• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 2 : FACTEURS INFLUENÇANT LES RÉSULTATS DES PROJETS

2.2 Une approche centrée sur les acteurs : volonté politique, imputabilité vers le bas et

2.2.2. Les relations de pouvoir : concepts et définition

Gaventa (2006, 23) utilise une notion de pouvoir s’inspirant des écrits de Steven Lukes (1974) et développe une conception aux tendances post-structuralistes présentant la forme d’un cube divisé en trois principales dimensions, résumé dans la Figure 2 située ci-dessous : l’espace, le niveau et la forme.

Figure 2. Une conception cubique du pouvoir : niveaux, espaces et formes.

Source : Gaventa (2006).

Les trois dimensions seraient, selon l’auteur, en interrelation et celui-ci indique que, malgré que le pouvoir soit présenté sous la forme d’un cube, « it is important to think about each side of the cube as a dimension or set of relationships, not as a fixed or static set of categories »

(Gaventa 2006, 26). Par ailleurs, chacune des trois faces sont elles-mêmes divisées en trois idéaux-types, comme nous le voyons sur la Figure 2.

En premier lieu, Gaventa (2006, 26), en se penchant sur les écrits de Cornwall (2002), aborde l’espace potentiellement réservé à la participation des individus du « bas », les populations locales, dans la formulation et la prise de décisions d’un projet : (1) les espaces clos, où les décisions sont prises par un ensemble d’acteurs précis, habituellement les élites qui décident seules pour la population ; (2) les espaces invités, où les populations sont invitées, par les autorités gouvernementales, une ONG ou tout autre partenaire de développement, à participer au processus de décision ; (3) les espaces que se créent de manière autonome les populations locales, émergeant de préoccupations communes et qui prennent part à un projet de développement. Les différents espaces participatifs sont, ainsi, façonnés par les relations de pouvoir existant entre les différents acteurs, car ils définissent ce qui est possible, qui peut y entrer, avec quelles identités, quels discours et quels intérêts (Gaventa 2006, 26). Par ailleurs, les trois types d’espace seraient en ordre croissant de potentielle influence des bénéficiaires. De fait, parce qu’un espace « créé » par les populations locales prendrait part dans un milieu initialement contrôlé par celles-ci, elles seraient davantage en mesure d’exercer une influence dans un projet qu’un espace leur étant inconnu, façonné et conçu par les concepteurs/exécuteurs. En deuxième lieu, l’auteur discute du niveau où se situe l’influence que peut exercer les populations dans les décisions. Gaventa (2006, 27-8) note trois principales arènes : (1) locale, (2) nationale et (3) mondiale. Cette dimension constitue, plus spécifiquement, l’aspect vertical du pouvoir dans les différents niveaux de la sphère de décisions d’un projet : à quel niveau les populations locales réussissent, ou ne réussissent pas, à exercer une influence ? Logiquement, avoir une influence au niveau mondial sous-entend avoir une plus grande capacité d’exercer le pouvoir qu’une influence au niveau local.

Finalement, en troisième lieu, l’auteur aborde les formes que peut prendre le pouvoir et celles-ci constituent plus concrètement les « règles du jeu » sous-tendues par un projet de développement (Gaventa 2006, 28-9). L’auteur discute d’abord de la forme visible du pouvoir qui constitue les aspects facilement observables du pouvoir politique et qui, par le fait même, révèle qui dans un projet possèderait, sur papier, le pouvoir : les règles formelles, les structures, les autorités, les institutions et les procédures de prise de décision, entre autres (Gaventa 2006, 29). Gaventa (2006, 29) discute ensuite de la forme cachée du pouvoir, où l’auteur constate que

certains individus et institutions maintiennent leur influence dans la sphère de décisions en contrôlant qui a un mot à dire dans un projet et ce qui peut être mis à l’agenda. Ainsi, certains individus, ou institutions, seraient dans une position d’influence dominante, leur permettant d’articuler leurs choix sans l’obligation de concerter les autres acteurs. Finalement, est abordée la forme invisible du pouvoir, c’est-à-dire la capacité d’influencer les croyances des individus. Plus spécifiquement « [b]y influencing how individuals think abouth their place in the world, this level of power shapes people’s beliefs, sense of self and acceptance of the status quo – even their own superiority or inferiority » (Gaventa 2006, 29). Ainsi, la socialisation, la culture et l’idéologie peuvent perpétuer l’exclusion et l’inégalité en « defining what is normal, acceptable and safe » (Gaventa 2006, 29).

En ce qui concerne cette dernière dimension du cube de pouvoir, apparaît, ici, la pertinence des propos d’Eversole (2010), où celle-ci note la constante imposition des règles du jeu du développement par les « experts ». En effet, « [w]hether these are projects to empower “disadvantaged communities” narrowly, or “citizens” broadly, experts and their institutions are still cast as the initiators, the developers, the agents of change » (Eversole 2010, 30). Les projets de développement prennent part dans le terrain institutionnel des « experts », et non pas à partir des institutions créées et utilisées par les populations locales (Eversole 2010, 35). Or, ce contexte institutionnel – qui présente un langage, une structure organisationnelle, des hypothèses partagées, des valeurs ancrées dans un savoir « professionnel » et des objectifs organisationnels (Eversole 2010, 35) – est généralement étranger aux communautés avec lesquelles les « experts » tentent de travailler. Ainsi, les populations doivent s’adapter à bon nombre d’éléments qui leur sont inconnus ce qui, par la même occasion, les contraignent à demeurer dans une situation de subordination par rapport aux concepteurs/exécuteurs.

Nous amenons, donc, l’idée que l’échec/succès des projets d’agriculture urbaine proviendrait principalement de cette possibilité qu’ont les acteurs du « haut », de par leur

position avantageuse dans l’espace où se déroule le projet, d’articuler un degré d’imputabilité

vers les bénéficiaires qui varie selon leur volonté. Cette variation dans le degré d’imputabilité – donc dans la reddition de comptes aux bénéficiaires et dans leur accompagnement dans l’accaparement et le contrôle des activités mises en place – joue un rôle central dans les possibilités de succès/échec d’un projet. C’est par cette imputabilité vers le « bas » que les concepteurs/exécuteurs s’assurent que les projets répondent à leurs objectifs, y compris ceux

d’empowerment et de réduction de la pauvreté. Ainsi, une différenciation dans l’imputabilité peut avoir un impact substantiel sur l’échec/succès de projets similaires, comme nous allons le voir dans le prochain chapitre

***

Par l’intermédiaire de ce chapitre, nous avons vu les principales approches offertes par la littérature d’agriculture urbaine pouvant potentiellement expliquer les observations faites pour le cas de Bobo-Dioulasso. Dans un premier temps, nous avons présenté les différentes approches alternatives à celle que nous privilégions et avons montré comment celles-ci n’étaient pas applicables à notre cas. A suivi, dans un second temps, la circonscription de notre variable explicative et, par le fait même, avons développé le cadre théorique appliqué à ce présent mémoire. C’est en articulant ce cadre théorique dans le prochain et ultime chapitre que nous réussissons à répondre à notre principale problématique : Pourquoi deux projets d’agriculture

urbaine similaires, prenant part dans une même ville, ont-ils entraîné des degrés de succès bien différents chez les populations bénéficiaires ?

CHAPITRE 3 : IMPUTABILITÉ ET RELATIONS DE POUVOIR