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Même si ses conclusions sont riches, ce travail se heurte à trois grands types de limites. L’absence de plusieurs données intéressantes sur le sujet est à déplorer. Plusieurs dispositifs (comme la rotation des postes ou les dépenses de formation) ne font pas l’objet d’un questionne-ment dans l’enquête COI. Cette carence est d’autant plus regrettable que ces variables exercent vraisemblablement une influence sur le risque d’AT ou de TMS, et sont potentiellement corrélées avec les variables explicatives prises en compte. L’absence de ces variables dans nos modèles est donc susceptible de biaiser certaines estimations. Ensuite, la connaissance de la motivation der-rière la candidature à ISO 9001 ou à une labellisation aurait conduit à préciser nos interprétations. En outre, un horizon temporel plus long que trois années aurait permis d’étudier plus rigoureu-sement l’incidence à plus long terme de ces pratiques organisationnelles sur le risque d’AT et de TMS. Enfin, seules les données AT et TMS du régime général sont à notre disposition et ont pu être utilisées dans cet article. Cette dernière limite doit néanmoins être relativisée, puisque la grande majorité des AT et des TMS des entreprises du secteur privé, concernées par cette enquête, sont connus.

Ensuite, en l’absence de variables instrumentales idoines, ce travail ne propose pas un traite-ment complètetraite-ment satisfaisant des biais de simultanéité susceptibles d’affecter nos résultats. La voie la plus prometteuse pour corriger nos estimations de ces possibles biais pourrait être de dis-poser d’une année supplémentaire dans le panel, pour l’utiliser comme variable instrumentale (à la condition que cette information s’avère bien un instrument pertinent).

Enfin, et surtout, la dynamique des changements organisationnels au sein des entreprises a été peu intense entre 2003 et 2006. Les entreprises ont peu modifié l’organisation de leur appareil de production durant cette période, notamment parce que les changements avaient déjà été opérés

45. À titre d’exemple, l’estimation de la variable « équipes autonomes » est de −8 dans un modèle avec instruments (où elle-seule est instrumentée), contre −0, 034 dans le modèle de comptage (sans instrument).

auparavant. Plusieurs variables explicatives (notamment dans les analyses par secteur d’activité) auraient probablement influé significativement sur le risque d’AT ou de TMS si un nombre plus important de changements avaient été observés entre 2003 et 2006. De même, l’enquête survient après une période de réorganisation massive des entreprises. Aussi, il est possible que les entre-prises qui adoptent ces changements entre 2003 et 2006 disposent d’un retour d’expérience, glané auprès des autres entreprises déjà réorganisées, sur l’effet de ces dispositifs sur le fonctionnement de l’entreprise. Les entreprises qui ont engagé des réorganisations entre 2003 et 2006 ont peut-être pu capitaliser sur ces informations pour optimiser l’introduction de ces dispositifs. Aussi, rien ne permet d’affirmer que les résultats commentés dans cet article auraient été semblables si l’estima-tion avait été conduite au début de la phase de réorganisal’estima-tion des entreprises.

8 Conclusion

Cet article étudie l’impact des nouvelles pratiques de travail, dont certaines sont inspirées des procédures du toyotisme, sur le risque d’accidents du travail et de troubles musculo-squelettiques. Il utilise un modèle économétrique de données de comptage en panel à effets fixes. Les données de comptage permettent de prendre en compte rigoureusement les propriétés des variables dé-pendantes, qui sont des variables entières, comportant un nombre faible de valeurs différentes et une forte proportion de valeurs nulles. L’analyse en panel permet de s’assurer que les résultats ne sont pas entachés d’un biais qui proviendrait d’effets inobservés, propres à chaque entreprise, fixes dans le temps et corrélés avec l’adoption des pratiques, comme par exemple le fait que ces pratiques soient le plus souvent utilisées par les entreprises les plus dangereuses.

Les résultats suggèrent que l’obtention de la certification ISO 9001 (norme concernant le ma-nagement de la production) se révèle bénéfique, en suscitant des gains de productivité et en ré-duisant les accidents du travail, à court ou moyen terme, mais ceci uniquement dans les grandes entreprises (à partir de 200 salariés). Des analyses statistiques additionnelles suggèrent aussi un effet à la baisse à moyen terme des TMS. En revanche, dans les petites entreprises, la certification ne semble pas avoir d’incidence sur le risque d’AT ou la productivité. Ce résultat semble nouveau, le précédent travail économétrique publié sur le sujet [Levine and Toffel, 2010] ne parvenant pas à établir un lien entre cette certification et le nombre d’AT, vraisemblablement parce qu’il se restreint à des petites entreprises.

