L’évolution du rôle des négociations de branche en Italie
4. Les négociations de branche dans la banque
Employant environ 300 000 personnes (ABI 2015), le secteur bancaire constitue un cas à part dans le monde des services car il est fortement structuré par les organisations professionnelles et le dialogue social, intense à la fois au niveau de la branche et dans la quasi-‐totalité des entreprises. Les organisations syndicales sont nombreuses -‐ elles incluent un syndicat autonome (FABI) indépendant des trois grandes confédérations qui a un poids significatif -‐ mais tendent à adopter des positions unitaires. Le secteur banque/assurance comprend plusieurs branches et donc plusieurs conventions collectives : celle des banques commerciales (la principale par le nombre de salariés couverts), celle des banques coopératives, celle des assurances commerciales, et enfin des mutuelles. Le renouvellement du CCNL en temps de crise s’est révélé inhabituellement conflictuel au cours des années 2013-‐2015.
Le secteur bancaire italien connaît depuis plusieurs années une grave crise pour des raisons intrinsèques qui se sont ajoutées aux retentissements de la crise globale : une surexposition structurelle à des prêts non solvables sur le plan national21 qui a conduit à la faillite de
quelques banques régionales et plus récemment à une crise d’une des plus grandes banques du pays, Monte Paschi di Siena.22 Les plans de sauvetage de banques et les suppressions d’emploi se succèdent. Si les premiers sont supportés par l’Etat sur le plan financier, l’impact sur l’emploi a été majoritairement géré par les acteurs sociaux dans le cadre de plans négociés au niveau de l’entreprise, parfois avec le soutien des fonds sectoriels.
La question salariale en temps de crise
En septembre 2013, en pleine crise bancaire, l’association des banques italiennes (ABI) a dénoncé la convention collective an vigueur depuis janvier 2012 plus d’un an avant son terme, arguant de ne plus pouvoir suivre les augmentations de salaires qui y étaient inscrites. Les employeurs ont proposé de négocier un nouvel accord en espérant obtenir une modération des hausses de salaires mais la dénonciation de l’accord en vigueur et la crise de confiance des salariés dans les directions des banques, accusées d’avoir sinon provoqué, du moins laissé gonfler la crise par leur inaction ont suscité un conflit de grande ampleur, inédit dans cette branche.
Les syndicats ont appelé à la grève à plusieurs reprises, dès octobre 2013. Ils ont mobilisé jusqu’à 90% des employés de banque (selon leurs dires) le 30 janvier 2015. Ils ont essayé d’imposer la négociation de deux accords : le renouvellement ordinaire du CCNL d’une part et de l’autre un accord de transformation du système bancaire visant à l’assainissement des pratiques managériales et commerciales et renvoyant à une question de politique
21 les créances douteuses des banques italiennes représenteraient 20% du PIB du pays (Le Monde,
« Crise bancaire : l’Italie sera-‐t-‐elle la prochaine ? », 20/7/16)
22 L’alerte a été donné par le superviseur de la banque au sein de la BCE, qui l’a accusée d’avoir un
économique plus générale.23 L’ABI n’a pas donné suite sur le second point, considérant qu’il
n’y avait pas là matière à négocier avec les organisations syndicales.
L’accord de renouvellement du CCNL a finalement été signé le 31 mars 2015 par ABI et 8 organisations syndicales après un conflit d’un an et demi. Il entérine 85 euros d’augmentation mensuelle en moyenne, dont le versement est réparti en trois tranches sur 2016, 2017 et 2018.
L’accord confirme « la centralité du CCNL » et vise à « valoriser les relations industrielles au niveau de l’entreprise et du groupe : le CCNL a en fait la fonction de garantir la certitude d’un traitement économique et règlementaire commun pour tous les employés du secteur, tout en déclinant les critères et principes sur la base desquels mettre en œuvre la négociation de deuxième niveau, cette dernière représentant le lieu le plus adapté pour mieux répondre à une diversification des réalités individuelles des entreprises en fonction des choix stratégiques et organisationnels » (ABI 2015, 115, traduction de l’auteur). Le périmètre de la convention de branche, les échelons et les classifications sont maintenus à l’identique.
Négociations collectives et gestion de la crise
L’impact de la crise bancaire sur l’emploi a été largement pris en charge par les partenaires sociaux, dans le cadre de concertations au niveau local, avec le soutien des instruments paritaires et de fonds sectoriels. Le CCNL comprend par ailleurs un certain nombre de dispositions visant la sauvegarde de l’emploi. : réévaluation de 8% de la rémunération d’insertion professionnelle pour les nouveaux embauchés, élargissement des objectifs du Fonds national pour l’emploi du secteur bancaire (Fondo per l’occupazione, FOC). Le FOC, crée par le CCNL de 2012, sera opérationnel jusqu’au terme de la nouvelle convention fin 2018. Il peut désormais être mobilisé non seulement pour la création d’emplois (comme par le passé) mais aussi pour financer des projets de reclassement des travailleurs licenciés pour motif économique, des contrats de solidarité, de requalification professionnelle et faciliter l’entrée des jeunes sur le marché du travail. Ces dispositions destinées à gérer les conséquences sociales de la crise sont complétées par un accord spécifique pour couvrir le chômage des cadres dirigeants (Entretien 7). Enfin, l’accord propose la mise en place d’un organisme paritaire, ENBICREDITO pour soutenir l’appariement entre offre et demande sur le marché du travail sectoriel, ainsi qu’un comité paritaire chargé de réfléchir à une grille de classification plus flexible.
Les syndicats sont porteurs d’une vision prospective pour le secteur ; pour préserver l’emploi bancaire ils veulent développer des moyens de soutenir l’évolution vers les nouveaux métiers de la banque dans le cadre de la transformation digitale (entretiens 6 et 7). Ils ont
23 Sur ce second point, six organisations syndicales ont proposé une plateforme « pour un nouveau
modèle de banque au service de l’emploi et du pays » (Per un modello di banca al servizio
continué à revendiquer un accord d’éthique sur les pratiques commerciales de vente des produits financiers (et les rémunérations variables qui y sont liées), ce qu’ils ont obtenu sous la forme d’un code de bonne conduite sur les politiques commerciales et l’organisation du travail signé le 8 février 201724 (Planet Labor n°10064, 9/2/17). Les banques s’engagent à
respecter la protection de l’épargne grâce à l’information et à la transparence conformément aux normes européennes, ce qui devrait permettre d’éviter les situations rencontrées dans plusieurs établissements où des produits financiers complexes avaient été vendus à des personnes insuffisamment informées des risques, qui ont vu leurs économies disparaître dans la crise. Il est à noter que cet accord couvre certains thèmes qui relèveraient en principe de la négociation de deuxième niveau.