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Les systèmes d’élevage tropicaux n’évoluent que sous contraintes de graves crises 30

CHAPITRE 2.  QUESTION DE RECHERCHE 30

11.  Les systèmes d’élevage tropicaux n’évoluent que sous contraintes de graves crises 30

Au  lendemain  de  l’indépendance,  le  Cameroun  comme  nombre  de  pays  en  voie  de  développement  a  initié  plusieurs  opérations  pour  la  « modernisation »  du  secteur  de  l’élevage. Ceci devait permettre d’anticiper une augmentation de la demande en viande qui  allait  suivre  la  croissance  démographique.  Il  s’agissait  aussi  implicitement  de  faire  de  l’élevage  un  outil  de  développement  de  l’économie  nationale. Les  projets  mis  en  œuvre  dans cette optique portaient sur la santé vétérinaire, l’amélioration génétique des animaux,  la gestion et l’amélioration des parcours, ainsi que l’augmentation de la production à travers  l’installation  de  ranches  d’élevage  bovin  (Boutrais,  1984 ;  Lhoste,  1977 ;  MINEPIA,  2002 ;  Njoya  et  al.,  1997 ;  Rippstein,  1985 ;  Vall  et  al.,  2002). Aujourd’hui,  force  est  de  constater  que  ces  actions  ont  connu  un  succès  mitigé,  la  couverture des  besoins  des  populations  en  viande  demeure  toujours  une  préoccupation  forte.  Certes,  les  éleveurs  perçoivent  un  peu  plus  l’intérêt  de  mesures  sanitaires,  qui  du  reste  ont  une  incidence  directe  sur  le  croît  du  troupeau (Awa et al., 2004 ; Njoya et al., 1997 ; Reiss et al., 1999), mais dans l’ensemble les  systèmes d’élevage ont peu évolué (Letenneur, 1995 ; Seignobos, 2002b).

On attribue souvent ce résultat au fait que les éleveurs sont peu ouverts aux innovations, et  n’envisagent la modification de leurs systèmes d’élevage qu’en cas de manque d’alternatives  ou  de  graves  crises  (Blanc‐Pamard  et  Boutrais,  1994).  Ainsi,  la  sédentarisation,  qui  a  été  longtemps prônée sans succès par les structures d’appui au développement de l’élevage, est  en  voie  de  concrétisation  aujourd’hui  (Tallet,  1998 ;  Dongmo  et  al.,  2007).  Cette  évolution  est attribuée à la dégradation des conditions climatiques (sécheresse) ou au besoin pour les  éleveurs d’asseoir leurs droits fonciers sur des terres qu’ils cultivent ou font pâturer.  

L’exploitation  commerciale  du  cheptel  est  très  faible.  Elle  est  généralement  basée  sur  la  cueillette,  les  animaux  ne  sont  vendus  qu’en  cas  de  besoin  de  trésorerie.  Le  taux 

marquent  une  orientation  claire  vers  l’accumulation,  ce  sont  les  crises  liées  aux  épizooties  ou à la sécheresse qui assuraient jadis un « déstockage » non voulu et donc l’allègement de  la charge des pâturages dégradés à cause de « l’excès d’animaux ». Ces auteurs poursuivent  en relevant qu’aujourd’hui où les épizooties sont relativement maîtrisées et que les épisodes  de  sécheresse  sont  moins  sévères  que  ceux  du  milieu  des  années  70  et  80,  c’est  la  compétition, voire le manque de ressources fourragères, qui assure le rôle de « régulation ».  Cette  vision  d’un  élevage  orienté  principalement  vers  la  subsistance,  avec  une  production  extensive  et  peu  dynamique,  a  souvent  conduit  la  recherche  et  les  services  d’élevage  à  focaliser leurs interventions sur les aspects techniques tels que l’alimentation, la santé et la  reproduction.  

