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Les relations parents/enfant et la quête d’identité

2. Nouvelle bande dessinée et adolecteurs

2.2. Des récits du réel

2.2.2. Les relations parents/enfant et la quête d’identité

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Nous l’avons vu avec les deux bandes dessinées autobiographiques, les parents sont très présents. L’une des scènes marquantes de Pourquoi j’ai tué Pierre est le face-à-face entre Olivier et sa mère, le jour où le garçon lui raconte ce qu’il s’est passé avec Pierre. C’est d’ailleurs cet épisode qui semble marquer tout particulièrement les adolecteurs18. Quant à (A)mère, comme le titre l’indique, la relation mère/fils est au cœur même du récit. Dans Lucille19, il est également question des relations parents/enfant. Lucille est une jeune adolescente qui vit seule avec sa mère. La BD alterne chapitre centré sur Lucille et chapitre centré sur Arthur. Lucille et sa mère vivent des relations tendues. Mère et fille ne se comprennent pas. Lucille a des mots très durs à l’encontre de sa mère : « La viande que l’on retourne dans la bouche a un goût de fer… De mort… ; Je la crache à ta gueule maman ».

Ces relations difficiles remontent à l’enfance. Lucille a découvert un soir ses parents dans une situation compromettante. Constater aussi brutalement que son père ne lui appartient plus est d’une violence inouïe. Ce déchirement œdipien a créé en elle une véritable angoisse.

Lucille entretient dès lors avec sa mère des relations compliquées. Elle pense que cette dernière ne la comprend pas. Malgré tout, lors de sa fugue avec Arthur/Vlad, elle ne peut s’empêcher de penser à sa mère et constater que celle-ci lui manque.

Arthur entretient également des relations complexes avec son père, un marin pêcheur alcoolique. Arthur est dans une angoisse perpétuelle. Il traduit son mal-être en s’essayant à des expériences satanistes. Il souffre de troubles obsessionnels compulsifs. Il compte, recompte tout, place les objets dans une certaine position…

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18 Voir annexe 3.

19 Ludovic Debeurme, op. cit.

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Si je ne le fais pas [compter], je crois que quelque chose de grave va arriver… Que quelqu’un va tomber malade… Que mon père… Que mon père va mourir… A cause de moi. Peut-être que je voudrais bien qu’il crève en fait.

Ce lien parent/enfant est très prégnant dans l’histoire d’Arthur. En effet, son père lui dit un jour qu’il y a une tradition dans leur famille d’origine polonaise : lorsque le père meurt, le fils aîné prend le prénom de Vlad, comme un héritage. Or, le père d’Arthur perd son travail (indirectement par la faute de son fils) et se suicide. C’est l’occasion pour Arthur/Vlad d’apprendre que son grand-père paternel s’est lui aussi suicidé. Ainsi, Arthur/Vlad découvre un héritage familial lourd à porter. D’ailleurs, comme une fatalité, le récit se clôt par le suicide (manqué ?) du jeune homme.

Ces relations parents/enfant sont à mettre en lien avec la quête d’identité propre à l’adolescence, comme nous l’avons déjà évoqué dans la première partie de ce travail.

L’adolescent est lié viscéralement à ses parents comme le prouvent les passages oniriques de Lucille lors desquels apparaissent les figures parentales. Lucille et Vlad rêvent de leur parent.

Ces adolescents veulent exister par eux-mêmes, ils souhaitent se libérer des liens familiaux.

C’est pourquoi ils fuient en Italie. Ils pensent qu’en s’éloignant géographiquement de leurs parents, ils vont pouvoir s’en détacher. Or ce n’est pas le cas. Lucille pense à sa mère qui lui manque et Vlad ne parvient pas à lutter contre la tradition familiale et se suicide. Vlad se fond dans le marasme familial. Le poids de la tradition familiale lui fait même perdre son propre prénom, symbole ultime de l’identité.

La quête d’identité est également un thème fort de Je mourrai pas gibier. Martial est un adolescent vivant à Mortagne petit bourg rural présenté par l’auteur :

Mortagne, c’est mille deux cent dix-neuf habitants. Du bois et de la vigne. Ici, ce sont les deux seules ressources qui alimentent les deux seules entreprises de la commune. Le château Clément. La scierie Listrac. Et bosser pour monsieur Clément revient à haïr ceux qui bossent pour monsieur Listrac. Et inversement. C’est comme ça depuis toujours, ici.20

La tradition est très prégnante. Ce passage montre bien la fatalité, le poids du destin dans la vie des habitants. Le héros, Martial, refuse cette fatalité. Lui ne veut être ni dans la vigne ni dans le bois. Suite à un stage effectué en troisième chez un luthier, il veut continuer dans cette voie. Mais ses proches ne sont pas d’accord. Sa sœur ricane, son père s’insurge.

Fredo, un ami de son grand frère, donne son avis : « Votre petit dernier serait pas pédé ? Je sais pas, j’ai toujours entendu dire que luthier était un métier de pédé »21. Du coup, Martial abandonne son projet mais s’engage tout de même dans une autre voie que celle qui lui était destinée : il s’inscrit en CAP mécanique. Martial veut à tout prix se construire

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20 Alfred, Je mourrai pas gibier, op. cit., p. 11.

21 Ibid., p. 25.

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indépendamment de sa famille. Mais cela lui est reproché quand son père tombe malade du cancer. Sa sœur dit : « Tu lui as fait tellement de peine » et son frère « Tu crois que voir un mécano dans la famille lui fait plaisir ?! » et sa mère : « Il ne peut supporter cette idée »22. Tous ces reproches sont à l’origine du drame, comme le montrent bien ces deux vignettes dans lesquelles se mêlent les visages des moqueurs et accusateurs :

Case 4 p.53

Martial se remémore la scène où Fredo dit au père de Martial que luthier est un métier de « pédé ».

p.54

Nous sommes à un moment crucial de l’histoire, le moment où tout bascule. Martial rumine. On peut voir autour de lui les silhouettes de Fredo, son frère, son père alité, sa sœur…

Ces histoires peuvent être comparées à des récits initiatiques au cours desquels les héros-enfants deviennent adultes en surmontant un certain nombre d’obstacles. C’est le cas de Lucille et Vlad qui, en fuyant le terreau familial lors de leur fugue en Italie, s’émancipent et deviennent adultes, notamment en découvrant la sexualité. Il en est de même pour Martial qui, de façon dramatique, se détache de toute contrainte pour enfin pouvoir devenir lui-même.

Martial se débarrasse de son passé de façon irréversible pour ne pas mourir gibier. Il refuse d’être la proie de son propre destin, ce sera lui le chasseur. Dans Pourquoi j’ai tué Pierre, c’est en osant affronter son passé qu’Olivier s’autorise à vivre enfin sa vie d’adulte.

La sexualité fait partie intégrante de cette initiation. Elle participe à cette quête d’identité poursuivie par les adolescents. Dans ces BD, le langage est cru pour parler de

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22 Ibid., p. 34.

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sexualité, tant par les mots choisis que les images montrées. C’est le cas notamment dans Je mourrai pas gibier :

Le récit de Lucille commence par une scène de masturbation :

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