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B. Discussion des résultats

3. Limiter les prescriptions contre le gré des médecins :

éviter, ou tout au moins limiter, leurs prescriptions thérapeutiques.

S. Duffaut, en 2014, a étudié cette question des stratégies développées par les médecins, mais aussi les raisons de cette recherche de limitation de prescriptions et de non prescription médicamenteuse lors d’entretiens collectifs de médecins généralistes (8).

Les objectifs de limitation de prescription médicamenteuse pour les MG sont d’éviter la multiplication des médicaments dans des situations prédéfinies comme une pathologie aigüe simple, ou d’introduire des médicaments potentiellement addictifs ; évaluer et respecter la balance bénéfice / risque d’une thérapeutique ;

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minorer les co-prescriptions, voire remettre en question l’intérêt d’une prise en charge médicamenteuse au profit d’une non prescription médicamenteuse. Ces notions étaient évoquées par les MG interviewés, notamment l’idée de balance bénéfice / risque, et celle de ne pas nuire au patient, ne pas être nocebo comme le disait le MG6.

Les stratégies que mettent en place les MG sont de deux types : en consultation mais aussi hors consultation.

En consultation, les stratégies principales qui ressortent de ce travail sont : - l’attitude du praticien, qui se doit d’identifier au plus tôt la demande de

son patient pour éviter la prescription médicamenteuse inutile voire néfaste, ne pas « se faire piéger » comme l’évoquait le MG3. J’ajouterais à cette notion qu’il faut également s’assurer de bien comprendre la demande du patient, et de s’efforcer de lui faire verbaliser l’attente réelle car l’on sait que l’inadéquation entre la perception des attentes du patient par le médecin et les attentes réelles du patient est un facteur de sur prescription(13).. Pour cela, écoute et compréhension sont des données essentielles mises en avant dans l’article, comme chez les six MG interrogés. Comme l’indiquait également le MG3, un examen clinique appuyé permet aussi de rassurer le patient et de lui faire accepter la décision médicale. Avec ce temps clinique qu’il passe avec le patient, le MG lui montre qu’il s’intéresse à lui, que son état le préoccupe, et qu’il est attentif à son bien-être. L’examen clinique appuyé, approfondi, donne également plus de crédibilité au MG, notamment quand la décision thérapeutique qui en découle est l’abstention thérapeutique.

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Montrer au patient que l’on est attentif, que l’on cherche de nombreux signes cliniques pour étayer un diagnostic, rend plus crédible la décision du MG de ne pas prescrire, le cas échéant, et permet de justifier qu’il n’y a pas de signe de gravité ni d’inquiétude malgré un examen clinique poussé. Cet examen clinique est donc à double effet : s’il renforce la confiance que le patient a envers son MG, la confiance entre ces deux personnes pourra renforcer le poids que cet examen clinique aura lors des consultations suivantes.

- De même, et pour rejoindre cette idée qu’évoquaient les MG5 et MG6 sur l’importance de l’écoute du patient et le fait que c’était ce qu’il retenait essentiellement de la consultation, il a été montré que le taux élevé de prescriptions d’antibiotique est lié à une faible satisfaction du patient par rapport au temps passé par le médecin à l’écouter ; et donc, que plus de temps consacré à l’écoute du patient peut réduire la prescription d’antibiotique, sans réduire la satisfaction du patient(36), au contraire. - L’explication et la négociation sont deux éléments importants pour limiter

la prescription : la compréhension du patient doit être basée sur ces explications venant du médecin. Son argumentation favorise la compréhension. Plusieurs praticiens de cette étude, comme ceux de la mienne, constatent le besoin d’être rassurés des patients, qui ne passe pas obligatoirement par une prescription médicamenteuse. Se retrouve aussi dans cet article la notion que le patient est le premier bénéficiaire d’une limitation de prescription, et donc, comme le disait le MG6, il y a deux gagnants à la consultation quand une non prescription médicamenteuse est réussie par le MG.

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- L’emploi de ressources est une autre stratégie des MG pour limiter leurs prescriptions : les actualités médiatiques (là encore, « les Antibiotiques, c’est pas automatique » est la plus citée), mais aussi les scores ou référentiels comme des agendas de sommeil ou des fiches Info-Patients de la revue Prescrire sont des exemples cités dans cette étude, mais que les MG de mon travail n’ont pas du tout évoqué. On peut s’interroger sur la raison pour laquelle ceci n’a pas été mentionné : les MG connaissent-ils ces éléments d’aide à la non prescription ? S’ils les connaissent, pourquoi ne les utilisent-ils pas ? Si ce n’est pas le cas, comment se fait-il qu’ils n’en aient pas connaissance ? Y a-t-il assez de médiatisation auprès des MG au sujet de ce type de brochures ? Il faudrait probablement que nos instances travaillent sur ces éléments et comment les faire connaître aux MG pour les aider à réduire leurs prescriptions médicamenteuses.

- Enfin, une systématisation de la consultation permet aussi cette limitation de prescription médicamenteuse, en relisant la prescription et en réévaluant les bénéfices / risques. Dans ce paragraphe, les auteurs mettent en relief l’importance de l’écrit pour le patient, et donc qu’une ordonnance de médicaments peut être remplacée par des conseils écrits. Ceci conforte l’idée du MG4 d’une consultation protocolisée, rituelle, avec cette ordonnance qui lui permettait de clôturer la rencontre avec le patient. Comme les MG de mon travail, certains MG de l’article de Duffaut et Liébart proposent une consultation de contrôle pour rassurer le patient sur son accompagnement.

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On remarque que dans les entretiens réalisés, la notion de rassurer le patient est essentielle (MG3, MG5, MG6). P. Cathébras (37) a travaillé sur ce sujet, et pour lui, la réassurance (anglicisme permettant de mieux traduire le phénomène) peut se définir comme une communication entre le médecin et son patient visant à soulager les inquiétudes du patient vis-à-vis de sa santé. Ceci implique de fournir une explication pour les symptômes et l’assurance qu’ils ne peuvent pas être dus à une maladie grave. Dans cette « réassurance », le médecin a un rôle essentiel, en étant le premier des « médicaments » du patient (30) : de nombreux patients, craintifs et anxieux d’être atteints d’une maladie grave, ou simplement parce qu’ils ne comprennent pas ce qui leur arrive, ou en perte de soutien, cherchent dans leur MG l’écoute, le réconfort et les explications qui les apaisent. C’est pourquoi le MG, clinicien au plein sens du terme, qui travaille essentiellement avec le patient, son interrogatoire, son examen physique, sans recours aux examens complémentaires, reste et doit rester le premier des « médicaments » essentiels. La pratique de la médecine clinique, avec de la patience, du temps et de l’empathie peut permettre de réussir l’exercice certes difficile mais essentiel de rassurer les patients à l’issue de la seule consultation, d’apporter le réconfort devant des pathologies sérieuses, faire comprendre et accepter des explorations complémentaires ou des effets indésirables de traitements.

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