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Quels leviers pour augmenter les chances de viabilité ?

Je présente ici quelques pistes nées des discussions avec les maraîchers, enseignants et professionnels de l’accompagnement suite à la présentation des résultats de la thèse.

Bien valoriser ses légumes et choisir ses créneaux commerciaux

Ici les chances de viabilité économique ont été estimées uniquement pour des ventes en paniers aux prix moyens présentés dans le Tableau 4. Or certains maraîchers ont soulevé l’idée que dans certains cas ces prix n’étaient peut-être pas assez élevés par rapport au travail fourni. De nombreux maraîchers modulent leurs prix en fonction de la difficulté à produire un légume dans leur contexte, quitte à expliquer ce prix plus élevé à leurs consommateurs, ce qui peut être possible en vente directe. Trouver un prix qui soit à la fois rémunérateur pour le maraîcher et acceptable dans le circuit visé paraît être un levier fondamental pour garantir la viabilité économique du projet. Pour certains maraîchers, communiquer revaloriser le prix des légumes est d’ailleurs vu comme une priorité du secteur qui demande une organisation collective et une implication politique.

Dans certains cas, des maraîchers bénéficiaient de prix plus élevés en vendant des produits spécifiques (petits légumes, légumes « exotiques », variétés rares) à des restaurants ou des épiceries fines. Si certains systèmes peuvent s’orienter uniquement vers ce type de débouchés pour d’autres, cela peut constituer une petite part de la production afin de « mettre du beurre dans les épinards » et aussi diversifier le travail (cultiver des légumes spécifiques en lien avec des chefs peut être un travail très valorisant et changer de la routine du maraîcher). La combinaison d’un circuit de vente en paniers ou sur la ferme avec des ventes à des restaurants ou épiceries n’était pas rare sur les microfermes.

Les questions éthiques et écologiques autour de la gamme de légumes à cultiver seront abordées dans la partie 0 à partir de l’exemple de Londres.

Certaines microfermes transformaient également une partie de leurs légumes (sauces, soupes, confitures etc.). La transformation peut être un vrai levier pour augmenter la valeur ajoutée de la production mais elle peut nécessiter des investissements qui doivent être bien réfléchis. La transformation collective pour mutualiser les coûts et mieux organiser la logistique est une vraie piste à explorer.

Caisse de mini fenouils et mini navets d’une microferme pour un restaurant. Crédit photo : Kevin Morel. Trouver la bonne combinaison de circuits de commercialisation

Au-delà de pouvoir diversifier sa gamme de prix, combiner les circuits de vente peut aussi permettre d’étaler les risques (si un circuit vient à faire défaut), peut être une nécessité au départ pour écouler toute sa production ou permet de gagner en flexibilité (par exemple en combinant des paniers et une vente aux détails on peut prendre des marges dans la planification des paniers et écouler les éventuels surplus en détails).

L’équilibre à trouver dans le nombre et le types de circuits est un réel apprentissage. De nombreux maraîchers débutent leur commercialisation avec plusieurs circuits et se rendent compte au fur et à mesure du temps de ce qui fonctionne bien pour eux, de ce qui leur semble trop contraignant ou risqué.

Il faut être conscient que certains modes de commercialisation demandent plus de temps que d’autres. Dans le modèle, le temps de commercialisation considéré est de 20% du temps total mais certains circuits assez chronophages, comme les marchés de plein vent peuvent gonfler ce chiffre (ce type de commercialisation était assez peu présent au nord de la Loire sur les fermes considérées, mais très présent chez des microfermes que j’ai visité après ma thèse dans le sud de la France).

Le choix du marché de plein vent est à raisonner en fonction du contexte (dans certaines zones, c’est un circuit quasiment incontournable), du plaisir qu’on y passe (pour certains maraîchers c’est une joie de retrouver chaque semaine leurs clients et de discuter alors que pour d’autres c’est vu comme une contrainte), du charisme à la vente et du chiffre d’affaires réalisé par rapport au temps investi.

