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LES PARTICULARITÉS DE LA PROSTITUTION ESTUDIANTINE

 

Avant de conclure cette recherche, il nous semble indispensable de nous concentrer sur les  particularités  que  cette  étude  nous  a  permis  d’observer  en  matière  de  prostitution  estudiantine. Plus précisément, nous traiterons des thèmes suivants : la facilité d’accès à la  prostitution, les aspects temporaire et occasionnel de la pratique et le questionnement  relatif au statut « identitaire » des personnes que nous avons rencontrées dans le cadre de  notre recherche. 

   

6.1 La facilité d’accès   

Nous l’avons déjà mentionné : l’émergence de l’Internet a facilité l’accès à la prostitution,  aussi bien du côté des personnes qui se prostituent que de celui de la clientèle. Cet outil  simplifie la pratique prostitutionnelle dans le sens où il n’est plus nécessaire d’aller dans la  rue ou de poser une annonce dans un journal pour rencontrer la clientèle. Internet a aussi  l’avantage d’offrir une sorte de protection. Les premiers contacts entre la / le prostitué.e se  font par l’intermédiaire d’un écran. 

Nous avons nous‐mêmes utilisé ce moyen pour contacter une partie des répondants à notre  étude. Ils étaient plus nombreux à nous répondre via Internet que par le biais des annonces. 

Aucun d’eux ne nous a contactées directement par téléphone. Finalement, Internet nous a  facilité la tâche à nous aussi, chercheuses en quête de témoignages. 

Il semble que cet outil de communication engendre deux phénomènes de prime abord  contraires. D’un côté, il est créateur de lien : il permet de mettre en lien les prostitué.e.s  avec les client‐e‐s mais aussi, dans notre cas, les chercheurs avec le terrain. Inversement,  Internet permet d’instaurer une distance entre les personnes puisque la rencontre est  indirecte et virtuelle. 

Plus précisément pour des étudiant.e.s  désirant se prostituer, Internet offre aussi des  avantages : l’anonymat et le secret de l’activité sont préservés, ce qui représente un atout  accrocheur compte tenu du statut de ces personnes en études. 

   

6.2 Une activité temporaire ?   

L’activité  de  prostitution  a  été  pensée  comme  temporaire  par  l’ensemble  de  notre  échantillon. Il devient alors légitime de se pencher sur cet aspect. Il convient de préciser qu’il  y a, très souvent, une différence notable entre l’intention des personnes à pratiquer la  prostitution de manière temporaire et la réalité. C’est le cas de certaines prostituées qui  projettent, des années durant, d’arrêter et ne le font pas ou ne peuvent le faire dans les  faits. 

Mettre un terme à la prostitution est une étape difficile. En effet, quitter la prostitution  implique une réinsertion dans un monde du travail plus traditionnel. Cela signifie donc  trouver un emploi, s’adapter à de nouveaux horaires, etc. Toutefois, le plus compliqué  semble être de cacher la pratique de la prostitution que ce soit au potentiel employeur ou 

aux collègues. Cela implique parfois la création d’un « scenario de vie » permettant d’éviter  d’aborder la pratique prostitutionnelle et ainsi de faciliter la réorientation. 

Pour nos enquêtés, la cessation d’activité est différente d’abord parce qu’ils ont un autre  statut, celui d’étudiant. Ensuite, la prostitution est une activité annexe aux études. Elle ne  constitue pas l’unique point de repère de la personne. Les étudiants qui se prostituent par le  biais d’Internet et à titre individuel180ne sont pas ou très peu intégrés au « milieu », selon  nos observations. Cela est déterminant dans l’arrêt de l’activité. Effectivement, avoir une  autre activité qu’elle soit professionnelle ou scolaire permet une vision et/ou une ambition  de  l’avenir  sans  la  prostitution.  Les  personnes  se  projettent  en  dehors  de  l’activité  prostitutionnelle. Non seulement elles l’envisagent comme un recours temporaire mais elles  ont en leur possession des alternatives à court, moyen ou long terme. Ces dernières ne sont  pas uniquement financières. Rappelons que si l’argent est un moteur poussant les personnes  à  poursuivre  la  prostitution,  il  n’est  pas  toujours  l’élément  déclencheur.  Ainsi,  un  changement dans la vie de la personne qui se prostitue peut marquer la fin de l’activité. 

Notre étude n’est pas en mesure d’apporter des statistiques quant à l’aspect temporaire de  la prostitution des étudiants. Néanmoins, les facteurs explicités ci‐dessus sont à prendre en  considération pour réfléchir à cette particularité de la prostitution estudiantine. 

