS03, Théorème 1.8]) Pour tout n≥ 1, soit P

n la mesure uniforme sur l’ensemble M

n des triangulations sans boucle à n sommets. Alors, au sens faible,

pour la topologie locale,

Pn =⇒

n→∞P. Une variable aléatoire de loi P

est appelée Triangulation Uniforme Infinie du Plan (UIPT). Presque sûrement, l’UIPT a un seul bout [AS03, Théorème 1.10] et est une triangulation du plan (voir la Figure1.7). La géométrie de cet objet et les modèles de physique statistique sur celui-ci ont été très largement étudiés. Nous y reviendrons au chapitre suivant.

FIGURE1.7 : La Triangulation Uniforme Infinie du Plan.

Le Théorème1.4.1a été étendu au cas quadrangulaire par Maxim Krikun [Kri05].

Théorème 1.4.2. ([Kri05, Théorème 1]) Pour tout n≥ 1, soit P

n la mesure uniforme sur l’ensembleM

n des quadrangulations àn faces. Alors, au sens faible, pour la

topolo-gie locale,

Pn n=⇒

→∞P. De même, une variable aléatoire de loi P

est appelée Quadrangulation Uniforme

1.4. Limites locales de cartes aléatoires

1.4.3 Cartes uniformes infinies du demi-plan

À la suite de son travail avec Oded Schramm, Omer Angel propose dans [Ang04] d’étendre la construction de l’UIPT aux cartes à bord simple, et obtient le résultat que nous présentons maintenant. Pour tous n ≥ 0 et k ≥ 2, on note cMn,k l’ensemble des triangulations sans boucle à bord simple ayant périmètre k et n sommets internes (i.e., n’appartenant pas à la face externe). Un élément de cMn,k est parfois appelé

triangulation duk-gone (avec n sommets internes), parce que sa face externe (simple) est un polygone de degré k.

Théorème 1.4.3. ([AS03, Théorème 5.1] et [Ang04, Théorème 2.1]) Pour tous n≥ 0

etk ≥ 2, soit bPn,k la mesure uniforme sur cMn,k. Alors, au sens faible, pour la topologie locale, bP n,k =⇒ n→∞bP ∞,k et bP ∞,k =⇒ k→∞ bP ∞,∞.

Une variable aléatoire de loi bP∞,k est appelée Triangulation Uniforme Infinie du k-gone (UIPT du k-gone), et a été introduite dans [AS03]. Presque sûrement, il s’agit d’une triangulation du k-gone, c’est-à-dire une triangulation infinie ayant un seul bout et un bord simple de périmètre k. En faisant tendre ce périmètre vers l’infini, on obtient la mesure de probabilité bP∞,∞. Une variable aléatoire ayant cette loi est appelée Triangulation Uniforme Infinie du Demi-Plan (UIHPT) à bord simple. Comme la terminologie l’indique, l’UIHPT est presque sûrement une triangulation du demi-plan à bord simple, ayant un seul bout et un bord simple infini (voir la Figure1.8).

FIGURE1.8 : La Triangulation Uniforme Infinie du Demi-Plan.

L’UIHPT apparaît également comme limite locale de cartes de type Boltzmann. Pour tout k ≥ 2, on définit une mesure de Boltzmann sur l’ensemble des triangula-tions du k-gone en assignant un poids q > 0 à chaque sommet interne d’une trian-gulation. Cette construction, semblable à celle de la Section 1.3.3, est possible si et seulement si la masse totale des triangulations du k-gone (aussi appelée la fonction

de partition) est finie, c’est-à-dire

Wk(q) :=X

n≥0

# cMn,kqn<∞. (1.13) Par des résultats d’énumération (voir par exemple [Kri07]), ceci est vrai dès que q ≤ 2/27. On note Wk := Wk(2/27) la valeur de la fonction de partition au para-mètre critique. La mesure de Boltzmann critique sur les triangulations (sans boucle) du k-gone, notée Wk, est alors définie par

Wk(m) = 1 Wk  2 27 n , m∈ cMn,k, n∈ Z+. (1.14) Le résultat suivant est également dû à Omer Angel.

Théorème 1.4.4. ([Ang04, Théorème 2.1]) Pour tout k ≥ 2, soit Wk la mesure de Boltzmann critique sur les triangulations duk-gone. Alors, au sens faible, pour la

topo-logie locale,

Wk =⇒

k→∞ bP ∞,∞.

Les Théorèmes 1.4.3et1.4.4 peuvent également être généralisés au cas des qua-drangulations, voir [AC15, CM15]. Il faut néanmoins prendre garde au fait qu’une quadrangulation a nécessairement périmètre pair, et considérer l’ensemble cM

n,k des quadrangulations à bord simple de périmètre 2k ayant n sommets internes. La me-sure limite bP∞,∞ est naturellement appelée la (loi de la) Quadrangulation Uniforme

Infinie du Demi-Plan(UIHPQ) à bord simple.

