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2 3 | Conceptions actuelles de l’apprentissage et acquisition des langues

LES THÉORIES COGNITIVISTES Les modèles innéistes

Chomsky et le LAD Krashen et le Monitor Les modèles constructivistes

les modèles vygotskiens les modèles piagétiens

les courants pragmaticiens la linguistique de l’énonciation

Figure 2.5 – Classification des théories psycholinguistiques par Bailly (1998a)

On notera que dans cette classification, en dehors du behaviorisme maintenant considéré comme dépassé2, toutes les théories actuelles sont rangées sous

1. Il faut toujours craindre les hégémonismes et les théories doctrinaires, comme le souligne Richterich : « Je crains que l’apport actuel du cognitivisme, de l’interactionnisme, du constructivisme à la didactique des langues n’aboutisse à un scientisme de type behaviorisme doctrinaire où l’imagination, indispensable à tout renouvellement, n’ait plus sa place (1996 : 57).

2. Encore que Bailly, tout en rejetant les présupposés théoriques du modèle behavioriste, invite à en retenir ce qui reste valide, à savoir une mémorisation efficace par la « répétition et l’entraînement néo-réflexe à une pratique intensive [de la L2] » (op. cit. : 14).

l’étiquette « cognitiviste ». Cette inclusion des modèles innéistes et constructivistes dans une même optique met l’accent sur les capacités du sujet apprenant et les oppose ainsi au modèle behavioriste qui refuse de prendre en compte le « mentalisme ». Cependant, Bailly fait remarquer que, « pour des raisons différentes [...], behavioristes et [innéistes] considèrent tous deux l’appropriation de L1 et de L2 d’une manière fondamentalement unique » (op.

cit. : 15, note 14). Elle rejoint ainsi Lecomte en considérant que seuls les

modèles constructivistes prennent en compte la globalité de la situation d’apprentissage : le sujet apprenant et l’environnement. La classification de Bailly fait la part belle à ces derniers modèles, puisqu’elle y rattache – outre les modèles plus anciens et plus généraux de Piaget et Vygotski – les courants pragmaticiens et la linguistique de l’énonciation (propres à la DLE). Dans le

domaine des théories actuellement en vigueur dans le champ de la DLE, le point

de vue de Bailly semble confirmer ceux de Lecomte et Develay concernant la tentation hégémonique du cognitivisme. Plus précisément, dans le cadre de la

DLE institutionnelle, et étant donné les réticences exprimées par cette auteure

envers l’innéisme de Chomsky et de Krashen, c’est bien le courant constructiviste qui « paraît faire l’objet [...] d’un consensus croissant, en France du moins » (op. cit. : 16)1. De plus, le rattachement du modèle vygotskien

(apprentissage social) à la famille « élargie » des modèles constructivistes permet de prendre en compte une dimension essentielle à l’apprentissage de L2, la dimension communicationnelle. C’est ainsi que l’on retrouve ces différents termes dans deux descriptions que Bailly (op. cit. : 17, souligné par l’auteure) cite comme représentatives de l’état actuel du cadre méthodologique de la DLE

en France :

• K. Julié et al. (1996) parlent de méthodologie communica-

tionnelle et constructiviste [Julié précise que, par constructiviste,

on entend que l’on vise l’autonomie] ;

• H. Besse (1995) décrit une méthode communicative et cognitive (ou fonctionnelle, [voire] interactionnelle).

Dans la description de K. Julié rapportée par Bailly apparaît le concept d’autonomie, présenté comme l’un des objectifs assignés à une méthodologie de conception constructiviste. On peut certes concevoir l’épistémologie génétique de Piaget comme une quête de son autonomie par le sujet. Dans sa critique de la pédagogie traditionnelle, cet auteur insiste sur le fait que l’enfant n’a pas un fonctionnement différent de celui de l’adulte :

[...] comme ce dernier, il est un être actif dont l’action, régie par la loi de l’intérêt ou du besoin, ne saurait donner son plein rendement si l’on ne fait pas appel aux mobiles autonomes2 de cette activité (Piaget, [1935] 1969 : 207).

