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Liens entre pauvreté et capital naturel

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3. Le cadre conceptuel du travail : Le « triangle du capital naturel »

3.3. Liens entre pauvreté et capital naturel

Dans la description de ce qu’est une croissance pro-pauvres, nous avons vu que la réduction de la pauvreté résulte de politiques de croissance et de politiques redistributives. La pauvreté est donc présentée comme une conséquence, il n’existerait donc pas réellement de politiques de lutte contre la pauvreté qui seraient donc un mélange entre politiques de croissance et politiques redistributives. Il existe cependant une littérature abondante sur les liens environnement-pauvreté (également appelé ‘nexus environnemental’) dont nous présentons les principaux éléments.

Comme indiqué précédemment, de nombreuses observations montrent que les plus pauvres sont très dépendants des ressources naturelles (à la fois comme contributeur à leur revenu que comme filet de sécurité lors des crises) et les premières victimes de sa dégradation. La démographie joue un rôle en central dans les différentes théories liant environnement et pauvreté, nous l’ajoutons à notre analyse. La description des différents canaux se fait en effet généralement à travers des cercles de relations s’auto-entretenant dont il est difficile d’extraire une causalité initiale.

On oppose souvent deux effets, sous-tendus par deux ‘écoles’ différentes. D’un côté, un accroissement de la population a un effet de dissipation (ou malthusien) sur la richesse des individus, donc également sur les actifs naturels. Cet effet est prédominant dans les thèses néo- malthusiennes. De l’autre, l’accroissement démographique a l’effet inverse en stimulant le progrès technique ou institutionnel, conduisant à une gestion plus efficace de la ressource. Ce

CAPITAL NATUREL Inégalités locales

Institutions : Accès libre Propriété collective/commune Propriété privée - Effet Ostrom - Effet Olson - Effet marginalisation - Effet clientélisme

- Effet bien public - Effet mécanique Inégalités internationales

- Mimétisme / rattrapage - demande forte de biens environnementaux

Inégalités régionales

- coût environnemental d’une urbanisation incontrôlée - demande de biens environnementaux plus forte des urbains

sont les thèses néo-boseruptiennes, dont certains travaux représentatifs sont les articles suivants : Tiffen (1992), Blaikie et Brookfield (1988), Fairhead et Leach (1994). La réalité est sans doute quelque part entre les deux, résultant de cette opposition entre dissipation de la richesse et stimulus technologique14. Le lien entre pauvreté et croissance de la population se

fait à travers le fait que les enfants représentent souvent pour les plus pauvres une forme d’assurance pour les parents, et une main d’œuvre essentielle. A travers ces différents canaux transitant par la variable population, on voit bien les cercles vicieux qui peuvent être déclenchés.

La relation entre capital naturel et pauvreté peut ensuite être plus directe, sans passer forcément par la variable population. En effet, la pauvreté est susceptible de favoriser des comportements court-termistes qui vont affecter la ressource. Le taux d’actualisation des plus pauvres est fréquemment élevé, notamment à cause d’une forte aversion au risque. Ils sont ainsi peu incités à investir dans la conservation des ressources, et choisissent des projets peu risqués, avec des espérances de rendement limitées. En retour, la dégradation ou dépréciation du capital naturel diminue la base productive des plus pauvres.

Voici donc un rapide résumé de cette littérature du ‘nexus environnemental’. Une critique générale de cette littérature est que la pauvreté est plus une conséquence, une résultante qu’une variable de contrôle. Lier pauvreté et environnement revient donc à nier les causes de la pauvreté, cette dernière n’étant finalement qu’un facteur proximal de dégradation de l’environnement. La pauvreté résulte en effet d’un ensemble de facteurs qui affectent également l’environnement. Ainsi par exemple, le manque d’accès au capital a à la fois un effet sur la pauvreté mais également sur l’environnement.