La question de la limite locale des cartes uniformes à bord général (i.e., non né-céssairement simple) a été étudiée par Nicolas Curien et Grégory Miermont dans [CM15]. Dans la suite, pour tous n ≥ 0 et k ≥ 1, on note M

n,k l’ensemble des quadrangulations à bord (général) de périmètre 2k ayant n faces internes.

Théorème 1.4.5. ([CM15, Théorème 2]) Pour tous n≥ 0 et k ≥ 1, soit P

n,k la mesure uniforme surM

n,k. Alors, au sens faible, pour la topologie locale,

Pn,k =⇒

n→∞P∞,k et P∞,k =⇒

k→∞P∞,∞. Une variable aléatoire de loi P

∞,∞ est appelée Quadrangulation Uniforme Infinie

du Demi-Plan(UIHPQ) à bord général. Presque sûrement, il s’agit d’une quadrangu-lation du demi-plan à bord général, ayant un seul bout et un bord infini non simple.

Se pose alors la question du lien entre l’UIHPQ à bord simple bP

∞,∞ et l’UIHPQ à bord général P

∞,∞. La réponse se trouve également dans [CM15]. Pour la com-prendre, il faut introduire une décomposition des cartes à bord en leurs composantes

irréductibles, proposée dans [BG09] (voir aussi [CM15, Section 2.2]). Les compo-santes irréductibles d’une carte à bord m∈ M sont les cartes à bord simple que l’on obtient à partir de m en coupant en deux tous les points de pincement (ou points de coupure) de son bord (voir la Figure2.4pour un exemple). Lorsqu’une carte m a une unique composante irréductible infinie (i.e., avec une infinité de sommets), on l’appelle le noyau de la carte et on la note Core(m).

1.4. Limites locales de cartes aléatoires

Proposition 1.4.6. ([CM15, Proposition 6]) Soit Q

une variable aléatoire de loi

P

∞,∞. Alors, presque sûrement, Qa une unique composante irréductible infinie notée

b

Q:= Core(Q

), et bQ a la loi bP ∞,∞.

Autrement dit, l’UIHPQ à bord général peut être obtenue à partir de l’UIHPQ à bord simple en attachant des quadrangulations finies aux sommets de son bord.

La construction du Théorème1.4.5s’étend au cas des triangulations et permet de définir la Triangulation Uniforme Infinie du Demi-Plan (UIHPT) à bord général, dont la loi est notée P

∞,∞. On renvoie à la Section 3.5pour plus de détails à ce sujet. Les Théorèmes 1.4.3 et 1.4.5 reposent sur deux techniques distinctes que nous décrivons brièvement. Ces techniques fournissent également une construction alter-native de l’UIPT et de l’UIPQ. Plus généralement, elles permettent de comprendre des propriétés différentes des limites locales de cartes aléatoires.

La propriété de Markov spatiale. La propriété de Markov spatiale est une propriété de certains objets aléatoires d’avoir une forme d’invariance sous l’effet d’un condi-tionnement. Elle apparaît par exemple sur les processus Schramm-Loewner Evolution (SLE) ou sur le Champ Libre Gaussien (GFF). Certaines limites locales de cartes aléa-toires possèdent également cette propriété. Intuitivement, elle affirme que lorsqu’on retire une face de la carte, les composantes connexes obtenues sont des variantes indépendantes de cette carte. En ce sens, on peut aussi l’interpréter comme une pro-priété de branchement. Toute la force de la propro-priété de Markov spatiale réside dans ses applications aux processus d’épluchage, dont le principe est de révéler une carte face par face. Cette idée a d’abord été introduite en physique théorique par Yoshiyuki Watabiki [Wat95], et développée dans le contexte des cartes aléatoires par Omer An-gel. Il obtient d’abord une construction alternative de l’UIPT [Ang03], puis utilise ce procédé pour construire et étudier l’UIHPT [Ang04]. Les processus d’épluchage peuvent être adaptés à l’étude de différentes propriétés des cartes, comme la vitesse de croissance des boules [Ang03] ou la percolation [Ang03, Ang04, MN14, AC15]. Nous y reviendrons aux Chapitres 6et 7. Omer Angel et Gourab Ray ont également obtenu une classification des triangulations du demi-plan satisfaisant la propriété de Markov spatiale (et une invariance par changement de racine) en une famille à un paramètre [AR15]. Les processus d’épluchage ont récemment été généralisés à une classe beaucoup plus large de cartes par Timothy Budd [Bud15].