   

6.3 Activité occasionnelle… ou irrégulière ?   

Déterminer ce type de prostitution comme occasionnel ne nous donne pas d’indication sur  la fréquence à laquelle l’activité est exercée. Le terme « occasionnel » a pour définition : 

« Qui résulte d’une occasion, se produit, se rencontre par hasard »181 Cela signifierait, selon  le titre de ce chapitre, que l’activité prostitutionnelle aurait pour fréquence le hasard. Or, ce  n’est de toute évidence pas le cas. Néanmoins, ce qualificatif a l’avantage de sous‐entendre  l’irrégularité  de  l’activité  ce  qui  correspond  a  une  des  spécificités  de  la  prostitution  estudiantine. 

En effet, nous pouvons affirmer que les étudiants que nous avons rencontrés n’ont pas  effectué cette activité avec régularité. La fréquence de la pratique varie selon les personnes  mais une particularité récurrente est que la prostitution n’est pas exercée à horaires et  fréquences fixes. Des paramètres tels que l’envie et la nécessité de le faire rendent cette  activité irrégulière  voire occasionnelle.  Quoiqu’il  en soit, l’activité prostitutionnelle des  étudiants que nous avons rencontrés n’a jamais constitué, pour eux, un travail d’étudiant. 

Par ailleurs, la plupart d’entre eux avaient aussi un emploi à côté de leurs études durant leur  pratique prostitutionnelle. 

Si la fréquence de l’activité prostitutionnelle ne peut être envisagée comme le fruit du  hasard, nous pouvons la qualifier d’irrégulière concernant les participants à notre étude. 

     

180 C’est‐à‐dire sans l’intermédiaire d’une agence d’escorts. Ce qui est le cas de tous nos enquêtés. 

181 Alain Rey, Le Robert Micro, Paris : Edition Poche, 1998, p. 899. 

6.4 Quelle identité : étudiant, prostitué ou les deux ?   

Nous avons  intitulé  ainsi  ce chapitre afin  d’introduire  le questionnement suivant :  les  personnes interrogées dans le cadre de notre enquête se sont‐elles reconnues comme des  personnes prostituées durant le temps de leur pratique ? Nous nous demandions si nos  répondants s’identifient ou se sont identifiés comme des personnes prostituées. 

Notre recherche nous dévoile que les personnes interrogées ne se sont pas identifiés à des  personnes prostituées. Ceci peut s’expliquer de diverses manières. L’une d’elle est, selon  nous, liée au fait que tous les répondants de notre étude bénéficiaient du statut d’étudiant  au moment de la prostitution et que les études constituaient leur activité principale. De plus,  un de nos informateurs ne s’est pas reconnu dans le statut de prostitué parce qu’il ne  fréquentait pas ce milieu. Pour lui, une personne prostituée « c’est soit celle qui fait le  trottoir, soit celle qui travaille dans un salon ». Ne fréquentant aucun de ces lieux, il ne se  considérait pas comme un travailleur du sexe. Un autre ignorait qu’il se prostituait car, au  début du moins, il ne percevait pas d’argent suite à ses rencontres. Un troisième enquêté  nous a dit ne pas vouloir être associé au milieu de la prostitution qu’il voit comme « faux et  pervers ». La crainte de ce milieu le pousse à ne pas vouloir se considérer comme en faisant  partie. Une dernière personne nous a dit ne pas aimer le mot « prostitué », il ne souhaite pas  s’attribuer ce terme. Enfin, certains avouent plus clairement ne pas vouloir s’attribuer  l’étiquette de prostitué. 

Précisons tout de même que ce n’est pas parce les participants à notre recherche ne  s’identifiaient pas à des travailleurs du sexe qu’ils n’avaient pas conscience d’exercer la  prostitution. Ce sont deux aspects totalement différents. 

Nous comprenons qu’il soit délicat pour les participants à notre étude de s’identifier à des  prostitués. Il apparaît que, bien souvent, cette activité soit véritablement dissociée du reste  de leur vie. Le secret de la pratique permet peut‐être aussi à ces personnes de relativiser la  portée de leur acte. En définitive, la prostitution est un pan de leur vie, elle ne prend pas une  place majeure comme cela est peut‐être le cas pour des personnes plus insérées dans le  milieu ou pour lesquelles la prostitution est la source principale de revenus. Les enquêtés  eux‐mêmes se considéraient avant tout comme des étudiants.  

   

A ce stade de notre travail, nous avons réussi à fournir des réponses aux questionnements  soulevés par la prostitution estudiantine. Nous sommes en possession d‘informations nous  permettant d’établir le bilan de notre recherche et aussi de l’élargir à d’autres interrogations  soulevées notamment par les limites que nous avons rencontrées. Ceci fera l’objet de notre  conclusion. Nous ajouterons à cela les perspectives plus concrètes que nous imaginons en  lien avec la thématique de la prostitution estudiantine.