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CHAPITRE 1 ÉTAT DES CONNAISSANCES

1.4 Les enrobés recyclés à froid

1.4.4 Les liants hydrocarbonés

1.4.4.1 Introduction

Le type de liant hydrocarboné utilisé dans la fabrication d’un enrobé recyclé à froid va définir les méthodes de production et de mise en place du matériau retraité. On distingue deux types de liant hydrocarboné: la mousse de bitume et l’émulsion de bitume. Dotés de caractéristiques physicochimiques différentes, ces deux liants jouent un rôle premier dans la performance du matériau. En outre soulignons que, dans le cadre de ce projet, le matériau recyclé étudié est traité à l’aide d’une émulsion de bitume.

1.4.4.2 La mousse de bitume

La mousse de bitume est réalisée dans une chambre d’expansion où un jet de bitume très chaud (170ºC-180ºC) entre en contact avec un jet d’eau froide (Lacombe, 2008). Présente en faible quantité (1% à 2%), l’eau s’évapore instantanément au contact du bitume et la mousse se forme. La qualité de la mousse de bitume est avant tout déterminée par le taux d’expansion de la mousse (jusqu’à 20 fois le volume initial) et sa demi-vie qui représente le

temps nécessaire pour que le volume du bitume moussé diminue de moitié (entre 30 et 60 secondes) (Gauvain, 2006). Plus l’expansion et la demi-vie sont élevées, meilleure est la mousse de bitume (Wirtgen, 2009). Pour optimiser la qualité de la mousse, des additifs peuvent être utilisés en guise d’agents moussants ou stabilisants. Par ailleurs, afin d’assurer un bon enrobage des granulats lors de la fabrication d’un ERF à l’aide d’un bitume moussé, ces derniers sont souvent mélangés, au préalable, à de la chaux hydratée afin d’augmenter leur insensibilité à l’eau. Enfin, c’est la faible viscosité du bitume mis sous forme de mousse qui facilite l’enrobage des granulats sans que ceux-ci n’aient été chauffés au préalable (Gauvin, 2009). L’enrobé est donc produit à « froid ».

Contrairement aux matériaux recyclés traités à l’émulsion de bitume, les ERF utilisant du bitume moussé en guise de liant contiennent peu d’eau à leur mise en place et le temps nécessaire à la cure du matériau en est donc considérablement réduit (moins de trois jours). Un avantage non négligeable lorsque la chaussée doit être rapidement rouverte au trafic (Heiztman, 2001). En outre, leur faible teneur en eau rend ces matériaux moins sensibles aux conditions climatiques lors de la mise en place du matériau et rallonge, par conséquent, la saison des chantiers routiers dans les régions au climat difficile (Heiztman, 2001).

Enfin, bien qu’ils soient le plus souvent utilisés pour la réfection de chaussées, les enrobés recyclés à froid et traités avec de la mousse de bitume ont également fait leur preuve en guise de couche de fondation traitée (Exemple : la « grave mousse » chez Eurovia) dans la construction de chaussées neuves (Gauvin, 2009).

1.4.4.3 L’émulsion de bitume Composition

Une émulsion de bitume est constituée de fines gouttelettes de bitume dispersées dans une phase aqueuse. Puisque le bitume et l’eau sont deux fluides non-miscibles, un agent émulsifiant, appelé tensioactif, est utilisé afin de stabiliser le mélange en jouant le rôle de liant entre l’eau et les gouttelettes de bitume, tout comme la lécithine contenue dans le jaune

d’œuf permet à la mayonnaise de former un mélange homogène. Constituant 55% à 70% du mélange, les gouttelettes de bitume mesurent conventionnellement 0,1m de diamètre, en dessous, on parle de microémulsion (Le Bec, 2005). La teneur en bitume de l’émulsion est, par ailleurs, directement liée à l’utilisation visée comme le récapitule le Tableau 1.6.

Tableau 1.6 Teneur en bitume de l’émulsion et utilisation Tiré de ISTED (1989)

Teneur en bitume

de l’émulsion Utilisation

55% Réparations, imprégnations, couches d’accrochage.

