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Les limites juridiques et institutionnelles de 25 ans de gestion communautaire des

ressources forestières (GCRF) à Madagascar

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Résumé

Les transferts de gestion se sont multipliés durant les 25 dernières années à Madagascar, où 1 248 contrats de transferts de gestion (TG) ont été recensés en 2014. Pourtant, les écarts se sont creusés entre le cadre théorique et le cadre pratique de la mise en œuvre de la Gestion Communautaire des Ressources Forestières (GCRF). Quelles ont été les causes ayant entravé l’efficacité de la politique de GCRF par rapport aux objectifs de conservation des forêts naturelles et d’amélioration des conditions de vie des populations locales ? L’analyse conclut à l’existence d’un désordre juridique portant atteinte à l’application efficace du droit, lequel se manifeste par la présence d’importantes incohérences des textes de base et par l’inexistence des textes d’application de la loi GELOSE. L’application inefficace des règlementations locales a également contribué à fragiliser la GCRF. Du point de vue institutionnel, malgré des principes inscrits dans les documents de référence, la synergie entre la GCRF et les politiques sectorielles est relativement faible. Les recommandations insistent sur l’urgence de mettre en cohérence les textes et de donner la priorité à l’adoption de dispositions techniques favorisant l’intersectoralité.

(Tiré de l’étude conduite par les auteurs pour le compte de la Banque mondiale, intitulée Analysis of Community

7.1 Introduction

Depuis les années 1990, Madagascar s’est engagée dans un large programme environnemental qui, sur la base d’un effort coordonné des bailleurs de fonds, a permis d’engager plus

de 400 millions de dollars en 25 années pour promouvoir le développement durable

(Gouvernement malgache, 2014). Parmi les axes d’intervention, et sous l’impulsion du droit international de l’environnement, la participation des populations locales à la gestion des forêts a été encouragée. Un cadre légal et réglementaire réformateur a été mis en place (loi 96 025 dite loi GELOSE) et les contrats de transferts de gestion (TG) des ressources forestières de l’État aux populations locales sur le territoire national se sont multipliés. Suite au Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992, et dans le contexte de la mise en œuvre du Plan d’Action

Environnemental (1990-2013)6, Madagascar a été l’un des premiers pays du Sud à s’engager

dans la formulation d’un cadre légal et réglementaire original pour la gestion communautaire des ressources forestières (GCRF) (Andriantsilavo et al. 2006, Montagne et al. 2007). Cet engagement s’est fait en parallèle avec la signature de la Convention sur la diversité biologique qui a introduit une nouvelle approche de la gestion des ressources forestières (aux trois

échelles : génétique, spécifique et écosystémique), laquelle fait de l’implication des populations locales un instrument incontournable. Ainsi, la loi GELOSE occupe à Madagascar un rôle central en matière de GCRF. Cette loi, de portée générale (art. 57), concerne « les forêts, la faune et la flore sauvages aquatiques et terrestres, l’eau et les territoires de parcours » (art. 2). Peu d’efforts ont été déployés jusqu’ici pour apprécier l’impact de cette politique. La plupart des analyses restent très localisées et/ou ponctuelles (MEF, 2013). La récente mise à disposition des informations relatives à la spatialisation des contrats de TG a permis d’initier une étude nationale (Rasolofoson, 2015) soulignant que l’impact de la gestion communautaire des ressources forestières (GCRF) sur le maintien de la couverture de forêts naturelles et sur l’amélioration des conditions de vie des populations n’est pas significatif à l’échelle de la Grande île.

Les transferts de gestion se sont multipliés durant les 25 dernières années à Madagascar, où 1 248 contrats de transferts de gestion (TG) ont été recensés en 2014. Pourtant, les écarts se sont creusés entre le cadre théorique et le cadre pratique de la mise en œuvre de cette GCRF. Quelles ont été les causes ayant entravé l’efficacité de la politique de GCRF par rapport aux objectifs de conservation des forêts naturelles et d’amélioration des conditions de vie des populations locales ? En quoi et pourquoi le droit ne s’est-il pas imposé comme cadre référentiel des activités conduites ? Pour répondre à ces questions, une étude des dispositions légales et réglementaires ainsi que d’autres facteurs s’impose. La comparaison de l’approche normative avec la pratique, les contraintes et les motivations des acteurs impliqués dans la GCRF durant les 25 dernières années, porte à la fois sur le cadre légal et réglementaire de la GCRF, l’intersectoralité dans le développement de la GCRF, et les paramètres sociaux influant sur la GCRF.

Les résultats de ces analyses permettent de formuler des recommandations afin que la GCRF devienne un levier plus efficient du développement « plus durable et plus équitable » que le gouvernement malgache ambitionne d’initier.