1. Springer note d’ailleurs qu’« en France la plupart des méthodologues se disent constructivis- tes. C’est le cas du courant didactique de l’énonciation [avec Bailly] ». Il ajoute que « très souvent on confond cognitivisme et constructivisme, le [premier] terme étant le dénominateur commun (op. cit. : 252) », ce qui apparaît en effet dans la classification de Bailly.

Toutefois, il manque dans la classification de Bailly la référence au courant des pédagogies de l’autonomie (Figure 2.4, 3d), tant en ce qui concerne les précurseurs que furent Dewey, Claparède et Freinet que les didacticiens des langues comme Holec et l’équipe du CRAPEL de Nancy. Il faut dire que dans le

cadre où se situe cette auteure – celui de la DLE institutionnelle dans l’enseigne-

ment secondaire – l’autonomie lui apparaît comme un concept « un peu magique, un peu démagogique » (1998b : 21). Il en va tout autrement dans un contexte de formation d’adultes, tel que celui où opèrent des auteurs comme Springer.

Les deux classifications de Springer

Springer (1997) présente un cas intéressant de la difficulté rencontrée lorsque l’on cherche à classer les théories de l’apprentissage qui s’affrontent dans le domaine de la DLE. Cet auteur est d’ailleurs bien conscient du danger de toute

tentative de ce genre qui, écrit-il, « a pour conséquence de limiter la lisibilité des recherches et de rendre toute tentative de synthèse problématique » (op. cit. : 243). En conclusion de son chapitre 9 où il étudie les recherches en acquisition des langues secondes (principalement la SLAR américaine1, Springer recense

« trois grandes optiques [qui] s’affrontent actuellement en didactique des langues »2 :

• la thèse innéiste qui considère la faculté de langage comme un organe spécifique ;

• la thèse constructiviste qui tient compte du développement cognitif et de l’interaction sociale ;

• la thèse cognitiviste et néoconnexionniste qui cherche à rendre compte de la complexité des opérations cognitives mises en œuvre dans les stratégies d’apprentissage et dans les stratégies de communication (op. cit. : 214).

Mais un peu plus loin, en introduction à son chapitre 11 sur les « nouveaux fondements épistémologiques de l’apprentissage des langues », ce même auteur propose une classification différente, en parlant cette fois-ci de trois « familles de pensée » :

• l’optique déterministe : c’est une visée externe au sujet qui lui dicte le type de comportement supposé être le plus adéquat ; le sujet est considéré comme l’objet de cette didactique ;

• l’optique génétique et cognitiviste, qui regroupe le cognitivisme,

l’innéisme chomskyen et le constructivisme piagétien : elle est

centrée sur les processus internes du sujet, [il s’agit] d’un sujet individuel, idéal et universel ;

• l’optique communicationnelle et éducationnelle : centrée sur un sujet social et des interactions sociales, cette optique est fonc- tionnaliste, s’appuie sur une linguistique fonctionnelle / pragma- tique, sur le néoconnexionnisme et la médiation sociale (Vygotski, [1934] 1997 : 243 et s.).

1. Cf. notre § 2. 2. 3.

Notons au passage l’apparente interchangeabilité des termes « optique », « thèse » et « famille de pensée ». Nous proposons de représenter l’évolution du point de vue de Springer au moyen du schéma ci-dessous, dans lequel Æ S représente la centration sur le sujet (facteurs internes) et Æ M la centration sur le milieu (facteurs externes) :

première classification (C1) deuxième classification (C2)

1- la thèse innéiste (Æ S) 1- l’optique déterministe (Æ M)