La certification ISO 9001 implique la formalisation de l’ensemble des tâches effectuées par l’en-treprise dans le cadre de son activité ainsi que leur interaction. Cet article laisse penser que cette formalisation n’améliore la sécurité qu’à la condition que l’entreprise l’analyse. Ce travail lui per-met de repérer les pratiques dangereuses et de les substituer par des plus sécurisées, d’analyser et d’expliquer la survenue des accidents en vue de proposer des mesures de prévention, mais aussi d’évaluer et de mettre en place les ressources (aussi bien humaines que matérielles) nécessaires à l’exécution d’un travail dans des conditions de sécurité optimales (par exemple, sécurisation des locaux, formation adaptée de la main d’oeuvre . . .).

Or, cette analyse est sans doute beaucoup plus souvent pratiquée dans les grandes entreprises, qui disposent de plus de moyens (en termes de temps, de ressources humaines . . .) pour l’entre-prendre. Les plus petites entreprises ne peuvent sans doute pas se permettre cet effort. En outre, l’obtention de la certification leur est sans doute souvent imposée par un donneur d’ordre, et elles sont de fait plus susceptibles de considérer les outils proposés par la certification comme de simples formalités pour l’obtenir, sans chercher à en retirer un profit.

Si la certification relative au management tend à améliorer la sécurité, celle associée aux biens et services (la labellisation) s’accompagne en revanche en moyenne d’une hausse des AT. La label-lisation contraint l’entreprise à produire un bien ou service qui respecte des critères précis (niveau de qualité minimal, caractéristiques précises . . .). Le surcroît du risque d’AT provient vraisembla-blement du fait que les exigences de la norme modifient le travail des salariés ou en accroissent l’intensité, au point que ces derniers éprouvent des difficultés à s’adapter.

L’entrée dans un réseau augmente le risque d’AT et la productivité des entreprises. Les deux résultats sont peut-être liés, l’augmentation de la productivité pouvant provenir d’une hausse de l’intensité du travail de nature à précipiter les gestes des salariés et à conduire plus souvent qu’à

l’accoutumée à des accidents. Mais l’entrée dans un réseau implique aussi peut-être une modifica-tion profonde du travail propre à provoquer à court terme davantage d’accidents.

La mise en place des méthodes de type analyse fonctionnelle ou analyse de la valeur est as-sociée à une baisse du risque d’accidents et de la productivité, très probablement parce que ces dispositifs améliorent la sécurité au prix d’un coût d’adoption qui freine la productivité.

L’article montre aussi que chaque pratique peut avoir un effet propre en fonction du secteur d’activité qui l’adopte. Ainsi, la livraison en juste-à-temps accroît la productivité, mais aussi les AT (sans doute du fait d’une intensification du travail) dans les secteurs du commerce de gros et du conseil et assistance. La mise en place de la traçabilité se traduit aussi par une hausse des AT et de la productivité dans les activités industrielles, sans doute car, en permettant d’optimiser les stocks à la demande exprimée et anticipée, elle conduit à une augmentation soudaine et imprévue de l’intensité du travail, propice aux accidents, lorsque les stocks sont insuffisants pour satisfaire une forte demande.

Cependant, les résultats obtenus reposent sur des estimations contraintes par le nombre réduit d’adoption ou de rejet de ces pratiques entre les deux dates (seulement un quart des entreprises ont adopté au moins une de ces nouvelles pratiques). Les estimations en panel sont peu précises lorsqu’un nombre réduit d’entreprise a adopté ou abandonné un dispositif. Si un nombre plus élevé d’entreprises avait opéré un changement, ou si le panel offrait des informations sur l’uti-lisation des dispositifs au cours de plusieurs années, il est possible que les estimations auraient permis de détecter une influence d’un nombre plus important de dispositifs sur les AT.

Enfin, si les données en notre disposition sont très riches, elles ne renseignent pas sur certains dispositifs (comme la rotation des postes) ou certaines pratiques (comme les formations proposées à la main d’oeuvre) qui pourraient avoir un lien avec les AT et être corrélés avec l’adoption des nouvelles pratiques organisationnelles. En particulier, la mise en place du juste-à-temps n’influe pas, contrairement à nos attentes, sur le risque d’AT, peut-être parce que le dispositif est constam-ment associé à la rotation des postes.

Annexes

A Le modèle économétrique utilisé dans cet article

Cette annexe montre que l’on peut déboucher sur le modèle utilisé dans cet article en postulant

un modèle paramétrique dans lequel yitsuit une loi de Poisson de paramètre αiλiten présence de

« surdispersion », c’est-à-dire si V (yit|xit) > E(yit|xit).

L’annexe présente successivement les modèles de Poisson en coupe et en panel.

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