• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 : Les représentations sociales de la maladie d’Alzheimer

3.1 Les représentations de la maladie d’Alzheimer

De nombreux travaux font état des représentations sociales de la maladie d’Alzheimer, que ce soit les représentations du grand public, des professionnels de santé, des proches ou des malades. Au travers d’entretiens ou de questionnaires, ces études se sont centrées sur le terme « maladie d’Alzheimer » en l’exposant clairement comme objet d’étude ou en recrutant des personnes dont le diagnostic était connu comme celui de MA.

Dans cet écrit, nous nous focaliserons sur les travaux portant sur les représentations des malades et de leurs proches, laissant de côté les travaux portant sur les professionnels de santé et le grand public qui ne sont pas notre objet d’étude.

En France, au travers d’entretiens auprès de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et d’aidants, Rozotte (2001) met en avant la conscience comme concept au cœur des représentations sociales de la maladie d’Alzheimer. Ce concept de « conscience » se divise en deux entités :

- la conscience des troubles : problématique évoquée par les malades et les aidants au début de la maladie. Cette conscience des déficits cognitifs et la capacité à pouvoir les exprimer étant les garants de la dignité humaine. Cette conscience des troubles renvoie à « la préservation d’une représentation de l’être humain en tant que détenteur d’un savoir sur lui-même. »

- la conscience de soi : problématique évoquée par les aidants à travers la notion de « présence-absence » avec des fluctuations de l’état du malade plus ou moins « enfermé dans un monde intérieur ». Ainsi, les proches caractérisent la conscience de soi comme discontinue et facteur de difficultés relationnelles. La sporadicité de la conscience pouvant en effet conduire à des attitudes de faux-semblant ou de non-dit. Le risque principal dans ce type de relation étant la disqualification du malade « au sens où, à travers cette sorte de renonciation à l’échange, s’installe progressivement une entreprise de déresponsabilisation à son égard ».

L’article de Rozotte aborde également la souffrance psychologique du patient, où l’expression de la plainte est considérée comme un indice de la conscience et l’absence de souffrance renvoie à une perte de conscience. Avec l’évolution de la maladie et la perte de conscience, s’élaborent les images de la mort psychique. Ce concept de « perte de conscience », que nous retrouvons dans tous les articles ultérieurs portant sur les représentations sociales, se définit par une « vision exclusivement somatique » de la personne malade qui, vidée de sa conscience, a perdu son humanité.

Par la suite, Michon et Rozotte (2003) ont mis en avant la nécessité de prendre en compte le « vécu subjectif du sujet atteint par la maladie » dans la perspective d’une relation thérapeutique de qualité : « Pour comprendre ce que vit le patient, l’entretien, dans sa conduite et son analyse, doit tenir compte, d’une part, des données neuropsychologiques et de l’atteinte cognitive et, d’autre part, des données psychopathologiques notamment des mécanismes d’adaptation à la maladie, qui sont complémentaires et indissociables ». Toujours sur la base d’entretiens réalisés auprès de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, les auteurs dégagent plusieurs notions : la démence est associée à la folie, la modification des relations avec l’entourage, la perception d’une forme de stigmatisation sociale, les ressources personnelles et les stratégies d’adaptation à la maladie. Ces notions seront retrouvées dans toutes les publications ultérieures et notamment dans les travaux de Ngatcha-Ribert (2004). L’article de Ngatcha-Ribert détaille les difficultés sémantiques liées aux termes de démence et de maladie d’Alzheimer. Le terme de démence renvoie à la folie pour le grand public et les profanes mais reste le terme médical usuel. La « maladie d’Alzheimer » bien que devenue une maladie à part entière et une « maladie comme les autres » conserve une étiquette de « sentence ». De manière paradoxale, la maladie d’Alzheimer est entrée dans le discours ordinaire et populaire et alimente de nombreuses plaisanteries (face à tout oubli : « C’est mon Alzheimer qui me guette »). Il existe peu de maladie grave et incurable qui soit autant l’objet de boutades et de plaisanteries. Néanmoins, la maladie d’Alzheimer reste marquée par des images très négatives comme celle du mal déshumanisant et de la mort sociale, le malade perdant toute humanité pour ses proches qui doivent faire face à un deuil blanc (mort sans cadavre). Le caractère sournois, insidieux et inexorable de la maladie est également mis en avant par les proches et les associations de malades.

Au niveau français, les travaux de synthèse de l’Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) sont venus étayer les données existantes en apportant des informations

Cette étude (Léon, Pin, Kreft-Jaïs, & Arwidson, 2015) a montré que malgré les dispositifs du dernier Plan Alzheimer, les représentations sociales évoluaient peu. Les auteurs ne retrouvaient pas de changement par rapport à la peur de la maladie avec 57% des répondants en 2013 (contre 59.9% en 2008) qui se disaient effrayé par la maladie d’Alzheimer. Le sentiment d’être bien informé sur la maladie reste stable également avec 60% en 2013 contre 62% en 2008 des répondants qui se disaient plutôt bien voire très bien informés. Enfin, le sentiment d’embarras face aux malades reste stable avec 31.9% d’accord contre 31 % en 2008. Par contre, les aidants interrogés en 2013 exprimaient un risque et une gravité plus importants de la maladie d’Alzheimer par rapport aux aidants interrogés en 2008.

Malgré les dispositifs du Plan Alzheimer, il apparait dans cette étude qu’une moindre proportion de la population française croit en l’existence de traitements pour améliorer le bien-être des malades (84.1% en 2008 contre 80% en 2013).