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Les pairs comme nouveau groupe de référence

Dans le document Les adolescents et leur famille (Page 48-50)

L'adolescence est souvent considérée comme « le temps des copains » et plus largement comme celui de la sociabilité entre pairs : « La culture adolescente valorise la relation entre pairs en tant que telle, elle en fait un élément central et générique de sa définition », comme l’écrit Olivier Galland (2004 [1991], p. 224). Claire Bidart montre également que l'âge est la variable la plus marquante concernant le volume de sociabilité : le nombre de relations amicales est le plus fort au moment de l'adolescence et décroît ensuite à l'âge adulte. La sociabilité adolescente est définie comme un « réseau gigogne » qui réunit principalement des jeunes aux mêmes caractéristiques (Bidart, 1997). En effet, au début de l’adolescence, les amitiés se nouent principalement entre des élèves de même sexe, répondant ainsi à la loi de l’homolalie (Moulin, 2005). À cet âge, l'effectif des relations amicales est également gage de prestige (Balleys, 2015 ; Metton-Gayon, 2009).

Ce primat accordé aux pairs n’est pas sans conséquence sur les relations familiales. Les adolescents passent en moyenne deux fois plus de temps avec leurs amis qu’avec leurs parents, sans compter le temps passé virtuellement avec les pairs au téléphone ou sur internet (Beck et al., 2014). Même si la hiérarchie entre les adolescents et les adultes est moins marquée qu’auparavant, les familles,

LES ADOLESCENTS ET LEUR FAMILLE

craignant la sociabilité juvénile et son influence, peuvent la contraindre en fixant des cadres, notamment des règles concernant les horaires et les espaces de sortie (Danic, 2009).

Les pairs deviennent, au cours de l'adolescence, un nouveau groupe de référence véhiculant des normes qui ne sont pas toujours en concordance avec la socialisation familiale. Des sociologues – en première ligne Dominique Pasquier (2005) avec son expression de « tyrannie de la majorité » – se sont attachés à montrer comment le regard des pairs contraint l'adolescent à se conformer aux goûts culturels et vestimentaires, mais aussi aux comportements scolaires du groupe des pairs. En effet, l'expérience scolaire des adolescents n'est pas uniquement une quête de réussite se réduisant à une logique stratégique (Dubet et Martuccelli, 1996). Cette dernière entre en tension avec une logique d'intégration, et plus spécifiquement avec l'appartenance à la communauté des pairs : « C'est au sein même de l'école que se réalise la tension fondamentale de l'expérience juvénile entre l'appartenance à un groupe d'âge et l'investissement dans des projets et des stratégies brisant cette communauté », comme l’écrit François Dubet (1996, p. 28). Néanmoins, la tension entre réussite scolaire et intégration au groupe de pairs diffère selon le profil de l'élève et le type d'établissement scolaire fréquenté. Même si globalement, on n'est plus actuellement dans une opposition simple de deux réseaux d’évaluation (l’un scolaire, l’autre juvénile) [Martuccelli, 2008], ce conflit entre normes adolescentes et socialisation scolaire continue de se retrouver dans les collèges de banlieues (Dubet et Martuccelli, 1996 ; Lepoutre, 1997), où les hiérarchies adolescentes s'opposent aux hiérarchies scolaires. A contrario, les collégiens des « bons collèges » vivent la tension entre l'adolescence et l'école de manière adoucie. Les catégories scolaires sont acceptées et n'entrent pas en forte contradiction avec les hiérarchies juvéniles (Dubet et Martuccelli, 1996). En somme, dans une telle perspective, l'expérience adolescente consisterait à s'adapter au mieux aux injonctions des pairs.

Mais cette pression adolescente au conformisme est à relativiser, le groupe de pairs ne constituant pas un groupe homogène. La sociologie des réseaux a d'ailleurs joué un rôle primordial pour montrer cela avec plus précisément la théorie des liens faibles et forts de Mark Granovetter, qui appuie l’idée d’une diversification des liens sociaux. À partir d'une combinaison de quatre critères (la durée de la relation, l'intensité émotionnelle, l'intimité et les services réciproques), Mark Granovetter mesure l'intensité d'un lien, en distinguant les liens forts des liens faibles (Granovetter, 1973). Cette distinction reprise par Dominique Pasquier révèle que les adolescents ne ressentent pas la même pression en fonction des relations tissées. Contrairement aux liens faibles, le groupe des amis (les liens forts) est plus tolérant face aux divergences : il existe une marge de négociation au nom de l'amitié (Pasquier, 2005 et 2008). Le groupe des amis influence également davantage les aspirations scolaires que le groupe plus large des pairs (Allouch, 2013 ; Gibson et al., 2004). Et, les amis peuvent aussi avoir des effets bénéfiques en termes de santé. Par exemple, les adolescents avec un bon entourage amical présentent généralement moins de symptômes anxio-dépressifs, sont plus protégés contre les brimades et déclarent plus souvent aimer l’école et bien s’entendre avec leurs parents (Beck et al., 2014). L’appartenance à plusieurs groupes permet à l'adolescent de jongler avec les différentes facettes de son identité – dans la sphère publique ou virtuelle (Metton-Gayon, 2009)– et brouille ainsi l'unité du conformisme adolescent. Les comportements adolescents oscillent donc entre une logique de conformisme aux liens faibles et une plus grande autonomie permise par les liens forts. Mais les adolescents, toujours sous dépendance familiale doivent également « faire avec » la famille. En effet,

pour être enfant (de ses parents), être élève mais aussi être de son âge et avoir le « bon genre », l’adolescent doit faire face à une pluralité d’injonctions socialisantes – parfois contradictoires – et combiner ainsi les différentes facettes de son identité (identité pour soi, identité pour autrui, identités héritées ou encore identités visées) [Octobre et al., 2010). Les loisirs culturels, comme « supports et objets de la construction de soi », constituent alors un champ d’analyse pertinent pour observer ce qui se joue entre l’adolescent, sa famille et son groupe de pairs, le métier de consommateur culturel prenant place à la croisée des différentes appartenances (Octobre et Berthomier, 2011).

Dans le document Les adolescents et leur famille (Page 48-50)