7.2 Méthodologie

7.2.1 Cadre d’analyse

Compte tenu de l’existence de plusieurs notions associées à la gestion communautaire et pour éviter toute ambiguïté, cette étude a été centrée sur les contrats formalisés (contrats écrits) et constituant une délégation de gestion de mission de service public de l’administration forestière. La gestion communautaire s’inscrivant dans un processus démocratique et de décentralisation, l’analyse a été focalisée sur la gestion décentralisée des ressources forestières incluant les modes de gestion contractuels. La GCRF à Madagascar est un système de gouvernance défini par un cadre légal et réglementaire original. À travers la loi GELOSE, Madagascar, pays pionnier dans la formulation d’un cadre légal pour la GCRF, a établi la participation des populations rurales à la gestion des ressources naturelles

renouvelables (RNR) comprises sur leurs territoires coutumiers7 ou leurs terroirs agricoles,

sur la base d’un contrat de transfert de gestion signé par le propriétaire, l’État ou la CTD, ou

à défaut, le gestionnaire officiel de la ressource considérée8.

7.2.2 Le cadre légal et réglementaire de la GCRF à Madagascar

La comparaison de l’approche normative avec la pratique, les contraintes et les motivations des acteurs impliqués dans la GCRF durant ces 25 dernières années, permet d’apprécier en quoi et pourquoi le droit en la matière ne s’est pas imposé comme cadre référentiel des activités conduites. Plus particulièrement, l’analyse du cadre légal et réglementaire, des contrats et d’autres actes administratifs, a reposé sur un recensement des textes sectoriels et intersectoriels relatifs à la GCRF. L’analyse de ces textes a permis de poser le droit « positif », régissant la matière. Ce droit est normatif : il énonce comment les choses devraient être. En ce sens, il pose les objectifs à atteindre et énonce les principes qui devraient guider les activités des sujets de droit concernés. Cependant, force est de constater que le droit positif peut présenter à Madagascar quelques « lacunes ». Celles-ci tiennent dans la plupart des cas au fait que (1) l’ordre juridique et la cohérence ou la hiérarchie des textes n’ont pas été respectés, ou bien que (2) les textes d’application de la loi n’ont pas été édictés. Un état de ces faiblesses a été établi pour ce qui concerne les textes relatifs à la GCRF au sein du droit forestier et du droit de l’environnement.

7.2.3 L’importance de l’intersectoralité dans le développement de la

GCRF à Madagascar

La GCRF ne peut être initiée que dans un environnement institutionnel propice considérant un certain nombre de secteurs de régulation ou d’activités. En effet, les communautés et leurs décisions sont fortement conditionnées par les politiques sectorielles. Ces dernières constituent des préalables ou des relais essentiels de la GCRF, et elles ont été analysées, d’une part à travers

7 Le territoire coutumier est l’espace dans lequel s’exercent une coutume particulière et donc un droit coutumier. Selon Maquet (1965) chaque unité sociale traditionnelle ayant une organisation politique indépendante (qu’elle soit un royaume, une chefferie, ou même parfois une communauté plus réduite, comme un village et son terroir) et donc un territoire, avait son propre droit coutumier.

8 Ainsi le TG ne concerne pas nécessairement un écosystème. Il peut s’agir de la population d’une espèce établie sur le terroir de la VOI.

les principaux textes de formalisation des politiques publiques, et d’autre part à travers des pratiques des acteurs observées sur le terrain ou dans la bibliographie nationale. La restitution du processus chronologique de leur élaboration a permis de mettre en exergue leur degré de synergie avec la mise en œuvre de la GCRF. Pour ce faire, quelques documents stratégiques, jugés les plus pertinents à propos de GCRF, ont été consultés. Toute information pouvant être interprétée comme ayant des liens avec la GCRF a été inventoriée et analysée, comme la gestion durable, la valorisation ou la conservation des ressources naturelles. Concernant la mise en œuvre de la GCRF, la littérature, notamment académique (mémoires, thèses), a beaucoup apporté, sans compter les expériences des auteurs qui consistent notamment en des discussions informelles avec différentes catégories d’acteurs, allant des agents de l’administration publique aux communautés locales, membres et non-membres des COBA, en passant par des agents d’ONG environnementales. Une lecture critique des documents stratégiques et des textes concernant la GCRF a été faite dans un premier temps, suivie d’un état des connaissances sur les réalités de terrain quant à la mise en œuvre de ces politiques.

7.2.4 Les facteurs sociaux affectant la GCRF

Cette partie s’est basée à la fois sur des résultats sélectionnés de la littérature et surtout sur les expériences réelles des auteurs. Elle est axée sur les paramètres sociaux portant préjudice à la mise en œuvre de la GCRF. On analyse de manière qualitative les facteurs expliquant de quelle manière les relations sociales entre les acteurs affectent l’efficacité des conventions sociales réglementant la GCRF locale. Cette partie tend à démontrer à partir de cas concrets l’impact de l’évolution démographique sur la GCRF.

7.3 Résultats et discussion

7.3.1 Défaillances juridiques entravant la GCRF

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