2- la thèse constructiviste (Æ S + Æ M) développement cognitif et interaction sociale 2- l’optique génétique et cognitiviste (Æ S) a) le constructivisme piagétien b) l’innéisme chomskyen c) le cognitivisme 3- la thèse cognitiviste

et néoconnexionniste (Æ S + Æ M) 3- l’optique communicationnelle et éducationnelle (Æ S + Æ M) a) médiation sociale

b) néoconnexionnisme

Tableau 2.5 – Les deux classifications de Springer (1996)

La comparaison entre ces deux classifications successives d’un même auteur illustre, outre une évolution de son point de vue tout à fait justifiée par le cheminement de sa thèse, la difficulté bien réelle à distinguer – dans cet ensemble de théories et de courants de recherches – les caractères communs qui les unissent des caractères spécifiques qui les séparent. Les éléments permettant de justifier l’aboutissement à la deuxième classification sont soit implicites, soit explicitement mentionnés par Springer. Nous allons les passer en revue et en profiter pour comparer les classifications (C1 et C2) de cet auteur avec celles de Lecomte et de Bailly présentées dans les pages précédentes.

Springer classe d’abord (en C1) l’innéisme chomskyen dans une catégorie à part, où seuls sont pris en compte les facteurs d’apprentissage propres au sujet, l’opposant en ceci aux thèses cognitivistes et constructivistes qui, elles, prennent également en compte les facteurs externes. Il rejoint ici l’opposition innéisme / constructivisme de Bailly. Mais en C2, cet auteur regroupe l’innéisme avec le constructivisme et le cognitivisme, au motif que « dans la littérature didactique américaine [...] l’innéisme est dominant1 et a tendance à s’approprier le

cognitivisme tout en ignorant le constructivisme » (op. cit. : 246). Si l’optique déterministe (le behaviorisme) n’apparaît pas en C1, c’est probablement parce que cette classification intervient en conclusion d’un chapitre entièrement consacré aux courants américains qui se sont opposés au behaviorisme. L’optique déterministe retrouve sa place distincte en C2, ce qui rejoint le point de vue de Bailly et Lecomte ; c’est d’ailleurs la seule catégorisation sur laquelle ces trois auteurs sont d’accord : dans l’optique déterministe (behavioriste), les facteurs internes à l’individu ne sont pas pris en compte. Quant aux autres modifications que l’on peut constater dans les catégories 2 et 3 lors du passage de C1 à C2, elles vont majoritairement dans le sens de la classification de

1. Ce qui s’explique par une réaction plus forte aux États-Unis qu’en Europe au behaviorisme, celui-ci ayant été longtemps en situation hégémonique dans ce pays.

Lecomte. Ainsi, dans la classification C2 de Springer on retrouve les critères énoncés par Lecomte de prise en compte des facteurs internes (le Sujet), externes (le Milieu) ou d’une interaction entre les deux. Il subsiste une interrogation sur la place du constructivisme et une autre sur l’opposition entre cognitivisme et néoconnexionnisme.

2. 3. 2. Cognitivisme et constructivisme : essai de clarification

Dans une perspective cognitiviste, nous dit Gaonac’h, « les connaissances qu’un individu possède déjà sont le principal déterminant de ce que cet individu peut apprendre » (1991 : 107 et s.). Ce point de vue place la perspective cognitiviste dans la lignée des philosophies innéistes du déjà-là ou du déjà-acquis1. Selon les

moyens que se donnent les approches cognitivistes pour représenter le système cognitif de l’individu, Weil-Barais (1993 : 41 et s.) distingue le cognitivisme

structural et le cognitivisme computationnel, le premier type pouvant être

illustré par le gestaltisme d’une part et le structuralisme piagétien d’autre part. Nous empruntons en partie à cette auteure la présentation résumée qui suit.