60%

Réparations, imprégnations, fabrication d’enrobés ou de grave- émulsion, enrobés coulés à froid et coulis bitumineux, répandages pour enduits superficiels.

65% Réparations, fabrication d’enrobés ou de grave-émulsion, répandages pour enduits superficiels.

69% et plus Répandages pour enduits superficiels.

Le rôle du tensioactif

Par définition, une émulsion est constituée de deux phases non miscibles qui entrainent, dans le cas présent, la création d’une interface entre l’eau et le bitume ; c’est là qu’intervient le tensioactif. Molécule aux propriétés amphiphiles, un tensioactif comprend deux parties distinctes : une tête polaire ionisable est dite hydrophile (miscible dans l’eau) et une queue apolaire (moment dipolaire nul) qui est dite hydrophobe ou lipophile (non miscible dans l’eau). Plus précisément, la tête hydrophile est constituée d’hétéroatomes (atomes différents du carbone ou de l’hydrogène et non métalliques) et la queue hydrophobe est formée d’une longue chaîne hydrocarbonée (Le Bec, 2005) comme le représente la Figure 1.7.

La queue hydrophobe du tensioactif présente « une grande affinité pour le bitume » ce qui permet au tensioactif de « se piquer dans les globules de bitume » (Voir Figure 1.8). La partie polaire va quant à elle « émerger dans l’eau et créer en s’ionisant des charges électriques à la surface des particules de bitume. » Les charges électriques ancrées aux gouttelettes de bitume étant de même signe, des forces de répulsion électrostatique sont créées et vont empêcher l’agglomération des particules de bitumes après avoir été scindées par malaxage. Il y a réduction des tensions de surfaces à l’interface bitume/eau (ISTED, 1989). Pour déterminer l’état d’équilibre entre la partie hydrophile et lipophile (hydrophobe), Griffin a mis au point en 1949 une échelle notée balance hydrophile/lipophile (HLB) liée à la solubilité du tensioactif dans l’eau. Cette échelle qui varie de 0 à 40 nous informe sur le sens de l’émulsion. Pour une valeur HLB comprise entre 1 et 6, on considère que le tensioactif est plutôt hydrophobe, on parle alors d’émulsion inverse (eau dans l’huile). Au dessus de 10, le tensioactif est clairement hydrophile et donne des émulsions directes (huile dans l’eau).

Figure 1.7 Schématisation d’un tensioactif Reproduit et adapté de Young et al. (1998, p. 72)

Les différents tensioactifs

Dans un tensioactif, la tête de la molécule est ionisable et devient fortement polaire au contact de l’eau. On distingue alors 4 familles de tensioactifs (Voir Figure 1.9) :

- les tensioactifs anioniques qui libèrent une charge négative (anion) en solution aqueuse. Ils sont connus pour avoir une balance hydrophile/lipophile élevée car leur tendance hydrophile est plus marquée (Graciaa et al., 1982). Ainsi, ils orientent l’émulsion dans le sens huile dans l’eau. C’est le cas des savons par exemple, mais aussi de toutes les molécules qui en cas d’ionisation au contact de l’eau forment des acides gras (R-COOH) ou des sulfonâtes (H2SO4-) obtenus à partir de molécules de souffre oxydées (SO3);

- les tensioactifs cationiques libèrent une charge positive (cation) en solution aqueuse. Ce sont les plus utilisés. Ils forment des amines gras (N(CH3)3) et de l’acide chlorhydrique

(HCl) en présence d’eau;

- les tensioactifs non-ioniques qui possèdent une partie hydrophile non ionisable dans l’eau. La solubilisation de ces tensioactifs est due à la formation de liaisons hydrogènes

Figure 1.8 Orientation des tensioactifs dans le cas d'une émulsion huile dans l'eau

entre les molécules d'eau et certaines fonctions de la partie hydrophile. Ils sont généralement compatibles avec les autres tensioactifs;

- les tensioactifs amphotères qui contiennent des charges positives et négatives centrales et équilibrées, et peuvent par conséquent se comporter comme des tensioactifs anioniques ou cationiques. Ils s'adaptent au milieu dans lequel ils se trouvent en fonction du pH. Ils deviennent donc anioniques en milieux basique, cationiques en milieux acides et sont équivalents à des tensioactifs non ioniques à pH neutre.