Malgré tous ces constats qui ont été trop largement généralisés et sont devenus des « idées  reçues » (Faye, 2006), les études montrent que les pasteurs ont une capacité d’innovation et  d’adaptation  qui  s’exprime  selon  les  situations.  La  preuve  la  plus  tangible  en  est  la  persistance des systèmes basés sur la mobilité spatio‐temporelle du bétail, qu’on a souvent  considéré comme frappés d’obsolescence. Au regard de tous les changements survenus au  cours  des  dernières  décennies,  l’existence  encore  aujourd’hui  de  tels  systèmes  peut  être  interprétée comme un signe de leur résilience, c'est‐à‐dire de leur aptitude à retrouver leur  fonctionnement de base après des perturbations (Milestad, 2003). 

Toutefois,  l’ampleur  des  évolutions  actuelles  de  l’environnement  des  éleveurs,  tant  sur  le  plan  socio‐économique  qu’agro‐climatique,  donne  à  penser  qu’il  sera  difficile  dans  les  prochaines décennies que ce système continue à fonctionner selon les mêmes principes de  base (Josserand, 1994).  

Le  pastoralisme  est  de  plus  en  plus  menacé  par  des  contraintes  juridiques,  économiques,  sociales et politiques qui démobilisent les éleveurs, ainsi que par des barrières à la mobilité  du bétail (Thébaud et Batterby, 2001). L’augmentation de la superficie des aires protégées et  de la population agricole entraîne la restriction et le confinement des espaces pastoraux. Les  systèmes d’accès négociés à l’eau et au pâturage sans accorder des droits exclusifs qui sous‐ tendaient  les  moyens  d’existence  des  pasteurs  sont  devenus  inopérants.  Les  conflits  entre  agriculteurs et éleveurs sont plus fréquents et plus acerbes. Les pasteurs commencent déjà à  repenser leurs systèmes d’élevage en réponse à la nouvelle donne socio‐économique (Figure  9). Parmi les changements les plus notoires, on relève la dynamique de sédentarisation qui  s’accompagne souvent d’une diversification des activités par la pratique de l’agriculture ou  le développement de la production laitière. Des systèmes fourragers basés pour l’instant sur  la constitution de récoltes de foin et de résidus de récolte se mettent également en place.   Cette évolution a déjà été décrite en Afrique de l’Ouest où le processus de sédentarisation  des pasteurs a commencé plus tôt, dans les années 70 et 80, avec notamment les épisodes  de  sécheresse  (Colin  de  Verdière,  1995 ;  Macina,  2006).  Elle  démontre  que  les  éleveurs  extensifs sont aussi capables d’innovations, mais elle tend également à conforter les thèses  selon  lesquelles  ces  éleveurs  ne  transforment  leurs  systèmes  d’élevage  que  sous  la  contrainte de la disponibilité et de l’accès aux ressources naturelles. De fait, la question de la  dynamique  et  de  la  durabilité  des  élevages  suscite  souvent  peu  d’intérêt  chez  les  services  d’appui  au  développement  de  l’élevage.  Elle  n’est  souvent  examinée  qu’à  l’aune  de  la  problématique  de  la  disponibilité  et  de  l’accès  aux  ressources  naturelles  (Thompson  et  Nardone,  1999 ;  Vavra,  1996).  Un  tel  paradigme  est  forcément  biaisé,  car  découlant  de  la  vision d’un élevage orienté principalement vers la subsistance avec une production extensive  et peu dynamique. Par ailleurs, il réduit la capacité d’innovation des éleveurs uniquement à  la  préservation  de  leurs  systèmes.  Les  éleveurs  seraient‐ils  vraiment  insensibles  au 

développement  des  marchés ?  Si  oui,  pourquoi ?  Si  non,  quelles  sont  les  influences  de  l’insertion marchande sur leurs pratiques et stratégies ?     Augmentation  des aires protégées Accroissement  des superficies  cultivées  Réduction et difficultés d’accès aux espaces pastoraux  Mobilité  spatio ‐temporelle Transformation  des systèmes d’élevage Insertion socio‐ économique et  politique des  éleveurs   Sédentarisation,  agropastoralisme,  diversification des activités etc.    Figure 9. Evolution des pratiques d’élevage bovin au Nord Cameroun sous contraintes des  ressources naturelles  

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