Chapitre 2. La gouvernance et la théorie des parties prenantes
2.1 L’approche de la gouvernance
2.1.1 Les principales théories de la gouvernance
L’approche de la gouvernance est traitée sous les prismes de plusieurs cadres analytiques
(concurrents) dans les domaines stratégique, financier, ou comportemental, issus des
divergences philosophiques et idéologiques conduites par des auteurs comme Machiavel, Kant,
ou encore Locke et Marx. Ce qui a engendré des théories contradictoires mais parfois
complémentaires. Les deux grands courants théoriques dominants en matière de gouvernance
sont : le courant actionnarial d'inspiration libérale et le courant partenarial d’inspiration
socialiste (Trébucq, 2005 ; Charreaux, 2011). Nous trouvons aussi les théories cognitives
développées par Charreaux, (2011) et la conception des « communs ». Chaque courant est basé
sur sa propre interprétation de “l’efficience des organisations et de leur existence”.
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L’objectif final de tous ces dispositifs est de fournir des indicateurs permettant la mesure de la
performance des organisations “ (de mesurer la performance d’une production de services non
marchands)” (Meier, Schier, 2008). Autrement dit, ces dispositifs permettent l’évaluation de
l’efficacité de la gouvernance des organisations dans un cadre strictement financier où le
manager doit rendre des comptes uniquement aux propriétaires de l’entreprise.
2.1.1.2 Les théories partenariales de gouvernance : conception partenariale
Freeman et Reed (1983) s’opposent au modèle actionnaires mettant l’accent sur une relation
étroite entre le dirigeant et les actionnaires. Ils proposent toujours dans une optique disciplinaire
un modèle prenant en compte les intérêts d’autres acteurs identifiés comme parties prenantes
de l’entreprise comme les salariés, les clients, les fournisseurs, etc.
En fait, le débat qui porte sur le rapport entre le rôle de l'entreprise et le reste de la société est
un ancien débat. Le concept de parties prenantes “stakeholder” a pris une grande place dans les
recherches traitant la gouvernance, pourtant à l’origine il était utilisé en management
stratégique. Selon cette théorie des parties prenantes, le manager doit prendre en compte non
seulement les préoccupations des actionnaires mais aussi les besoins et les intérêts divergents
des parties prenantes (Mercier, 2006 ; Charreaux, Desbrières, 1998). Ainsi chaque partie
prenante doit rendre des comptes aux autres parties prenantes. ”Une telle approche suppose
que les relations entre la firme et les différentes parties prenantes ne sont pas simplement
marchandes, mais sont coconstruites de façon à créer de la valeur selon la perspective élargie
de la valeur partenariale” (Charreaux, 2011, p. 8).
Malgré les lacunes de cette théorie (problème d’arbitrage pour satisfaire tous les intérêts parfois
contradictoires), elle a réussi à imposer un modèle alternatif au modèle actionnarial, en essayant
de proposer un modèle de management éthique, loin de l'égoïsme du modèle actionnarial
(Mercier, 2006).
En outre, la satisfaction des autres parties prenantes peut contribuer à faire en sorte que
l’entreprise atteigne ses objectifs organisationnels. Dans ce cas la théorie peut être considérée
comme une théorie d’agence élargie dont le dirigeant n’est pas seulement l’agent des
actionnaires mais l’agent de toutes les parties prenantes (Mercier, 2006).
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2.1.1.3 Les théories cognitives (Charreaux, 2011)
Ces théories traitent de la gouvernance sous un angle radicalement différent des théories
contractuelles et elles sortent du cadre statique du contrat et de la discipline. Elles mettent
l’accent sur la création de valeur en matière de connaissance pour favoriser l’apprentissage
organisationnel et l'innovation, et non sur la maîtrise de l’information comme c'est le cas pour
les théories contractuelles où tous les acteurs devraient partager les mêmes informations, où les
conflits se produiraient suite à l’asymétrie de l’information.
Pour les théories cognitives la même information peut être interprétée différemment d’un
individu à un autre ce qui produira des connaissances parfois différentes qui permettront
d’innover. Ces connaissances peuvent constituer des ressources internes. Il existe un revers de
la médaille, puisque l'interprétation des informations engendrera des connaissances différentes,
autrement dit, le même phénomène peut être interprété différemment d’un acteur à un autre ce
qui complique la tâche pour se mettre d’accord et crée une source de conflit.