Le tensioactif permet donc de minimiser les tensions à l’interface bitume/eau en jouant le rôle d’agent émulsifiant entre les deux phases. En outre, c’est le pH de l’eau qui nous informe sur le taux d’ionisation. De ce fait, la mesure d’un pH acide sera liée à une émulsion cationique tandis qu’un pH basique caractérisera une émulsion anionique (Le Bec, 2005). Les émulsions cationiques modifiées aux polymères du type CSS-1P représentent la grande majorité des émulsions de bitume utilisées en France et au Québec dans la construction routière. Ce type d’émulsion facilite notamment l’enrobage des granulats et n’est pas affectée par la présence de particules fines dans le mélange.

Figure 1.9 Les différentes familles de tensioactifs Tiré de Young et al. (1998, p. 72)

La rupture de l’émulsion

Une émulsion de bitume est un matériau évolutif qui va tendre à se déstabiliser lors de son stockage ou après avoir été mélangée aux granulats. Ainsi, il est possible de décrire l’évolution d’une émulsion selon plusieurs étapes (Le Bec, 2005) :

- la sédimentation qui apparaît lors du stockage. En premier lieu, l’effet de pesanteur va provoquer la sédimentation plus ou moins rapide des gouttelettes de bitume en les entraînant par ordre décroissant de taille dans le fond de l’émulsion. Ainsi, plus la gouttelette de bitume est grosse, plus sa vitesse de sédimentation est élevée. De même, plus la différence de densité entre la phase dispersée (bitume) et la phase continue (eau) est grande, plus le phénomène de sédimentation est spontané. Il reste toutefois important de préciser que la phase de sédimentation est réversible puisque l’homogénéité de l’émulsion peut être rétablie par simple agitation;

- la floculation qui traduit l’agglomération de gouttelettes de bitume indépendamment de l’effet de la pesanteur. Les gouttelettes de bitume ont tendance à s’agréger lorsque les forces d’attraction (forces de Van der Waals) qui existent entre deux molécules sont plus fortes que les forces de répulsion. Ce phénomène se produit lorsque le film de tensioactifs à l’interface entre deux gouttelettes se rompt les laissant alors fusionner ensemble. Bien que théoriquement la floculation reste une réaction réversible par agitation, elle constitue généralement l’amorce de la rupture de l’émulsion;

- la coalescence, qui apparaît lors de la phase d’enrobage et de mise en œuvre de l’enrobé, est traduite par la formation d’un film continu de bitume. Cette dernière phase, qui amorce la rupture de l’émulsion, va influencer la montée en cohésion du matériau bitumineux (avec le départ de l’eau).

En outre, la nature des granulats (siliceux, calcaire...) et plus précisément leurs caractéristiques physico-chimiques (changement du pH ou échanges d’ions possible au contact de l’émulsion) sont des facteurs prépondérants vis-à-vis du mécanisme de rupture puisqu’ils peuvent influencer la vitesse de rupture de l’émulsion. Il est donc important de contrôler la cinétique des différentes étapes du processus ; enrobage, répandage, compactage et maturation pour optimiser les performances de l’enrobé à froid (Le Bec, 2005).

