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Chapitre 1 : Douleur et opioïdes

2.4 Ligands opioïdes

La morphine est le principe actif de l’opium et reste l’un des analgésiques les plus efficaces dont disposent les médecins. Elle contient cinq cycles, lesquels sont désignés par des lettres de A à E. Globalement, sa structure tridimensionnelle épouse la forme d’un T. Elle possède un caractère basique en raison de la présence de l’amine tertiaire, mais on note également la présence d’une fonction phénol, d’une fonction alcool, d’un cycle aromatique, d’un pont éther ainsi que d’une double liaison.

La morphine est un analgésique à effet central possédant une action spinale et supraspinale25.

En effet, au niveau de la corne postérieure de la moelle épinière, la morphine a une action pré et postsynaptique du fait de son agonisme préférentiel pour les récepteurs µ. Au niveau présynaptique, c'est-à-dire au niveau de la terminaison des fibres afférentes primaires Aδ et C, cette propriété aboutit à une diminution de la libération des médiateurs impliqués (tel que par exemple la substance P).

Au niveau post-synaptique, au niveau des neurones nociceptifs ascendants, la morphine entraîne une diminution d’activité de ces neurones par hyperpolarisation, réduisant ainsi le message nociceptif.

Enfin, au niveau du tronc cérébral (noyau raphé magnus, substance grise péri-aqueducale), la morphine est capable d’activer les voies bulbo-spinales inhibitrices qui se projettent au niveau de la corne postérieure de la moelle épinière et qui sont capables de réduire le message nociceptif à ce niveau.

35 Cette substance est particulièrement indiquée pour traiter les douleurs sourdes, constantes plutôt que les douleurs passagères et récidivantes. Malheureusement, elle occasionne un grand nombre d’effets secondaires : dépression du centre respiratoire, constipation, excitation, euphorie, nausée, myosis (rétrécissement pupillaire), accoutumance (tolérance) et assuétude (dépendance).

Si certains effets secondaires entraînent une gène mais ne sont pas vraiment graves, d’autres peuvent être parfois intéressants. L’euphorie (sentiment de bien être), par exemple, est un effet secondaire utile lorsqu’il s’agit de soulager la douleur chez les malades en phase terminale. Par contre, certains effets secondaires peuvent se révéler dangereux : l’accoutumance et l’assuétude. Ces derniers sont à l’origine d’un grave syndrome de sevrage lors de l’arrêt du traitement. En dépit de ces inconvénients majeurs, la morphine demeure la substance étalon pour mesurer l’efficacité des autres antalgiques.

Au vu du grand nombre d’effets secondaires de ce médicament, qui reste le traitement de choix pour soulager la douleur, les pharmaco-chimistes ont cherché à développer des analogues de la morphine, présentant des effets secondaires moindres.

2.4.2 Les analogues de la morphine

Comme nous l’avons vu précédemment, les opioïdes sont classés en trois catégories : agonistes purs, agonistes mixtes et antagonistes. Chacune de ces classes sera illustrée par un exemple. Lorsque les pharmoco-chimistes ont cherché à développer des analogues de la morphine, ils ont travaillé par ‘tâtonnement’ puisque qu’ils ignoraient l’existence des trois récepteurs opioïdes et croyaient en l’existence d’un récepteur unique.

Dans la classe des agonistes purs, on peut citer la méthadone et l’hydromorphone. L’hydromorphone diffère de la morphine par la présence d’une fonction cétone en lieu et place d’un groupement hydroxyle. Elle possède les mêmes caractéristiques structurales que la morphine. La méthadone44, quant à elle a été obtenue par suppression des cycles B, C, D et E de la morphine. Il s’agit d’un analgésique qui a été synthétisé en 1937 par les Allemands Max Bockmühl et Gustav Ehrhart travaillant pour I. G. Farben. Ils cherchaient alors un composé qui serait d'un emploi plus aisé au cours d'une intervention chirurgicale tout en induisant moins d'addiction. Il s’agit d’un médicament très utile dont l’activité est comparable à celle de la morphine, mais qui conserve les effets secondaires de type morphinique.

En fait, tous les agonistes développés à partir de la morphine ont une activité moindre ou comparable à celle-ci, tout en gardant les mêmes effets secondaires. Leurs mécanismes d’action est similaire à celui de la morphine.

36 La buprénorphine appartient à la classe des agonistes mixtes. Elle est 25 à 50 fois plus active que la morphine45. Sa structure est de type morphinique, mais de géométrie plus contrainte (cycles supplémentaires) et d’encombrement stérique plus élevé (chaînes alkyles ramifiées). Elle est considérée comme un médicament particulièrement sûr, car elle exerce très peu d’effet sur la respiration et le peu d’effet qu’elle occasionne diminue avec l’augmentation des doses. De ce fait, le risque d’arrêt respiratoire en cas de surdosage est bien moindre qu’avec la morphine.

La buprénorphine est utilisée en milieu hospitalier pour traiter certaines personnes cancéreuses, ou après une intervention chirurgicale. Elle est également utilisée comme substitut de la méthadone lors du sevrage des intoxiqués à l’héroïne.

Enfin, la naloxone est le type même de l’antagoniste pur, spécifique et compétitif des opiacés33. Il possède lui aussi une structure proche de celle de la morphine. Son indication préférentielle est le traitement des intoxications aigües par les opiacés. Elle permet de déplacer la morphine de ses sites récepteurs et d'arrêter son action. Elle sert à réveiller le sujet comateux, sauf en cas de poly-intoxication.

