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Les transitions avec ratification non verbale

IV- Analyses

2. Analyses qualitatives

2.2 Les transitions avec ratification non verbale

Extrait n°6 : Cet extrait est issu de l’interaction MAPC. Les interactants discutent du restaurant de

sushis dans lequel PC a été le samedi précédent cette conversation. Puis cet extrait intervient. 1 PC : ouais PC : 0 MA : 0 2 MA : * PC : 0 MA : 0

3 → PC : du coup après Laura qui rentre

PC : 0 MA : 0 (silence 1 seconde)

4 PC : voilà

PC : 1 MA : 1

5 PC : donc là grosse dépression mais quand je te dit

PC : 1 MA : 2

6 MA : catastrophe

PC : 1 MA : 1

On observe en lignes 1 et 2 la fin du thème précédent lié au restaurant de sushis. Les participants ont des visages neutres pendant cette fin de séquence. Puis (L.3), PC initie une transition disjonctive en gardant un visage neutre, tout comme son interlocuteur. On peut supposer que cette transition thématique vient s’insérer soudainement car le référent « Laura » avait déjà été introduit auparavant16. Ainsi, le fait que le référent a déjà été abordé dans l’interaction en cours peut

expliquer ce type de transition. Néanmoins, cette transition semble introduire un nouveau thème autour de « Laura » et le silence qui suit indique que la transition initiée par cet énoncé suffit pour introduire le nouveau thème. En effet, on observe (L.4), l’item conclusif « voilà » produit par PC avec un sourire d’intensité 1. Cet énoncé indique que le thème est initié et que MA est censé avoir les connaissances nécessaires pour comprendre de quoi il s’agit. Cette analyse est confirmée par la synchronisation de sourires observée lors de cet énoncé. En effet, le sourire d’intensité 1 produit par l’interlocuteur (MA) indique qu’il a compris le nouveau thème initié et qu’il le ratifie à l’aide de ces sourires. A ce stade, il n’a pas de ratification verbale de la part de MA. Cette simultanéité des sourires a lieu car l’interlocuteur a les connaissances nécessaires pour comprendre de quoi souhaite parler PC lorsqu’elle évoque l’événement « Laura qui rentre ». A la suite de ce passage (L.5), on remarque que PC commence à développer le thème. Par ce début de développement, PC indique qu’elle a intégré la ratification non verbale de MA. En ligne 6, MA produit l’énoncé « catastrophe » ce qui représente un marqueur verbal de ratification du thème et un marqueur d’affiliation vis-à-vis de l’attitude de PC. Ce thème sera ensuite développé pendant 45 secondes.

Cette transition disjonctive est intéressante à plusieurs niveaux :

- une fois la transition opérée, on observe une rupture des visages neutres,

- la ratification se fait tout d’abord de manière non verbale par la présence d’un léger sourire : ce sourire anticipe la ratification verbale ultérieure,

- le Common Ground des participants permet cette ratification,

- une ratification verbale et affiliative vient compléter la ratification non verbale.

Extrait n°7 : Interaction JSCL. Avant cet extrait, JSCL discutent du programme de JS pour son

week-end.

(les interlocuteurs rient en lien à la séquence précédente)

→ 1 CL : ma mère je lui ai dit hier @@

JS :4 CL:3

2 CL : j(e) lui ai dit ben demain je mange chez $justine

JS :2 CL:0

3 CL : encore cette $Justine @@ j(e) dis ouais

JS :1

CL:0 4 3

4 CL : désolée euh

JS :1 CL:3

(JS roule des yeux)

5 CL : non mais c’est vrai

JS :1 CL:2

6 JS : quoi

JS :1 CL:0

7 CL : ben on se voit tout le temps (sourire 1)

JS :1 CL:1

Avant cet extrait les participantes rient ensemble, ce qui est lié à la séquence thématique précédente. Puis en ligne 1, CL initie une transition pas à pas. En effet, plusieurs IPU sont nécessaires à CL pour aborder le thème lié à la relation qu’elles entretiennent. Cette transition est retenue comme telle par opposition aux exemples de notre corpus qui ne donnent pas lieu à un projet commun. Puis, à la suite de ce premier énoncé (L.2), on observe que CL abandonne son sourire 3 pour présenter un visage neutre (sourire 0). Simultanément, on observe une rupture du rire de JS vers un sourire 2. Cette rupture de rire vers un sourire de la part de l’interlocuteur signale qu’elle concentre son attention sur la transition initiée : ce changement d’attitude constitue donc un marqueur phatique. Le fait que cette transition s’opère en plusieurs énoncés explique potentiellement l’absence, à ce stade, de marque verbale de ratification.

