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Lettre parue dans la Chronique de Paris du 20 décembre 1789

Dans le document Olympe de Gouges aux enfers (Page 25-30)

Messieurs,

Voici la neuvième année que j'essayai de peindre, dans un drame, toute la rigueur de l'esclavage des Noirs. Il n'était point alors question d'adoucir leur sort et de préparer leur liberté.

Seule, j'élevai la voix en faveur de ces hommes si malheureux et si calomniés. A l'impression, l'intérêt du sujet fit oublier la médiocrité de l'auteur.

Ce drame présenté à la Comédie Française, il y a quelques années, et que j'avais mal-à-propos intitulé, L'Heureux naufrage, a essuyé plus d'une tempête. Echappé aux écueils et aux vents contraires de l'autorité, il vogue maintenant avec liberté vers la scène, sous ce titre L'Esclavage des Noirs.

Si je n'avais à craindre que la faiblesse de mes talents et la puissance de mes ennemis, l'époque actuelle du rétablissement de la liberté semblerait me promettre quelque indulgence pour un ouvrage qui la défend ; mais ne suis-je pas encore en bute à tous les protecteurs, fauteurs du despotisme américain2, sans

2On saitqu'i1s viennent de publier un libelle sanglant contre la Société des Amis des Noirs: mais ils se sont bien gardés d'y nommer M. de la Fayette, M. le duc de la Rochefoucault, etc... qui se font cependant honneur d'être comptés parmi les Amis des Noirs.

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compter encore etc. etc. etc... ? Que mon sexe obtienne au moins du public, le jour de la première représentation, le même intérêt qu'il a accordé à l'auteur de Chastes IX. Je dois dire encore que je n'ai pas puisé le dialogue de ce drame dans les événements du jour, et que j'ai consacré ma part d'auteur à augmenter la contribution patriotique, dont j'ai eu la première idée dans une brochure imprimée depuis quinze mois.

Si cette pièce pouvait avoir la même fortune que Figaro ou Charles IX, vérité, messieurs, je n'en serais pas fâchée pour ma gloire et pour la Caisse patriotique.

Paris, le 19 décembre De Gouges

Réponse

LETTRE À Mme de Gouges en réponse à celle insérée dans La Chronique de PARIS, du 20 décembre, et datée du 19 du même mois.

Depuis qu'on ne se bat plus en France, Madame, et qu'on y assassine, il est peut-être très convenable, de ne pas provoquer ceux qui dirigent les poignards. Ce qui se passe dans les Colonies prouve assez de quelle manière la société que vous défendez, et les personnes que vous nous présentez comme un épouvantail, auraient répondu à des attaques ; j'ignore cependant les motifs qui ont fait taire le nom de M. le marquis de la Fayette et de M. le duc de la Rochefoucault à l'auteur qui a traduit les Amis des Noirs dans le public comme des

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conspirateurs, également dangereux à l'Europe entière, comme à la France et aux Colonies en particulier ; mais je ne crois pas, ainsi que vous voulez le donner à entendre, qu'il ait été retenu par la crainte ; car MM. de la Fayette et de la Rochefoucault ne me paraissent pas plus dangereux que leurs autres confrères, qui sont tous nommés et traités comme ils le méritent, dans la brochure dont vous nous plaignez, et l'auteur de cet écrit me semble un homme à grand caractère, qui ne craindrait personne, seul à seul s'entend. Mais sans entrer dans de plus grands détails sur ses motifs, et sans m'arrêter aux dangers qu'on peut courir en bravant les Amis des Noirs en tout ou en partie, je crois devoir vous dire au nom de tous les Colons, que depuis longtemps les mains leur démangent de se saisir chacun d'un Ami des Noirs, et que plusieurs d'eux ont provoqué personnellement, et en face, des membres très connus de cette société, et entre autres MM. de Pontecoulant, de Crillon, de la Feuillade, et de Lameth3; qu'aucun d'eux n'a pas plus répondu aux propos qui lui étaient propres, qu'à ceux qui portaient sur la confrérie en général. Les Colons ont donc été autorisés à traiter les Amis des Noirs, de lâches et d'assassins, de conspirateurs et d'ennemis publics, et à ne pas

3Il est inutile de nommer MM. de Mirabeau, Duport, Clavière, de Villette, que tout le monde sait être hors de mesure, en fait d'honneur, et

inaccessibles à son langage.

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trop s'exposer avec eux, puisqu'ils font égorger en Amérique, et dissimulent à Paris : c'est à quoi je me référerais aujourd'hui, Madame, si ma franchise ne l'emportait sur ma prudence. Mais il en est temps : Que les Amis des Noirs sortent enfin de leurs cavernes où ils machinent à la journée notre ruine et notre destruction qu'ils jettent leurs poignards et leurs manteaux, pour s'armer d'une épée conduite par un bras nu sur une poitrine découverte, et nous nous montrerons avec plaisir ce que nous sommes.

Nous proposons donc à MM. les Amis des Noirs, et ce par vous, Madame, qui vous mettez si honorablement en avant pour eux, et par le journal qui vous a fait connaître, et à défaut de publicité de votre part, par la voie de l'impression, c'est à dire bien publiquement, de se rendre à la plaine de Grenelle ou à celle des Sablons, d'y faire faire des fosses, et de nous y battre à mort.

Nous ne mettons qu'une condition à cette proposition qui leur a déjà été faite, c'est celle de l'égalité en armes et en nombre ; et nous croyons que dans ces temps modernes d'une philosophie et d'une équité si chantées par tout le monde et par MM. les Amis des Noirs surtout, et ayant pour base cette égalité que je réclame, on ne nous la refusera pas ; mais, nous le déclarerons, pour peu qu'il y eût de Peuple ou de milice nationale, nous perdrions toute confiance, et nous nous retirerions, en persévérant dans notre jugement qui nous

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paraît mérité, et confirmé par des faits ; à moins cependant que ce Peuple ou cette milice ne nous jurât sur l'ancien honneur français, qu'il ne sera que spectateur et non acteur dans cette affaire ; car nous déclarons encore que nous ne voulons ni être accrochés à la lanterne, ni pourrir dans les cachots du Châtelet, en nous montrant franchement et loyalement, et en rappelant aux hommes de ce siècle-ci les preux des siècles passés.

Je terminerai, Madame, en observant qu'il est bien extraordinaire que MM. les Amis des Noirs se soient servis d'une femme pour provoquer les colons. Quoique votre langage annonce un courage et des sentiments au-dessus de votre sexe, et que vous paraissez ne pas craindre de nous armer les uns contre les autres, nous sommes bien tentés de croire que c'est encore une jeanlorgnerie de vos Messieurs.

Toute instruite que vous êtes, Madame, vous ne connaissez peut-être pas ce mot ; mais entourée d'académiciens et de Gens de Lettres, vous ne serez pas longtemps à en apprendre la signification, et je vous renvoie à eux pour une explication appuyée de preuves.

J'ai l'honneur d'être, Madame,

Votre très humble et très obéissant serviteur, un Colon très aisé à connaître.

Paris, le 25 décembre 1789

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LETTRE AUX AUTEURS DU JOURNAL

Dans le document Olympe de Gouges aux enfers (Page 25-30)