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1. LES ATTRACTEURS ET LE COMPORTEMENT D'ORIENTATION

1.2. Le comportement d'orientation : terminologie et concepts

1.2.2. S'orienter en milieu marin

1.2.2.2. Les stimuli visuels

1.2.2.2.1. Propriétés optiques du milieu marin

Lorsque la lumière solaire traverse l'océan, son intensité, sa couleur, son contraste et son degré de polarisation sont significativement altérés. Dans l'eau, les rayons lumineux sont

absorbés beaucoup plus rapidement que dans l'air : l'intensité lumineuse, même dans les eaux les plus claires, diminue d'un rapport d'environ 1,5 tous les 100 m. En dessous de 1000 m, la lumière du jour a quasiment disparu. Les grandes longueurs d'ondes (proches du rouge) sont absorbées plus rapidement que les petites longueurs d'onde (proches du bleu) et l'absorption varie beaucoup selon la quantité de particules et de plancton en suspension.

Non seulement la lumière est absorbée mais elle est aussi diffusée : en surface, elle est visible dans toutes les directions (elle paraît d'ailleurs souvent venir des profondeurs). La diffusion varie en fonction de l'altitude du soleil, de la turbidité de l'eau et de la longueur d'onde (elle est d'autant plus grande que la longueur d'onde est courte). Quelle que soit l'intensité de la lumière, sa diffusion crée un effet de voile qui diminue fortement la perception des contrastes et la visibilité des objets. En raison des propriétés d'absorption et de diffusion de la lumière en milieu marin, les stimuli visuels sont donc limités à quelques dizaines de mètres.

En milieu aquatique, la lumière est polarisée par (1) le transfert direct de la polarisation du ciel, (2) la réflexion de la lumière à l'interface air-eau et (3) la diffusion de la lumière par les molécules d'eau et les particules en suspension (Cronin & Shashar 2001). L'influence relative de ces trois sources de polarisation varie en fonction des conditions météorologiques et de l'action des vagues : par temps clair, la polarisation sous-marine est principalement due à celle du ciel alors qu'en présence de nuages, elle est principalement causée par la diffusion de la lumière par les molécules d'eau et les particules. Comme dans l'air, l'altitude du soleil détermine le plan de polarisation maximale. Quand le soleil est au zénith, le plan de polarisation sous-marine maximale est perpendiculaire au soleil alors qu'au crépuscule, ce plan est dévié par rapport à l'axe perpendiculaire au soleil à cause de la réfraction des rayons lumineux à la surface de l'océan. En eau douce et dans la zone photique supérieure des milieux océaniques moyennent productifs2, on estime que le pourcentage de lumière polarisée est inférieur à 40 % pendant la journée mais qu'il peut atteindre des valeurs de l'ordre de 70% au crépuscule (Hawryshyn 2003).

2 La zone photique est définie comme étant la zone dans laquelle il reste au moins 1% de la lumière incidente de surface.

1.2.2.2.2. L'orientation visuelle

En bassin, plusieurs espèces de poissons sont capables de s'orienter grâce à des repères visuels (cf. Warburton 1990) et d'apprendre des relations spatiales complexes (Dodson 1988). En milieu récifal, le long des côtes et en eau douce peu profonde, les repères visuels sont nombreux. Si l'eau est relativement claire, ils peuvent jouer un rôle essentiel dans les migrations journalières entre site d'alimentation et refuge. Beaucoup d'espèces de poissons de récifs coralliens effectuent des migrations journalières relativement longues (en rapport à leur taille) en suivant des routes précises. Mazeroll & Montgomery (1998) ont étudié quelles sont les informations utilisées par les poissons chirurgiens bruns noirs (Acanthurus nigrofuscus) pour migrer le long de routes précises entre leurs sites de reproduction et leur refuge nocturne. Ils ont montré que cette espèce base ses migrations sur des repères visuels redondants le long des routes. De même, Reese (1989) a montré que les poissons papillons (famille des Chaetodontidés) utilisent des repères visuels pour s'orienter et qu'ils sont fidèles à des routes de migration précises entre site d'alimentation et refuge.

En milieu océanique, les repères visuels fixes sont quasi inexistants. Seules des structures d'origine anthropique (telles que les plates-formes pétrolières et les dispositifs de concentration de poissons ancrés) et éventuellement les monts sous-marins sont susceptibles de constituer des repères visuels stables. Cependant, même dans des eaux très claires et éclairées, la perception d'objets sombres est limitée à des distances de l'ordre de 40 m (Warrant et al. 2003). S'ils constituent des repères, il est donc très peu probable qu'à des distances supérieures à quelques dizaines de mètres, ces structures soient détectées visuellement par la faune pélagique.

L'utilisation d'une boussole solaire a été démontrée chez un certain nombre d'espèces en conditions expérimentales (cf. la revue de Smith 1985) mais rarement en milieu naturel pour des espèces marines. Deux espèces de poissons perroquets ont été étudiées dans les eaux des Bermudes (Winn et al. 1964). Durant la journée, ces poissons s'alimentent le long de la côte et dans des baies ; ils migrent vers le large à la nuit tombée pour trouver refuge dans des grottes. En déplaçant des individus de jour et de nuit et en décalant expérimentalement l'horloge interne de plusieurs poissons, les auteurs ont démontré que ces espèces utilisent une boussole solaire pour s'orienter. Pour que des poissons pélagiques maintiennent un cap grâce à des indices célestes, il faudrait qu'ils nagent proche de la surface puisque l'absorption et la diffusion de la lumière limitent la propagation des rayons

lumineux. Ils pourraient aussi utiliser la polarisation de la lumière sous-marine comme information directionnelle. Dans sa revue de questions sur la vision de la polarisation des rayons ultraviolets (UV) chez les poissons, Hawryshyn (2003) rend compte de la sensibilité des salmonidés à la polarisation du spectre de lumière. Cette synthèse d'expériences en bassin indique que (1) des poissons, en particulier la truite arc-en-ciel (Onchorhyncus mykiss) répondent à une lumière polarisée, (2) le spectre de polarisation doit contenir des rayons UV pour qu'il y ait un comportement d'orientation, (3) la sensibilité aux UV (et donc à la lumière polarisée) varie au cours du développement (elle disparaît au cours de la smoltification et réapparaît à maturité sexuelle) et enfin (4) une lumière seulement partiellement polarisée affecte les capacités d'orientation des poissons. Néanmoins, des expériences en milieu naturel montrent que les saumons rouges (Oncorhynchus nerka) et les truites arc-en-ciel sont capables de s'orienter dans un environnement polarisé à seulement 45 % (Hawryshyn 2003 citant Parkyn 1998). En milieu océanique, personne n'a encore mis en évidence l'utilisation de la lumière polarisée pour s'orienter vers un but à grande distance.

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