Les conflits selon cette théorie sont des conflits cognitifs complètement différents des conflits
cités par les théories contractuelles qui sont des conflits d’intérêts. Un système de gouvernance
efficient est un système capable de réduire les conflits.
2.1.1.4 La conception des « communs » : réflexion
Pesqueux et De Rozario sous-entendent que le mouvement des « communs » pourrait
représenter un modèle alternatif aux gouvernances actionnariales et le modèle TPP. “Ce défi
qui oppose deux paradigmes - le paradigme du profit présenté comme dominant et le paradigme
des communs présenté comme alternatif “ (De Rozario et Pesqueux, 2018, p. 238).
Ils sous-entendent aussi que le passage d’un modèle de gouvernance à un autre est possible
selon le processus du travail institutionnel selon (Greenwood et al., 2002).
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Figure 8 : les étapes du travail institutionnel selon Greenwood (2002) (cité par De Rozario et
Pesqueux) (2018, P 234)
L'énergie solaire s’analyse bien sous le prisme des communs comme c’est le cas pour les
“forêts, gibiers, rivières et pâturages libres jusqu'au 12e siècle”. Elinor Ostrom définit les
communs comme des biens communs sans propriétaire tels que l'eau ou l'air”, définition citée
par (De Rozario, Pesqueux, 2018b, p. 233). L’énergie solaire est à la disposition de tout le
monde à condition d’avoir l’équipement nécessaire pour transformer la lumière du soleil en
énergie, ce qui veut dire que chaque acteur peut satisfaire ses besoins en énergie
indépendamment des autres acteurs, même l’Etat, qui jusqu’à maintenant est seul maitre de
l'approvisionnement en énergie conventionnelle.
Dans le cas de la politique énergétique algérienne, l’Etat joue un grand rôle dans le
développement des énergies renouvelables, mais seulement à court terme, car demain lorsque
l'exploitation des énergies solaires se démocratisera, qui devra assurer la gestion de l'énergie
solaire où chaque acteur devient à la fois producteur et consommateur ? Comment gérer le
surplus produit en énergie solaire ? Nous revenons à la même discussion inachevée décrite par
(De Rozario, Pesqueux, 2018a, p. 238) autour du « communs », de l’acteur apte légitime à gérer
les mécanismes du communs.
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Un autre point abordé par (De Rozario, Pesqueux, 2018a, p. 238) et qui s’applique bien à
l'énergie solaire c’est le “risque d'enclosure (privatisation) des communs”. Dans beaucoup de
pays qui encouragent le développement des énergies renouvelables surtout le solaire comme la
France, le Maroc et l’Algérie, l’Etat se porte garant de l’achat du surplus d’électricité produit
par l'énergie solaire. Le but actuellement est d’encourager le développement de ce type
d'énergie. Mais une question mérite réflexion : ces lois, qui expriment une façon
d'institutionnaliser le “communs” ainsi que les autres actions dans ce sens et qui encadrent
l’achat de l'électricité solaire par l’Etat, ne représentent-elles pas “des comportements
d'appropriation, en écho au drame des communes, catastrophe de gestion et d'appauvrissement
annoncé par les défenseurs de la propriété privée si la philosophie des communs était
adoptée ».
L'appropriation du communs par la fonction publique nécessiterait de “désinstitutionnaliser et
de réinstitutionnaliser d'autres rapports”. L’Etat devrait se porter garant de
l'institutionnalisation du communs.
La question que nous nous posons est : le modèle des « communs » peut-il assurer la
gouvernance des « communs » et quelle sont les pratiques de gouvernance adéquates ?
En résumé, parmi ces quatre modèles exposés ci-dessous, nous allons nous intéresser à la
conception partenariale qui est la mieux adaptée pour analyser notre terrain caractérisé par
l’interaction de deux sphères public et privé sur le développement des projets énergies solaires
lancés par le gouvernement ou les collectivités territoriales, et réalisés soit par des entreprises
internationales soit par des entreprises privées.
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Dans le document
Stratégies d'influence et réception d'une politique publique d'équipement solaire en Algérie
(Page 69-75)