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3 Fractals et multifractals : fondements théoriques

3.6 Limitations d’échantillon et divergence des moments

Dans le cas d’un champ multifractal quelconque (non nécessairement « universel »), deux limitations mathématiques vont impliquer que les lois d’échelle décrites précédemment ne sont pas valables pour des ordres de moments (très) élevés (Schertzer & Lovejoy, 1987 ; 1992 ; 1993 ; 1994). Chacune de ces limitations résulte en l’existence d’un ordre critique au-delà duquel l’estimation des moments ne peut être effectuée correctement. La première de ces limitations concerne les observables construits en moyennant une cascade multifractale à une résolution d’observation, c’est-à-dire les cascades de type « dressed » évoquées au paragraphe 3.3.2. En effet, les moments statistiques de ces cascades divergent au-delà d’un ordre noté classiquement qD. La seconde limitation est liée à l’estimation des moments sur un échantillon contenant un nombre fini de réalisations de la cascade aléatoires. En effet, étudier un nombre fini de réalisations revient à ne parcourir qu’un sous-espace fini de l’espace des réalisations possibles, et les moments ne pourront pas être estimés correctement au-delà d’un certain ordre (noté classiquement q ) car les moments d’ordres supérieurs sont associés à des s

singularités trop rares pour être « visibles » dans l’échantillon.

3.6.1 Divergence de certains moments des quantités intégrées

Comme mentionné au paragraphe 3.3.2, les cascades « dressed » Φλ construits par intégration de Φ sur des pixels de résolution 4 sont des variables aléatoires de lois différentes de celles de la cascade Φλconstruite uniquement à partir des résolutions comprises dans l’intervalle [1, 4]. Suivant la démonstration de l’annexe de (Lavallée et al.,

1991), il est possible d’exprimer Φλ comme le produit de Φλ et d’une variable aléatoire indépendante de la résolution : Π × Φ = Φλ d λ (Eq. 3.33)

où Π est le flux total (d’une réplique) de la cascade aléatoire sur son domaine de définition

A (qui est aussi le « pixel » de résolution 4 = 1) : d x dDx A D A d

9

9

Φ = Φ = Π λlim λ .

D’après l’équation (Eq. 3.33), il apparaît que Φλ et Φλ ont les mêmes propriétés de scaling à l’exception des ordres pour lesquels le moment Πq diverge. Schertzer & Lovejoy (1987) ont montré que les moments de Π et donc ceux de Φλ étaient divergents à partir d’un ordre critique qD, solution (si elle existe !) de l’équation :

) 1 ( ) (qD =D qDK (Eq. 3.34)

(et vérifiant la condition qD >1)

En termes de singularités, cette équation s’interprète par l’existence de singularités critiques

D

γ

γ

≥ qui sont suffisamment fortes aux très fines échelles pour ne pas être lissées par l’intégration D-dimensionnelle des échelles inférieures à l’échelle d’observation (qui est associée au terme Π). La fonction de co-dimension est linéaire dans l’intervalle des singularités

γ

γ

D.

L’existence d’un tel ordre critique est susceptible d’avoir une importance pour les applications du modèle. En effet, la distribution de probabilité des valeurs du champ est modifiée car l’existence de moments divergents est synonyme de queues de distributions épaisses, c’est-à-dire à décroissance hyperbolique (asymptotique) :

( )

qD s s ≥ Φ ∀

λ

Pr λ (Eq. 3.35)

De telles distributions de probabilité génèrent beaucoup plus de valeurs extrêmes que des distributions plus classiques (normales, log-normales, GEV de type 1, etc.), dont la queue de distribution, plus « mince », fait typiquement intervenir des lois exponentielles décroissantes. La mise en évidence (ou le rejet) d’un tel comportement est donc d’importance primordiale pour un grand nombre d’applications, par exemple en hydrologie. Ainsi, les temps de retour de certains événements de pluie extrêmes pourrait être inférieur de presque un ordre de magnitude aux temps de retour prédits par les approches statistiques standard si ce phénomène intervient réellement pour les précipitations.

Dans le cas particulier de la pluie, un certain nombre d’auteurs suggèrent sur une base empirique que la relation (Eq. 3.35) serait vérifiée avec qD ~3 : voir par exemple la revue de Hubert (2005) et l’article de Macor et al. (2007).

