• Aucun résultat trouvé

Les nouvelles technologies savent-elles nous parler d’amour ?

II. Les nouvelles technologies

3. Les nouvelles technologies savent-elles nous parler d’amour ?

500 millions de tweets par jour, plus de 300 millions d'utilisateurs actifs, et plus de 500 millions d'utilisateurs enregistrés en moins de cinq ans. Chaque jour, plus de 100 millions de tweets chinois seront publiés. Le contenu de haute dimension généré par des millions d'utilisateurs mondiaux apparait en ce sens comme une opportunité sans précédent pour étudier les émotions humaines. Et, en effet, il a été démontré que le sentiment et les émotions exprimés dans les tweets avaient le potentiel de fournir un suivi en temps réel du niveau de stress et du bien-être émotionnel chez les étudiants (Liu et al., 2017).

Mais si ces nouvelles technologies apparaissent comme un bon indicateur de suivi n’ont-elles pas modifié aussi l’essence même de nos émotions et de nos comportements émotionnels ? Car, en effet, si selon une étude de Derks et son équipe (2008) il semblerait que la communication émotionnelle par ordinateur soit similaire à la communication traditionnelle face à face, les codes semblent néanmoins avoir changé. Les nouvelles technologies et les

40

discussions via ordinateurs ont ainsi une nouvelle forme d’expressivité, les émoticônes, représentation virtuelle de notre composante expressive.

L’ensemble des chercheurs s’accordent sur le rôle des émoticônes et les définissent comme des signes graphiques utilisés pour indiquer un état émotionnel (Rezabek and Cochenour, 1998 ; Derks et al., 2007 ; Derks et al., 2008). La majorité des recherche suppose que ces derniers ont été créés afin de pallier au manque d’indicateurs expressifs contenus par la communication à distance (tels que les expressions faciales, les gestes, l’intonation et l’ensemble des autres indicateurs corporels) (Lo, 2008 ; Krohn, 2004). Ils sont ainsi perçus comme un support de la communication écrite qui, par l’essor des nouvelles technologies, semble avoir supplanté la communication en face-à-face.

Il a été démontré également que les femmes utilisent davantage les émoticônes que les hommes que ce soit au niveau de la fréquence (Baron, 2004 ; Wolf, 2000) ou du nombre (Herring, 2003). Ce constat semble mettre en évidence que si le type de communication a changé les femmes ont toujours tendance à exprimer davantage leurs émotions que les hommes.

L’impact de ces émoticônes sur le message est contradictoire dans les différentes recherches effectuées. En effet, certaines études mettent en évidence des effets minimes voire inexistants (Walther and D’Addario, 2001) alors que d'autres études expérimentales révélent que le message est perçu plus positivement avec des émoticônes que sans (Derks et al., 2008) ou que, à l’inverse, le message est pris moins au sérieux (Thompsen and Foulger, 1996). Le type d’émoticône semble également faire une différence importante puisque certains ont pour objectif d’indiquer une émotion alors que d’autres sont destinés davantage à indiquer une intention (Dresner and Herring, 2010). Enfin leur utilisation semble dépendante du contexte puisqu’il a été démontré que leur utilisation massive sur son lieu de travail était connotée péjorativement et était signe d’instabilité émotionnelle (Wolf, 2000).

3.2. Les règles ont changé.

Et si la forme de notre composante expressive s’est modifiée avec les avancées technologiques, elle semble également avoir pris une place prépondérante au sein des comportements émotionnels émergeant des nouveaux usages. En effet, durant longtemps et dans beaucoup de sociétés, il était d’usage de ne pas exprimer ses émotions en public. Ce phénomène avait notamment été popularisé sous le nom de display rules (règles de conduite) par Ekman et Friesen (1969). Mais aujourd’hui, notamment par le biais du téléphone portable, il est commun d’observer des éruptions immédiates d’émotions en pleine rue. Et si la composante expressive est de plus en plus commune, nous pouvons nous interroger sur la

41

minimisation en parallèle de la composante cognitive des émotions qui nous incite à faire preuve de régulation.

Cette expressivité émotionnelle majorée, et notamment dans les forums de discussion ou jeux vidéos, semble aussi générer un ressenti émotionnel plus intense comme l’a remarqué de façon précoce la sociologue S. Turkle (1995). Aussi il a été démontré que ce ressenti émotionnel exacerbé était à risque de générer des problèmes psychiques à long terme voire des actes suicidaires (Young, 2004).

Toujours au niveau de composante cognitive des émotions et la capacité de régulation de ces dernières, s’il est démontré qu’avec l’avancée en âge nous avons plus tendance à utiliser une stratégie de réévaluation cognitive que de suppression des émotions, les jeux vidéos pourraient bouleverser cette donnée. En effet, les jeux vidéos représentent pour certain une échappatoire aux difficultés émotionnelles qu’ils vivent par suppression de l’émotion existante en prenant l’identité d’un autre, plus fort, mais également irréel (S. Turkle, 1995). Ils pourraient donc avoir fourni à leurs utilisateurs des moyens de suppression émotionnelle séduisants car limitant l’effort cognitif nécessaire.

Certains auteurs soulignent cependant un aspect positif des jeux vidéos, et plus particulièrement des jeux en ligne, en postulant que cela permet de stimuler et non d’inhiber les capacités émotionnelles des joueurs. Ainsi, ils pourraient permettre le développement du self (Turkle, 1995) et des capacités sociales, permettraient de créer des liens amicaux (Bargh, McKenna et Fitsimmons, 2002) et aiguiseraient la sociabilité (Castronova, 2005).

Néanmoins, et c’est un biais valable pour l’ensemble des études portant sur les games ou serious games, les preuves de transfert de compétences dans la vie réelle demeurent rares. En conclusion il apparait que les nouvelles technologies ont principalement modifié la composante expressive des émotions en la rendant graphique, désinhibée et majorée. Aussi, et même si cette expressivité constitue une stratégie de régulation émotionnelle, son utilisation excessive et inappropriée pourrait intensifier le ressenti émotionnel (Scherer, 2001) et augmenter le risque de comportements dangereux en réaction de ce ressenti.

Il parait ainsi nécessaire de réévaluer constamment les fonctionnements émotionnels et de ne pas s’arrêter sur des anciens postulats propres à une époque où les nouvelles technologies n’avaient pas la place prépondérante d’aujourd’hui au sein de nos quotidiens. Et si les nouvelles technologies ont modifié la place et la forme des composantes émotionnelles, elles pourraient également constituer une méthode plus objective et plus précise pour les évaluer.

42

4. L’apport des nouvelles technologies dans l’évaluation des émotions.