1.4.5 La cure

Une caractéristique importante des enrobés recyclés et traités à froid à l’aide d’une émulsion est le temps nécessaire pour que le matériau atteigne des propriétés mécaniques minimales (rhéologie, résistance et durabilité) avant la mise en place d’un revêtement. Ainsi, contrairement aux enrobés traditionnels à chaud, qui gagnent en résistance dès leur mise en place par l’effet conjugué du compactage et du refroidissement, les ERF traité à l’émulsion de bitume nécessitent une cure plus longue. En effet, l’eau dans la structure du matériau empêche en quelques sortes la coalescence du bitume à l’origine de la montée en cohésion du matériau. Comme nous le verrons plus en détail à la section 1.4.8, le mouvement de l’eau dans l’enrobé recyclé traité à froid à l’aide d’une émulsion joue un rôle de premier plan dans l’atteinte des performances recherchées. Or, une mise en place prématurée du revêtement bitumineux risque de nuire à la performance de la structure de la chaussée en compromettant la cure du matériau recyclé. En effet, l’enrobé à chaud utilisé comme revêtement est pratiquement imperméable et vient littéralement piéger l’eau dans l’enrobé recyclé.

Si la pose d’un revêtement pendant le temps de cure est donc fortement déconseillé, il est néanmoins possible d’ouvrir la chaussée au trafic pendant cette période. En effet, l’action du trafic force l’évacuation de l’eau et favorise ainsi la montée en cohésion du matériau. En fonction de la formulation de la l’enrobé recyclé et des conditions climatiques, la cure peut durer de quelques heures à plusieurs jours. À cet égard, il est conventionnel de recourir à l’ajout de ciment Portland dans la formulation d’un ERF : l’hydratation du ciment fixe l’eau libre et permet une forme d’auto-dessiccation du matériau traité favorisant la rupture de l’émulsion et la cure des ERF.

1.4.6 Les applications

Le retraitement à froid peut être envisagé pour différents types de chaussées : pistes d’aéroport, routes municipales, autoroutes… (Blais, 2007). Cependant le choix de la méthode de réhabilitation à appliquer se fait systématiquement selon plusieurs critères tels que le seuil de dégradation limite de la chaussée à retraiter (défaillance structural majeure, présence de

matériaux gélifs en fondation, défauts de drainage, matériaux inadaptés au retraitement), une étude préliminaire est donc indispensable. La technique est applicable pour des épaisseurs d’enrobés en place variant de 50mm à 300mm, ce choix dépendant de la classe de retraitement visée (Voir Tableaux 1.3 et 1.4).

Bien que les ERF puissent être envisagés dans les nouvelles constructions comme fondation d’une chaussée bitumineuse, ils sont le plus souvent utilisés en réhabilitation pour lutter contre la remontée de fissures (Lacombe, 2008). Très utile également pour la correction de profil et le renforcement structurel, cette technique ne peut cependant, en aucun cas, corriger un problème de fondation (Voir Figure 1.1).

De plus, même si de nombreuses incertitudes demeurent au sujet du comportement mécanique à long terme de ces matériaux, l’expérience a prouvé que les ERF possèdent un très bon comportement sous trafic (Lacombe, 2008).

1.4.7 Limites d’application

La mise en place des enrobés recyclés et traités à froid est contrainte par les conditions climatiques. Ainsi, il est fortement déconseillé de poser un ERF par temps froid (température ambiante inférieure à 5°C) ou pluvieux. En outre, la température ne doit pas descendre en dessous du point de congélation dans les 24h qui suivent la pose, sous peine de compromettre la cure du matériau (Lacombe, 2008).

Croteau et Lee (1997) précisent également que l’application d’enrobés retraités à froid doit se limiter aux routes à faibles trafics. Le débit journalier moyen annuel (DJMA) ne devant pas dépasser les 5000 véhicules pour un trafic poids lourds inférieur à 10% (Croteau et Lee, 1997). À titre indicatif, soulignons que l’autoroute 20, axe majeur du réseau routier québécois, possède un DJMA de 8412 véhicules avec 20% de poids lourds (MTQ, 2001). Certains tronçons de cette autoroute, situés à proximité de la région de Québec, ont été réhabilités à partir d’enrobés recyclés et traités à froid à l’aide d’une émulsion en centrale.

Enfin, pour ces matériaux retraités, la pose d’un revêtement en enrobés bitumineux à chaud après la cure est fortement conseillée pour limiter les risques liés à l’infiltration d’eau et à une usure prématurée du matériau recyclé retraité.

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