3.6.2 Contraintes liées à la taille d’échantillon

Sur une réalisation de la cascade à la résolution 4, les valeurs observables seront nécessairement limitées par la taille réduite de l’échantillon. Rappelons ici que les singularités représentent une mesure de l’intensité des événements et que les co-dimensions associées mesurent leur rareté. Si il existe une singularité de co-dimension supérieure à D, cela signifie que en moyenne les événements de cette intensité sont présents sur moins d’un pixel quelle que soit la résolution : ces événements ne seront donc généralement pas observables sur une réalisation : D c ≤ ≈ ≥ Φ

λ

γ

λ

γ

λ

λ ) ( ) Pr( (Eq.3.36)

Par dualité de Legendre, il existe aussi un ordre critique au-delà duquel les moments ne peuvent être estimés sans biais. En appliquant l’équation (Eq. 3.18), on montre que cet ordre est égal à :

(

( )

)

' c 1 D c

En particulier, l’équation ci-dessus se simplifie dans le cas des multifractals universels sous la forme : α 1 1 11 2 3 44 5 6 = C D qs (Eq. 3.38)

Les formules s’étendent aisément au cas où plusieurs (Ns) réalisations indépendantes sont prises en compte dans l’estimation des moments : il suffit de remplacer le terme D par D+Ds où Ds est une dimension additionnelle mesurant la portion d’espace probabiliste couverte par les réalisations. Le choix adéquat de cette « dimension d’échantillon » (Schertzer & Lovejoy, 1993) est tel que Ds =log(Ns)/log(

λ

).

3.6.3 Conséquences pour l’observation des valeurs extrêmes

En pratique, les deux limitations évoquées ci-dessus sont susceptibles d’intervenir. Deux cas peuvent alors se présenter (Schertzer & Lovejoy, 2002), suivant la valeur de min

(

q ,D qs

)

.

• Si qs <qD, l’échantillon est de taille insuffisante (contient trop peu de réalisations) pour permettre l’observation des singularités critiques conduisant à la divergence des moments. Seules les limitations d’échantillons interviennent : la fonction de co-dimension empirique n’est pas définie pour

γ

>

γ

set la fonction d’échelle des moments empirique K(q) est linéaire pour les ordres qqs. K(q)et sa dérivée restent continues au point q=qs.

• Si qs >qD, des singularités plus grandes que

γ

D sont observées. Le phénomène de divergence décrit au paragraphe 3.6.1 est effectivement observable.

En résumé, c’est le plus petit des deux ordres critiques qui va déterminer les propriétés du modèle vis-à-vis des valeurs extrêmes. Physiquement, cela veut dire que pour observer le phénomène critique de divergence des moments, il est nécessaire de travailler sur un

échantillon contenant un grand nombre de réalisations indépendantes de la cascade multifractale.

3.7 Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons défini les formalismes fractals et multifractals qui seront utilisés dans le cadre de ce travail. De façon générale, la multifractalité peut résulter de cascades multiplicatives stochastiques et se manifeste par des moments statistiques en loi puissance. Les exposants de « scaling » de ces lois définissent la fonction d’échelle des moments notée

K(q). Cette fonction est fondamentale car elle résume toutes les propriétés statistiques du

champ multifractal à toutes les résolutions. En théorie, cette fonction est assez peu contrainte (convexité), mais en pratique elle ne peut pas prendre n’importe quelle forme. En effet, des considérations de réalisme physique et notamment de continuité des échelles entraînent des contraintes mathématiques précises sur le choix des variables aléatoires intervenant dans la cascade multiplicative. Un attracteur possible est constitué par la famille des lois log-stables qui résultent en une forme analytique paramétrée de K(q) à deux paramètres. En outre, il est possible de filtrer les cascades multifractales par une fonction « scalante ». Cette « intégration fractionnaire » permet d’augmenter l’autocorrélation du champ et peut être d’ordre variable. Ces considérations définissent le modèle FIF (Fractionnally Integrated Flux) caractérisé par trois paramètres fondamentaux : un exposant de multifractalité noté A, un exposant d’inhomogénéité du champ moyen noté C1 et un exposant d’intégration noté H.

Afin d’analyser les données de pluie à haute résolution disponibles au laboratoire, nous devons prélablement disposer d’une méthodologie permettant de démontrer (ou de rejeter) l’existence de propriétés multifractales sur des séries ou champs quelconques, et de calculer la fonction K(q) et les paramètres universels associés. Plusieurs outils et techniques existent concurremment dans la littérature mais le principe de base reste globalement le même. Dans le chapitre suivant, nous présentons les outils retenus ainsi que des techniques de simulations de champs multifractals, connaissant les paramètres fondamentaux.

4 Procédures de simulation et d’analyse de multifractals