Le gestaltisme

Dans notre réinterprétation de la classification de Lecomte, nous avons déplacé le gestaltisme de la sous-catégorie « innéisme » vers la sous-catégorie « cognitivisme » en indiquant que cette approche était considérée comme l’ancêtre du cognitivisme actuel. Pour le gestaltisme, c’est l’esprit humain qui structure et organise le monde (et non l’inverse comme le prétendent les behavioristes). Nous avons mentionné (en page 92) que, contrairement à une opinion répandue chez les didacticiens, c’est le gestaltisme et non le behaviorisme qui a fourni ses fondements à la MAV structuro-globale. Weil-

Barais signale que, après être quelque peu tombées dans l’oubli dans les années de l’après-guerre (1950-1980), les thèses du gestaltisme devraient connaître un certain renouveau, renouveau appuyé en particulier par les progrès de la neuropsychologie.

Le structuralisme piagétien (et le constructivisme)

Nous avons évoqué les thèses de Piaget dans notre chapitre 1, au § 1.1.3. Rappelons que, pour ce psychologue, le système cognitif est un système qui fonctionne en évoluant vers des états d’équilibre. L’apprentissage est le fruit d’une interaction permanente entre le sujet et le milieu, milieu auquel l’individu s’adapte par « deux mécanismes indissociables : l’assimilation et l’accom- modation » (Piaget, [1935] 1969 : 208). En ce qui concerne la perspective piagétienne sur l’apprentissage du langage, nous retiendrons avec Gaonac’h (1991 : 117 et s.) les points suivants2 :

1. Cf. § « Apprendre, c’est assimiler » en page 32.

• De même que le développement cognitif général de l’enfant passe par des stades successifs1, le langage « se développe à travers des systèmes successifs

dont chacun possède une cohérence suffisante pour fonctionner à son propre niveau ». Transposée dans le domaine de l’apprentissage d’une L2, cette perspective permet de percevoir l’interlangue de l’apprenant comme un système cohérent – et transitoire sauf s’il y a fossilisation2.

• Pour Piaget, contrairement à l’hypothèse du LAD retenue par Chomsky, il

n’existe pas de système distinct d’acquisition du langage : « [...] la caractéristique spécifique de l’homme n’est pas le langage, mais la disposition de structures cognitives, dont dépend l’émergence du langage ». • « Le langage n’est qu’une des manifestations de la fonction sémiotique, au

même titre que le jeu symbolique ou l’imitation différée. La fonction sémiotique correspond à l’élaboration d’instruments de représentation3,

instruments qui permettent à l’intelligence de prendre de la distance par rapport à l’action et à la perception. » Gaonac’h fait remarquer que Piaget, en insistant sur la fonction de représentation du langage, néglige la fonction de communication. La position piagétienne a en effet été critiquée par Bruner et Vygotski, pour qui le développement du langage s’inscrit dans son

fonctionnement social. Ce deuxième auteur s’est en particulier opposé à

Piaget4 sur le langage égocentrique, dont il considère qu’il est un stade

transitoire dans l’évolution du langage extériorisé au langage intérieur. Cette opposition entre les positions de Piaget d’une part et celles de Bruner et de Vygotski de l’autre concernant l’importance du facteur social dans l’apprentissage nous permet de mieux comprendre comment Springer a modifié sa classification5. Il a retiré le facteur de l’interaction sociale de ce

qu’il appelle la thèse constructiviste en conclusion de son chapitre 9, pour le placer (à notre avis plus justement) dans ce qu’il appelle l’optique

communicationnelle et éducationnelle en introduction de son chapitre 11.

Le cognitivisme computationnel

Le cognitivisme computationnel (ou computo-symbolique) est centré sur la représentation du flux informationnel qui entre dans le système cognitif et sur le traitement de celui-ci. Dans une telle perspective (et l’usage d’une métaphore informatique), l’esprit humain est modélisé sous la forme d’un système de traitement de l’information. Penser, c’est traiter l’information ; traiter l’information, c’est calculer, c’est-à-dire manipuler des symboles. À partir de ces éléments, certains aboutissent à la formule : « cognitivisme = calculs + représentations ». Toma, par exemple, définit ainsi l’apprentissage :

1. Rappelons que Piaget a mis en évidence : le stade sensori-moteur (de 0 à 18 mois) ; le stade préopératoire (18 mois à 7-8 ans) ; le stade des opérations concrètes (de 7 à 11-12 ans) et le stade des opérations formelles (à partir de 11-12 ans).