Aides à l’installation, capital de départ et sources de revenu

Dans le modèle, j’ai fait le choix de considérer les aides DJA (Dotation Jeunes Agriculteurs) car la majorité des paysans enquêtés y ont eu recours (Tableau 6). Cependant, certains maraîchers refusent de recourir à ces aides car ils jugent le processus DJA trop contraignant, ne souhaitent pas rentrer dans le dispositif pour des raisons éthiques ou politiques ou ne sont pas éligibles (contraintes de diplôme ou d’âge). A chaque maraîcher de se faire une idée sur cette question et il est à noter que le ressenti des maraîchers enquêtés sur le dispositif DJA était assez variable selon les territoires (accueil bienveillant/indifférent/méfiant de la Chambre d’Agriculture locale). Cependant, même si des critiques pouvaient être formulées sur le dispositif, les maraîchers jugeaient dans l’ensemble que le jeu en valait la chandelle et que le dispositif DJA avait été une aide non négligeable à l’installation.

Dans le modèle, je n’ai pas considéré d’aides régionale ou départementale car ces aides sont très variables selon les territoires, mais dans certaines zones existent des dispositifs d’aide à l’installation et à l’investissement très intéressant. Il est donc nécessaire de bien se renseigner sur les aides locales et de recueillir le témoignage de personnes ayant bénéficié de ces aides pour voir si l’aide apportée justifie les contraintes demandées.

Le modèle faisait également l’hypothèse que le maraîcher n’avait pas de capital de départ et que tous les investissements étaient empruntés à la banque (ce qui assez irréaliste car les prêts ne sont souvent accordés que si le paysan dispose d’un minimum de capital). Cela apparaît évident mais pouvoir se constituer un minimum de capital avant installation (en mettant de côté quelques années grâce à une autre activité par exemple) est un vrai avantage car cela permettra à la fois de limiter les emprunts nécessaires et d’avoir un filet de sécurité pendant les premières années parfois très difficiles.

Vu les faibles revenus générés à l’installation, il est également crucial de réfléchir aux autres sources de revenu qui permettront de vivre pendant cette période (aides sociales, économies, revenu d’un conjoint) et éventuellement de considérer une installation progressive avec une double-activité au départ (des dispositifs d’aides à l’installation progressive se développent).

Associations pastèque-tomate sur sol non travaillé et paillé. Un exemple d’innovations écologique en développement sur une microferme bretonne. Crédit photo : Kevin Morel.

Innovations techniques et intelligence écologique

La plupart des paysannes que j’ai eu la chance d’enquêter sur les microfermes étaient constamment en train de se questionner, d’expérimenter de nouvelles pratiques inspirées par l’observation, la discussion avec des pairs, des lectures ou internet. Au cours des années, je suis toujours surpris de voir comment les pratiques peuvent évoluer sur une même ferme et beaucoup de maraîchers m’ont confié que leurs pratiques étaient loin d’être stabilisées et qu’ils pensaient avoir des grosses marges de progrès en développant une meilleure connaissance écologique, agronomique et une connaissance de leur site particulier.

Sur ces fermes, les innovations sont foisonnantes ! Il est probable que la dynamique actuelle des microfermes avec des réseaux de plus en plus développés, plusieurs projets de recherche en cours ou qui démarrent participent à mettre en lumière des pratiques ou des connaissances qui pourront améliorer les chances de viabilité des microfermes. Cependant, vu la complexité des microfermes et leur volonté de s’adapter au maximum au fonctionnement écologique du lieu, je crois assez peu à l’idée de mettre en lumière les « meilleures pratiques » qui puissent être adaptables partout. S’il est fondamental que des réseaux formels ou informels d’expérimentation et d’échanges se développent pour augmenter la connaissance de la diversité des techniques et pratiques possibles, je pense que ces réseaux sont surtout nécessaires pour mettre en lumière et partager des raisonnements, des modes de pensée, des grands principes de réflexion écologique que chacun pourra ensuite traduire et adapter à son contexte, plutôt que de copier-coller ce qui se passe ailleurs.

Poser un voile de forçage hivernal peut être plus simple à deux que seul. Crédit photo : Kevin Morel. Travailler à plusieurs ?

Dans les simulations, j’ai fait l’hypothèse d’un maraîcher seul. Or le travail à plusieurs peut être un levier pour augmenter la viabilité de la ferme (répartition des tâches en fonction des compétences de chacun si des complémentarités existent, actions plus efficaces à plusieurs comme la pose de filets ou de bâches, soutien psychologique et mois d’isolement etc.).