CL développe sa transition (L.3-4), en rapportant le discours de sa mère, qui semble trouver la fréquence de leur rendez-vous trop importante. Pendant ces deux énoncés CL arbore des sourires 3 et 4 alors que JS présente un léger sourire (sourire 1). Ces sourires asynchrones semblent être une marque de désaffiliation de la part JS vis-à-vis de l’attitude de CL. Cette hypothèse se verra confirmée à la ligne suivante lorsque JS effectue un geste facial que l’on traduit familièrement par l’expression « elle roule des yeux ». Ce geste permet d’exprimer un doute sur ce qui est dit voire d’exprimer son désaccord quant à l’attitude de son interlocutrice : JS ne semble pas partager l’avis de la maman de CL. Cette attitude désaffiliative va à l’encontre de la stratégie employée par la locutrice puisqu’en utilisant le discours rapporté, CL peut vouloir éliciter de l’affiliation de la part de son interlocutrice (Guardiola et Bertrand, 2013). Néanmoins, on peut supposer que ce geste préfigure un ménagement de la « face » de la locutrice (Goffman, 1967). Cette contrainte rituelle entraîne un travail de figuration et a pour but de ne pas faire perdre la face (Goffman, 1967) de son interlocutrice. En effet, cette hypothèse se voit confirmée lorsque CL poursuit en confirmant son propos : « non mais c’est vrai » (L.5). Par cette proposition, CL indique qu’elle a pris en compte le geste de son interlocutrice, mais qu’elle n’est pas d’accord avec la désaffiliation émise par JS. On remarque d’ailleurs que CL atténue son sourire pendant cet énoncé (de 3 vers 2). JS demande des précisions en émettant la question ouverte « quoi » (L. 6). En posant cette question, JS accepte d’aborder ce thème ce qui constitue une ratification verbale. CL s’aligne (L.7) par une reformulation du thème lié à leur relation. Lors de cet alignement sur la paire adjacente : question / réponse (L.6-7), on constate que les interactantes sont en synchronie de sourire de niveau 2.

Cette transition donnera lieu à un développement du thème pendant 35 secondes. Pendant ce développement (non présent dans l’extrait ci-dessus), JS confirmera qu’elle ne trouve pas qu’elles se voient trop fréquemment, notamment lorsqu’elle dira « non ça me choque pas ». Ce développement indique que les participantes, bien qu’alignées sur la structure, ne présentent pas nécessairement d’attitudes affiliées quant à ce qui est dit. La désaffiliation explique peut-être que ce thème sera moins développé que ceux développés après une séquence de convergence interactionnelle.

Plusieurs éléments semblent intéressants dans cette transition pas à pas :

- le silence de l’interlocutrice accompagné de la rupture de son rire indique à la locutrice principale qu’elle concentre son attention sur ce qui est en train d’être dit,

- ces marques de ratification non verbales permettent à CL de poursuivre sa transition vers le nouveau thème,

- JS ne semble pas être d’accord avec l’attitude évoquée par CL et présente des sourires désynchronisés : marqueurs de désaffiliation,

- CL confirme de nouveau sa posture vis-à-vis de la fréquence de leur rendez-vous. Tout comme sa mère, elle semble trouver qu’elles se voient beaucoup. Cette fois, elle atténue ses sourires pour atteindre l’intensité (1) de son interlocutrice. On peut supposer que pour pallier la désaffiliation, CL cherche à rejoindre non verbalement son interlocutrice.

- Les participantes sont en synchronie de sourire de niveau 2 à la fin de cet extrait.

Par ailleurs, cet extrait est intéressant dans le sens où il montre qu'on peut être d’accord pour développer un thème tout en étant en désaccord sur le contenu.

Ces deux exemples de transitions ratifiées, dans un premier temps à l’appui de marqueurs non verbaux et dans un second temps de manière verbale, nous informent à plusieurs niveaux. Premièrement, le sourire de l’interlocuteur semble jouer un rôle important de marqueur de ratification de la transition. Dans ces deux exemples, seuls les sourires indiquent la prise en considération du thème abordé par le locuteur. Deuxièmement, nous avons remarqué dans le deuxième exemple, que le sourire joue un rôle de désaffiliation. Enfin, tout comme dans les transitions avec ratification verbale, le sourire participe à l’élaboration de ces transitions et à leur conduite vers un développement. Nous remarquons que ces deux extraits conduisent tous deux à des développements moins longs (en moyenne 40 secondes) que ceux ratifiés avec marqueurs verbaux et non verbaux (en moyenne 2 min). Nous pourrions envisager de vérifier sur plus de données si le type de ratification influence le temps consacré au thème négocié.

Après avoir distingué les transitions avec ratifications verbales et non verbales de celles ratifiées uniquement par des marques non verbales, nous allons désormais nous intéresser aux cas où les participants confrontent leur thème respectif. Ainsi, ils utilisent successivement plusieurs types de transitions (disjonctives/pas à pas) pour initier un nouveau thème. Ces différentes transitions entraînent ainsi plusieurs types de ratifications (verbales/non verbales) ou de rejet. Nous interrogerons le rôle du sourire lors de ces négociations thématiques parfois conflictuelles.

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