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La thématique du maintien de la négation par les exercices ascétiques est fondamentale chez Schopenhauer, ici la connaissance est fortifiée par l’expérience répétée de la souffrance. Il n’y a que des cas rares où la seule connaissance est assez pour se garder dans un détachement complet ; mais même ici, les tentations s’offrent toujours à la conscience et doivent être niées de nouveau, d’où l’aspect combatif de l’ascèse. Schopenhauer décèle notamment deux chemins qui mènent à cette négation qui doit être maintenue, à savoir celui de la souffrance et celui de la connaissance. Dans le premier cas, l’homme arrive à déceler la vaine illusion qu’est la vie en souffrant beaucoup ; cette répétition de la douleur arrive à « briser la volonté avant l’accomplissement de son autonégation »82. Ce qui reste après cette détresse est une aversion à l’égard de la souffrance qui n’a plus de fin :

Voilà la raison pour laquelle le plus souvent, c’est la plus grande des souffrances individuelles qui doit briser la volonté avant l’accomplissement de son autonégation. Après qu’il a été conduit au bord du désespoir en passant par tous les degrés de sa détresse croissante avec l’aversion la plus véhémente, nous voyons alors cet homme entrer tout à coup dans lui-même, connaître lui-même et le monde, transformer son être tout entier, s’élever au-dessus de lui-même et de toute souffrance, et, comme purifié et sanctifié par celle-ci, avec un calme inébranlable, plein de félicité et de sublimité, renoncer délibérément à tout ce qu’il voulait auparavant avec la plus grande des ardeurs, puis accueillir la mort avec joie.83

81 Ibid., § 68, p. 721

82 Ibid., § 68, p. 722 83 Ibid., § 68, p. 722-723

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Le deuxième chemin est celui de la connaissance : ici, la souffrance inhérente au monde est découverte par l’intellect. Cette voie est très rare, et elle est empruntée très rarement, mais Schopenhauer n’exclue pas la possibilité qu’un homme puisse arriver à anéantir le vouloir-vivre grâce à la clarté avec laquelle il connaît la douleur dans le monde. Cette connaissance peut, dans certains cas, être si forte qu’elle ne requiert pas d’être accompagnée d’exercices ascétiques. Ici, l’homme répugne le vouloir-vivre grâce à la clarté par laquelle il voit à travers le principe d’individuation. Il ne peut en aucune manière être détourné du chemin de la négation, car il a fait l’expérience d’un profond dégoût face au vouloir-vivre.

Étant donné la rareté de l’ascèse passant uniquement par la connaissance, cette deuxième voie doit, dans la plupart des cas, être accompagnée des exercices visant l’autodiscipline du corps face à la tentation. L’homme tâche ici de maintenir l’état de la négation de la volonté en s’exposant continuellement à la souffrance. La douleur est accueillie en tant que réalité quotidienne, elle nourrit l’esprit ascétique au point où il ne la sent plus, dans l’état d’indifférence. Paradoxalement, l’ascèse fuit la souffrance du monde, espère rejoindre un état de non-souffrance, mais en souffrant, et dans plusieurs cas, beaucoup plus que celui qui affirme constamment le vouloir-vivre. La différence réside, pour Schopenhauer, dans ce que la négation peut apporter, à savoir la libération de l’esprit confiné dans le cycle éternel de la souffrance. Mais où est donc la confirmation de l’espoir ascétique de retrouver un jour la paix, la liberté, le salut ? Il est là, exprimé dans l’art, dans la connaissance, dans la vie des saints et des ascètes, les vérités des religions l’attestent. De toute manière, comment peut-on se contenter d’affirmer la vie et son inhérente souffrance lorsque nous avons percé le fond des choses ? La question est importante, quoique le pont entre la vertu et l’ascèse peut paraître très difficile en ce qu’il représente un saut initial dans le néant, dans de nouvelles souffrances créées par soi-même avec l’espoir d’être un jour sauvé. Or, ce saut ne se fait pas à partir de l’ignorance, il y a déjà dans la connaissance ayant percé le voile une appréhension de la paix à venir si l’homme ose abandonner la vie. Celui qui arrive au fond des choses n’a essentiellement plus l’envie d’être tiraillé ici et là par le corps, il doit trouver une autre manière, une manière qui défait son existence, qui se réfugie peut-être dans le néant, mais cela ne change rien, le monde a déjà été anéanti pour lui !

Again, as the ascetic denies the Will as appearing in himself, he will not resist if another does the same, by inflicting injuries upon him; he will look on these injuries also as part of his own denial of his will and will welcome all suffering that comes upon him, whether it comes by chance or through the wickedness of other men. Moreover, he will mortify the visible manifestation of his will, his body, through fasting, self-chastisement and all manner of self-inflicted suffering, that he may break down that will which he recognizes and abhors as the source of so much evil. When death at length comes, he will welcome it as the longed-for deliverance, since, in his case, it is not merely the phenomenal individuality which ceases with death, but the inner nature is also abolished. “For him who thus ends, the world has ended also” [I p.494].84

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