Pour finir, il ne faut cependant pas oublier que les plus riches restent, par leur mode de consommation, les premiers consommateurs de biens environnementaux, exerçant ainsi l’essentiel de la pression sur les écosystèmes. Il existe pourtant une forte tradition de culpabilisation des plus pauvres, considérés comme principaux destructeurs de

14 Evoquons les travaux de thèse de Bruno Locatelli qui s’intéresse aux liens entre pression démographique et dégradation du couvert boisé dans la région de Mananara sur la côte Est de Madagascar (Boisseau et al., 1999 ; Locatelli, 2000). Dans cette zone, l’agriculture sur brûlis est la principale source de déforestation. Un tel système de culture est souvent considéré comme viable pour des pressions démographiques faibles. Locatelli observe deux phases. D’abord une phase d’extensification. La terre est abondante, le travail est le facteur limitant. La meilleure stratégie est donc celle qui minimise le travail, c’est à dire celle des migrations sur des terres inoccupées ou boisées. Cette phase est associée à une déforestation, à la formation d’un bush et à une dégradation de la qualité des terres. Vient ensuite une phase d’intensification. La terre devient le facteur limitant par rapport au travail, et dans une logique Ricardienne d’avantages comparatifs, le travail est concentré sur les terres les plus fertiles et le reste est parfois replanté ou laissé à l’abandon. La relation liant pression démographique et couvert boisé devient au final une courbe en U inversé dans le même esprit que la courbe de Kuznets. Se succèdent ainsi une phase malthusienne et une phase boseruptienne.

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l’environnement. On retrouve cela dans les recherches coloniales sur l’environnement où l’idée est de protéger l’environnement des comportements destructeurs et irrationnels des paysans (Humbert (1948) à Madagascar a ainsi par exemple popularisé l’idée de l’impact négatif des feux de brousse). On se rend compte pourtant aujourd’hui de plus en plus de l’effet bénéfique de ces modes de gestion traditionnels et savoirs locaux. (Kull, 2004) a ainsi étudié la diversité des usages des feux de brousse à Madagascar et ainsi montré leur rôle central, dans la gestion des pâturages notamment.

Nous résumons sur la Figure 3.4 les différents canaux évoqués liant capital naturel et pauvreté15.

Figure 3.4 : Canaux existants entre capital naturel et pauvreté

15 La plupart des éléments présentés ici sont issus de l’excellent rapport : ‘Investing in Natural Wealth for poverty reduction’ (2006) écrit par D. Pearce.

Capital naturel Pauvreté

Population

Enfant = main d’œuvre future et assurance

retraite

Effet ‘Boserup’ versus effet ‘Malthus’

Court-termisme

- Perte de base productive de l’individu si dégradation du capital naturel - perte capital humain par pollution

TRANSITION

Nous avons proposé dans cette partie une description des principaux mécanismes et théories reliant capital naturel et développement. Nous avons ainsi pu observer le rôle central que peut jouer le capital naturel. De plus, l’un de ses composants, les sols agricoles, représente l’immense majorité du capital naturel renouvelable.

Pour étudier les déterminants d’une croissance de long terme, l’étude du capital naturel, et les sols agricoles plus particulièrement, est donc centrale. Les deux prochaines parties seront consacrées : au capital naturel dans son ensemble (à l’échelle des pays) dans la partie 2, puis aux sols agricoles (ou « capital sol ») dans la partie 3 (à une échelle plus fine). Dans la partie 2, nous abordons les liens entre capital naturel et croissance à travers une entrée « durabilité ». Nous verrons en quoi cette entrée peut être pertinente pour l’analyse des stratégies de croissance. Dans la partie 3, nous abordons la question des sols et descendons d’une échelle. Il s’agit de voir comment l’analyse économique peut intégrer les spécificités du fonctionnement de cet écosystème particulier. Ce qui pourrait in fine permettre de développer des outils de gestion de cette ressource plus adaptés. Nous analysons également un programme de conservation des sols plus particulièrement, à Madagascar.

PARTIE 2

CAPITAL NATUREL, CROISSANCE ET