37 La morphine, comme nous l’avons vu, est un alcaloïde doué de propriétés analgésiques, qui agit au niveau du système nerveux central. Deux conclusions peuvent être tirées de cette constatation :

- la première est que des récepteurs opioïdes existent dans le système nerveux central. - la deuxième conclusion est que l’organisme doit certainement produire des molécules

destinées à interagir avec ces récepteurs puisque la morphine n’est pas bio-synthétisée par l’homme.

Il est donc manifeste que l’organisme doit faire intervenir une substance chimique différente en guise d’antalgique naturel.

2.4.3 Les opioïdes endogènes

La recherche de cet antalgique naturel a été très longue, mais elle a finalement abouti à la découverte des enképhalines et des endorphines en 197546. Ces peptides endogènes ont été découverts deux ans après les récepteurs opioïdergiques. Les premières enképhalines qui furent découvertes étaient des pentapeptides, de séquences suivantes :

- la méthionine-encéphaline (Met-encéphaline): Tyr-Gly-Gly-Phe-Met - la leucine encéphaline (Leu-encéphaline): Tyr-Gly-Gly-Phe-Leu

Actuellement, une vingtaine de peptides possèdant à leur extrémité N-terminale la séquence de la Met-encéphaline ou de la Leu-encéphaline ont été dénombrés. Cette observation souligne l’importance de cette séquence penta-peptidique vis-à-vis de l’activité analgésique. On retrouve une analogie de structure entre les enképhalines et la morphine. Ceci explique pourquoi les dérivés morphiniques se fixent sur les mêmes récepteurs que les opioïdes endogènes (figure 11).

Figure 11 : Analogie de la liaison récepteur - opioïdes exogène et endogène43

Chimiquement, ces substances sont des peptides synthétisés par les neurones, stockés dans les vésicules synaptiques. Elles proviennent de l’hydrolyse de trois précurseurs protéiques inactifs, en l’occurrence la proenképhaline, la prodynorphine et la pro-opiomélanocortine.

38 Les peptides opioïdes endogènes les plus connus, dont la séquence est décrite ci-dessous, sont les suivants :

- la Met-enképhaline et la leu-encéphaline - la β endorphine47 : Tyr-Gly-Gly-Phe-Met-Thr-Ser-Glu-Lys-Ser-Gln-Thr-Pro-Leu-Val-Thr-Leu-Phe-Lys-Asn-Ala-Ile-Ile-Lys-Asn-Ala-Tyr-Lys-Lys-Gly-Glu - l’endomorphine 148 : Tyr-Pro-Thr-Phe - l’endomorphine 233 : Tyr-Pro-Phe-Phe - la dyonorphine A49: Tyr-Gly-Gly-Phe-Leu-Arg-Arg-Ile-Arg-Pro-Lys-Leu-Lys-Trp-Asp-Asn-Gln - la dyonorphine B33 : Tyr-Gly-Gly-Phe-Leu-Arg-Arg-Gln-Phe-Lys-Val-Val-Thr.

On les retrouve dans différentes zones du système nerveux central. Ils sont essentiellement localisés au niveau de la moelle épinière (cornes postérieure et dorsale) et au niveau du cerveau (hypophyse, hypothalamus). Ils sont également présents dans le système périphérique, au niveau des terminaisons périphériques des neurones afférents primaires.

Ces peptides vont exercer leurs actions en se liant aux différents récepteurs des opioïdes (µ, δ, κ) présents aux niveaux pré- et post-synaptique des neurones opioïdergiques et des neurones cibles.

L’affinité des différents morphiniques endogènes pour les récepteurs est résumée dans le tableau suivant50 : μ δ κ Leu-enképhaline + +++ - Met-enképhaline ++ +++ - β-endorphine +++ +++ +++ endomorphine 1 ++++ - - endomorphine 2 ++++ - - dynorphine ++ + +++

Tableau 1: Affinité des opioïdes endogènes pour les récepteurs opioïdergiques50

On observe que les endomorphines sont sélectives des récepteurs MOR, tandis que le Leu-encéphaline et la Met-Leu-encéphaline présentent une affinité plus importante pour les DOR. La β-endorphine a, quant à elle, la même affinité pour les trois types de récepteurs.

Les opioïdes endogènes sont des neurotransmetteurs qui modulent l’activité des terminaisons post-synaptiques. Leur rôle est l'inhibition et la modulation des potentiels d'action responsables de la propagation du message douloureux jusqu'au cerveau. Ils se fixent

47 Ling N., Burgus R., Guillemin R. Proc. Nat. Acad. Sci. USA, 1976, 73, 3942-3946 48 Zadina J. E., Hackler L., Ge L. J., Kastin A. J., Nature, 1997, 386, 499-502 49

Goldstein A., Tachibana S., Lowney L. I., Hunkapiller M., Hood L., Proc. Nat. Acad. Sci. USA, 1979, 76, 6666-6670

39 sur les récepteurs opioïdes présents à la surface de la membrane des neurones de la douleur et inhibent les messages de la douleur vers le cerveau.

Après avoir étudié les ligands endogènes et exogènes des récepteurs aux opiacés, nous allons, dans le paragraphe suivant, étudier les interactions ligands récepteurs.