2. Pour une définition de ces termes, cf. en page 177. 3. Souligné par Gaonac’h.

4. Vygotski consacre un chapitre entier de son ouvrage de 1934 à critiquer la position de Piaget, en particulier sur le rôle du langage égocentrique chez l’enfant. Il conclut en substance que « les règles découvertes par Piaget [ne sont] pas des lois éternelles de la nature mais des lois historiques et sociales [...] Piaget ne tient pas assez compte de l’importance de la situation sociale » ([1934] 1997 : 132).

« Apprendre, c’est se construire des représentations et opérer un calcul sur ces représentations » (1996 : 163).

En outre, la métaphore informatique est actuellement la plus utilisée pour la description de la mémoire humaine. La mémoire à court terme, ou mémoire de travail, est comparée à la mémoire vive de l’ordinateur1, tandis que la mémoire à

long terme est comparée à la mémoire morte de la machine. On trouvera à la Figure 2.6 ci-dessous un modèle qui est une synthèse des schémas et modèles proposés par Ellis (1997 : 35) et Narcy (1997 : 71).

INPUT

(intrant2) INTAKE (acquisition) OUTPUT (extrant)

la boîte noire

connaissance de L2 mémoire à long terme relation sémasiologique forme Æ sens compréhension INTAKE mémoire à court

terme connaissances déclaratives : données connaissances procédurales : programmes relation onomasiologique sens Æ forme expression

Figure 2.6 – Un modèle informatique de l’acquisition de la L2

Les théories interactionnistes de l’apprentissage de la L2 (ALS) aboutissent à un

schéma très semblable. La Figure 2.7 reprend le schéma de Gass3, tel que l’a

traduit et adapté Chapelle (2000 : 26, Fig. 1). Nous avons rajouté à la figure de Chapelle deux flèches qui relient, « en rétroaction » la production langagière à l’apport langagier et à l’intégration. En effet, se référant à Swain (1985) et Pica

et al. (1996), Chapelle souligne l’importance de la production langagière pour

les hypothèses interactionnistes. Cette production « incite les apprenants à utiliser leur système syntaxique d’une façon plus approfondie qu’à l’étape de la compréhension ». D’autre part, cette même production « sollicite un apport langagier de la part des interlocuteurs [ce qui contribue à] aider les apprenants à résoudre leurs problèmes linguistiques et donc à améliorer leur production » (op. cit. : 27-28).

1 2 3 4

APPORTÆ

langagier AttentionÆ CompréhensionÆ sémantique et syntaxique

SAISIEÆ

langagière IntégrationÆ dans le système linguistique de l’apprenant Création Æ de la production linguistique PRODUCTION langagière

Figure 2.7 – L’ALS selon la recherche interactionniste

1. Appelée en anglais RAM (Random Access Memory) ; la mémoire morte est appelée ROM (Read Only Memory).

2. Les traductions intrant et extrant sont utilisées en français du Canada.

3. Gass, S. (1997) Input, Interaction and the Second Language Learner, Mahwah, N.J.: Lawrence Erlbaum Associates Publishers.

Paradoxalement, les limites de l’approche computationnelle ont mis en évidence ce qui fait la spécificité de l’intelligence humaine, laquelle se caractérise en particulier par une approche heuristique plutôt qu’algorithmique. Un autre point fort de cette intelligence naturelle n’est pas tant le calcul ou la résolution de problèmes que la capacité à construire des représentations adéquates (et à les modifier), c’est-à-dire la mise en équation de problèmes. C’est ainsi que le cognitivisme computationnel a placé les représentations mentales au centre des débats, et en particulier au centre du débat qui les oppose aux tenants du néoconnexionnisme, une autre façon de voir le monde (d’après Weil-Barais, op.

cit. : 51).