Techniques bijectives. Les techniques dites bijectives reposent sur l’extension des bijections entre cartes finies et arbres bien étiquetés à des cartes infinies. Cette idée est due à Philippe Chassaing et Bergfinnur Durhuus [CD06], qui ont proposé une construction alternative de l’UIPQ à partir de la limite locale d’arbres bien étiquetés. L’équivalence entre cette construction et celle du Théorème 1.4.2 a été démontrée par Laurent Ménard [Mé10]. Ces techniques ont permis d’établir certaines propriétés géométriques de l’UIPQ, voir [LGM10,CMM13,CLG13]. La construction de l’UIHPQ à bord général du Théorème 1.4.5s’appuie également sur des techniques bijectives, comme nous le verrons dans la Section 3.2.2. De même, elle a été utilisée pour étu-dier la géométrie de l’UIHPQ (notamment les géodésiques et les limites d’échelle de celle-ci) dans [CM15,CC15,BMR16]. Nous y reviendrons aux Chapitres3et4.

1.4.4 Limites locales des cartes de Boltzmann

Pour conclure, nous présentons des résultats de limites locales des cartes de Boltz-mann biparties définies dans la Section 1.3.3. Commençons par le cas des cartes de Boltzmann biparties conditionnées à avoir n faces, dont la loi Pq,n a été définie par (1.11). L’étude de la limite locale de ces cartes lorsque le nombre de faces tend vers l’infini a été initiée par Jakob Björnberg et Sigurður Örn Stefánsson [BS14].

Théorème 1.4.7. ([BS14, Théorème 1.1]) Soit q une suite de poids admissible. Alors,

au sens faible, pour la topologie locale,

Pq,n =⇒

n→∞ Pq,.

Une variable aléatoire de loi Pq,∞est appelée Carte de Boltzmann Infinie du Plan de paramètre q (q-IBPM). Presque sûrement, la q-IBPM a un seul bout et est une carte bi-partie du plan ([BS14, Théorème 1.1]). Si l’on choisit la suite de poids qk = 12−1δ2(k) correspondant aux quadrangulations de Boltzmann critiques (voir [BG09, Section 4.1]), Pq,∞est aussi la loi P

de l’UIPQ. Ce résultat est basé sur des techniques bijec-tives, et a été étendu à des cartes de Boltzmann non biparties par Robin Stephenson [Ste16, Théorème 6.1]. Enfin, Nicolas Curien a obtenu une preuve alternative du Théorème1.4.7en utilisant des techniques d’épluchage [Cur16a, Théorème 8].

Le cas des cartes de Boltzmann à bord (général) à également été traité par Nicolas Curien [Cur16a]. Lorsqu’on considère des cartes à bord, la face racine est interprétée comme ne faisant pas partie de la carte, ce qui conduit à la définition légèrement différente du poids de Boltzmann

wq(m) := Y

f∈F(m)\{f∗}

qdeg(f )/2, m∈ Bf.

Pour tout k≥ 1, la mesure de Boltzmann sur l’ensemble Bf(k)des cartes biparties avec un bord de taille 2k est alors définie par

P(k)q (m) := 1n m∈B(k)f ow q(m) w q  Bf(k)  , m∈ Bf. (1.15)

Ceci revient à considérer une carte de loi Pq conditionnée à avoir périmètre 2k. Le résultat s’énonce comme suit.

Théorème 1.4.8. ([Cur16a, Théorème 7]) Soit q une suite de poids admissible. Alors,

au sens faible, pour la topologie locale,

P(k)q =⇒

k→∞ P(∞)q .

Une variable aléatoire de loi P(q∞) est appelée Carte de Boltzmann Infinie du

Demi-Plande paramètre q (q-IBHPM). Presque sûrement, la q-IBHPM est une carte bipartie du demi-plan à bord général, ayant un seul bout et un bord infini non simple [Cur16a, Théorème 7]. Pour le choix de suite de poids qk = 12−1δ2(k) correspondant aux quadrangulations de Boltzmann critiques, P(∞)q est la loi P

∞,∞ de l’UIHPQ à bord général. Nous étudierons plus en détail le bord de ces cartes au Chapitre5.

2

Géométrie et percolation sur des cartes à

bord aléatoires

Dans ce chapitre, nous présentons nos contributions à l’étude des cartes aléatoires. Dans un premier temps, nous nous intéressons à la géométrie de cartes à bord aléa-toires, ce qui correspond à la Partie II de ce manuscrit. Les résultats s’appuient sur les travaux [1] (Chapitre 3en collaboration avec Erich Baur et Grégory Miermont), [2] (Chapitre 4 en collaboration avec Erich Baur) et [5] (Chapitre 5). Dans un se-cond temps, nous étudierons des modèles de percolation sur des cartes aléatoires, correspondant à la Partie III de ce manuscrit. Les résultats sont issus des travaux [3] (Chapitre 6) et [4] (Chapitre 7). Les contributions originales de cette thèse sont signalées par un encadré.

Sommaire

2.1 Limites du bord des cartes de Boltzmann . . . 29

2.1.1 Arbres à boucles . . . 30

2.1.2 Limites d’échelle du bord des cartes de Boltzmann . . . 34

2.1.3 Limites locales du bord des cartes de Boltzmann . . . 35

2.1.4 Application au modèle O(n) rigide sur les quadrangulations . . 37

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