Travailler à plusieurs peut impliquer différentes stratégies (s’associer, recours à un salarié, recours à de la main d’œuvre bénévole) qui ont chacune des avantages mais apportent également des défis auxquels il faut réfléchir.

S’associer demande une bonne entente, interconnaissance et compatibilité des rapports au travail de chacun qu’il n’est pas forcément évident de prévoir.

Si l’emploi de salarié se rencontre sur certaines microfermes et que certains maraîchers apprécient cette solution, il faut signaler que les niveaux de charges associées au travail en France induise de fait la nécessité de dégager un chiffre d’affaires conséquent pour le rémunérer, ce qui peut se traduire par une pression sur les chefs d’entreprise qui ne comptent par leurs heures.

Si les bénévoles (woofers, AMAPIENs) et stagiaires peuvent être une ressource non négligeable de travail sur une microferme tout en participant à un partage de savoir, beaucoup de maraîchers confient qu’accueillir, former, coordonner cette main d’œuvre demande un investissement en temps, en énergie et financier (logement, repas etc.) qui n’est pas à négliger. Il est nécessaire aussi d’être bien au clair sur les aspects juridiques entourant l’accueil de bénévoles/stagiaires.

S’appuyer sur le collectif

Il a déjà été évoqué dans la partie 4.3.2 que l’ancrage territorial et l’inscription dans des réseaux locaux pouvait permettre aux maraîchers de bénéficier de manière non marchande (échanges, dons) de différentes ressources (matérielles, coups de main, compétences etc.), ce qui peut jouer un rôle non négligeable dans la viabilité des fermes.

Au-delà des échanges nécessaires de savoirs et d’expériences déjà mentionnés, l’organisation collective, formelle ou informelle, entre agriculteurs peut également permettre de mutualiser les moyens de production et de commercialisation29 :

- achat et utilisation d’équipement : mutualisation de matériel ou de bâtiment, commandes groupées permettant de diminuer les coûts ;

- production de plants/semences en commun ; - assolement ou rotation en commun ;

- vente commune des produits, partage de la logistique de distribution (par exemple dans un magasin de producteurs.

Des collectifs impliquant des citoyens peuvent également soutenir les producteurs à différents niveaux (prise en charge de certaines activités de commercialisation dans des AMAPs, intervention bénévole dans des chantiers collectifs dans le cadre d’une association, financement participatif de certains investissements « crowd funding » etc.).

Ainsi, l’intégration des microfermes dans des collectifs semble un levier possible de la viabilité mais une telle intégration présente également des défis propres à tout réseau humain (gouvernance, entente entre les personnes, inertie de groupe, investissement déséquilibré des uns et des autres etc.).

29Je vous renvoie à la lecture du mémoire suivant :

Humbaire, L. 2015. Les enjeux de coopération des microfermes maraîchères biologiques. Quels impacts

sur la viabilité d’un système émergent ? Etude de cas en Isère et en Lorraine. Mémoire de fin d’étude

d’ingénieur agronome. VetAgro Sup Clermont-Ferrand. https://prodinra.inra.fr/?locale=fr#!ConsultNotice:376559

Etal du magasin de producteurs « Saveurs Paysannes » à Villefranche-de-Rouergue en Aveyron. Ce magasin permet à plusieurs maraîchers de commercialiser leur production avec d’autres agriculteurs. Source :: https://www.facebook.com/Saveurs-Paysannes-179119122650032/

6 CE QUE NOUS APPRENNENT LES MICROFERMES DE LONDRES

A la fin de la thèse, le modèle mathématique a été adapté au contexte des microfermes urbaines de Londres. Des simulations de viabilité économique ont été réalisées et discutées collectivement avec un groupe de maraîchers urbains. Ces discussions ont été très riches et peuvent inspirer les projets de microfermes aussi bien en milieu rural qu’urbain.

Une microferme dans la périphérie de Londres au printemps. Crédit photo : Kevin Morel.

6.1 Choisir sa gamme de légumes et ses prix : entre économie, éthique et écologie