Le (néo)connexionnisme1

Contrairement aux théories du traitement de l’information, les théories connexionnistes postulent que le monde que connaît l’individu est construit par

lui2, par l’intermédiaire de ses expériences, à partir d’une mise en résonance de

réseaux neuronaux. Un système connexionniste est un grand réseau d’entités élémentaires interconnectées et opérant en parallèle. De même que la métaphore informatique a marqué le cognitivisme computationnel, c’est la métaphore du réseau qui sous-tend le connexionnisme. On pense bien sûr aussitôt à Internet, le « réseau des réseaux » qui a connu une croissance phénoménale dans la dernière décennie du XXe siècle. Le tableau qui suit

schématise l’avantage d’un système de « type connexionniste » comme Internet par rapport à un système séquentiel.

COGNITIVISME COMPUTATIONNEL CONNEXIONNISME traitement séquentiel de

l’information

traitement de l’information massivement parallèle

goulot d’étranglement distribution assurée perte de l’information redondance

De même que le cognitivisme computationnel avait permis en parallèle de développer des programmes plus performants d’intelligence artificielle et de mieux comprendre le fonctionnement spécifique de l’intelligence humaine, les recherches relatives aux systèmes connexionnistes poursuivent une double ambition : sur le plan technologique, concevoir des ordinateurs toujours plus performants, sur le plan épistémique, fournir un modèle du fonctionnement neuronal. Un événement symbolique de cette double activité est sans doute le match d’échecs qui a opposé Gary Kasparov à Deep(er) Blue, le 13 mai 1997, match remporté par l’ordinateur. Perrin, qui commente cet événement pour illustrer son argumentation sur la frontière homme–machine, met ainsi en balance les atouts des deux adversaires :

1. Raynal et Rieunier (1997 : 89) distinguent deux types de connexionnisme : a) théorie défendue par Thorndike et les behavioristes selon laquelle l’apprentissage dépend de connexions établies entre des stimuli et des réponses, connexions susceptibles de renforcement et b) théorie des années 1970, qui s’oppose au cognitivisme computo- symbolique. Pour distinguer ce deuxième type du premier, Springer utilise le terme de néoconnexionnisme (op. cit. : 201).

L’extraordinaire disproportion de 1 à 100 millions [d’analyses de positions par seconde] ne s’explique que d’une seule façon : alors que le cerveau humain procède sélectivement et synthétiquement [...] la machine, elle, ne peut à chaque fois que calculer séquentiellement chaque coup. [...] Le cerveau est massivement parallèle. L’ordinateur est formidablement séquentiel (1997a : 22).

Reste à savoir quel sera l’avenir de ce nouvel avatar du cognitivisme, et aussi à décider s’il s’agit d’une véritable révolution ou au contraire d’un « retour théorique à un behaviorisme statistique et neuronal », comme le pense Tiberghien (cité par Weil-Barais, op. cit. : 54).

L’énaction

Une nouvelle voie prometteuse, qui cherche à synthétiser et à dépasser l’opposition cognitivisme/connexionnisme est celle de l’énaction, concept développé par F. Varela. Ce biologiste-cognitiviste oppose tout d’abord au cognitivisme computo-symbolique un point de vue connexionniste, en définissant l’énaction comme

[la caractéristique] la plus importante de toute cognition vivante, la faculté de poser les questions pertinentes qui surgissent à chaque moment de notre vie1. Elles ne sont pas prédéfinies mais énactées, on les fait émerger sur un arrière-plan (1989 : 91).

Pour Varela, il est temps de changer de paradigme,

il est maintenant nécessaire d’intervertir l’expert et l’enfant […]