Sur le plan th´eorique, la g´en´etique des populations permet de pr´edire l’´evolution
des populations selon l’intensit´e des flux g´eniques. Les mod`eles math´ematiques
d´evelopp´es (entre autres) par Wright, Haldane, Fisher, Kimura, Slatkin et Kimura
ont permis d’expliquer le rˆole des processus de dispersion par rapport aux autres
forces ´evolutives. Le paragraphe qui suit pr´esente les principaux r´esultats de ces
travaux th´eoriques sur la migration.
Le rˆole des flux de g`enes en tant que force ´evolutive est de s’opposer `a la
dif-f´erentiation g´en´etique
1due `a la d´erive g´en´etique et `a la s´election naturelle. En
effet, en l’absence de migration, l’´evolution des fr´equences all´eliques est li´ee aux
effectifs finis des sous-populations et `a l’adaptation aux conditions
environneme-tales locales. La r´esultante de ces deux forces conduit donc `a la diff´erentiation
g´en´etique des sous-populations alors que l’effet de la migration est de redistribuer
la diversit´e g´en´etique. L’autre rˆole des flux g´eniques est la diffusion des mutations
favorables apparues dans une sous-population et le maintien du potentiel adaptatif
des esp`eces.
3.2.1 Mod`eles de migration
La litt´erature de la g´en´etique des populations est riche en mod`eles de migration
dans une population subdivis´ee. Ce paragraphe passe en revue quelques uns des
mod`eles les plus couramment rencontr´es (cf. Figure 3.1). Les changements de la
3.2. LES MOD `ELES DE LA G ´EN ´ETIQUE DES POPULATIONS 31
fr´equence pd’un g`ene `a locus biall´elique
2permettent de mieux comprendre l’effet
de la migration sur l’´evolution des fr´equences all´eliques.
Mod`ele continent-ˆıles
Le mod`ele continent-ˆıles
3constitue l’exemple le plus simple de sch´ema
migra-toire. Une population est subdivis´ee en plusieurs sous-populations (les ˆıles) : un
continent dont la composition g´en´etique ne change pas est entour´e de plusieurs
pe-tites ˆıles de mˆeme effectif N qui re¸coivent `a chaque g´en´eration une proportion m
de migrants du continent (cf. Figure 3.1(a)). Selon ce sc´enario, lors de la prochaine
g´en´eration la fr´equence de l’all`ele sur l’ˆıle isera
p
′i= (1−m)p
i+mp¯ (3.1)
o`u ¯pest la fr´equence de l’all`ele sur le continent. La situation d’´equilibre sera atteinte
lorsque la fr´equence de l’all`ele sur chaque l’ˆıle sera la mˆeme que sur le continent.
Mod`ele en ˆıles de Wright
Le mod`ele en ˆıles de Wright
4s’inspire d’un archipel (cf. Figure 3.1(b)). Bien
que peu r´ealiste ce mod`ele explique l’effet de l’interaction entre d´erive g´en´etique
et migration sur la diff´erentiation g´en´etique (cf. §3.2.2).
Une population est subdivis´ee en I ˆıles interconnect´ees et de mˆeme effectif
constant N. Chaque ˆıle re¸coit `a chaque g´en´eration le mˆeme nombre de migrants
de chacunes des autres sous-populations. Le taux de migration par g´en´eration,
not´e m, est ´egalement constant. Selon ce sch´ema, la fr´equence de l’all`ele dans la
sous-populationi sera
p
′i= (1−m)p
i+ m
I −1
X
j6=1p
j(3.2)
lors de la prochaine g´en´eration. Quelque calculs permettent de montrer que la
situation d’´equilibre sera atteinte lorsque la fr´equence de l’all`ele sera la mˆeme sur
toutes les ˆıles, soit la fr´equence de l’all`ele ¯p dans la population totale (qui reste
constante).
Mod`eles en treillis de Kimura
Kimura a introduit les mod`eles en treillis
5par analogie avec les dalles d’un
jardin japonais. Les mod`eles en treillis sont plus r´ealistes que les mod`eles en ˆıles
2. Par la suitep
id´esignera la fr´equence de l’all´ele dans la sous-populationi.
3. Mailand-island model.
4. Wright’s island model.
5. Stepping-stone models.
dans la mesure o`u ils prennent en compte une structure spatiale.
Une population est subdivis´ee en plusieurs sous-populations qui n’´echangent
des migrants qu’avec les sous-populations voisines. Les sous-populations sont
dis-tribut´ees r´eguli`erement le long d’un habitat uni ou bidimensionnel, elles poss`edent
toutes le mˆeme nombre de voisins k (k = 2 en 1D, k = 4 en 2D, Figures 3.1(c)
et 3.1(d)). Les ´echanges de migrants entre sous-populations sont sym´etriques et
s’effectuent avec le mˆeme taux de migration
mk
. La fr´equence de l’all`ele dans la
sous-populationi lors de la g´en´eration suivante sera alors
p
′i= m
k
X
ji
p
ji+ (1−m)p
i(3.3)
o`u les indicesj
id´esignent les sous-populations voisines de la sous-populations i.
Isolement par la distance
Les mod`eles d’isolement par la distance constituent une extension des mod`eles
en treillis dans lesquels la dispersion est limit´ee dans l’espace. L’id´ee de base est
que deux individus ont plus de chance de se reproduire s’ils sont
g´eographique-ment. La migration est fonction du noyau de dispersion : une majorit´e d’individus
dispersent sur de courtes distances. Ainsi les taux de migration diminuent avec
la distance entre sous-populations, et la probabilit´e de migrer est inversemment
proportionnelle aux distances entre sous-populations, i.e.
Pr(i→j)∝ 1
d
ij(3.4)
o`ud
ijest la distance g´eographique entre les sous-populations i etj.
Mod`ele matriciel
Le mod`ele matriciel g´en´eralise les mod`eles pr´esent´es ci-dessus, la migration
n’est pas forc´ement sym´etrique et diff`ere selon les paires de sous-populations (cf.
Figure 3.1(e)). Une matrice de migration M = (m
ij), o`u m
ijest la proportion
d’individus de la population i qui proviennent de la sous-population j, est alors
utilis´ee pour stock´ee les taux de migration. Dans ce cas, la fr´equence de l’all`ele
dans la sous-population isera
p
′i=X
j
m
ijp
j(3.5)
lors de la prochaine g´en´eration. La relation pr´ec´edente se r´e´ecrit sous la forme
matricielle
p
′=M p (3.6)
3.2. LES MOD `ELES DE LA G ´EN ´ETIQUE DES POPULATIONS 33
Continent
¯
p
(a) Mod`ele continent-ˆıles. (b) Mod`ele en ˆıles de Wright.
(c) Mod`ele en treillis 1D.
(d) Mod`ele en treillis 2D. (e) Mod`ele avec taux de migration arbitraires.
Figure 3.1 – Mod`eles de migration dans une population subdivis´ee. Les cercles
repr´esentent les sous-populations et les arcs les flux de g`enes. L’´epaisseur des arcs
est proportionnelle au taux de migration.
3.2.2 Mesure de la structure des populations
Lorsqu’une population est structur´ee en sous-populations, la diff´erentiation
g´en´etique rend compte de la distribution de la variabilit´e g´en´etique entre
sous-populations par rapport `a la population totale. S’il y a peu de diff´erences dans les
structures all´eliques des sous-populations, le niveau de diff´erentiation g´en´etique est
faible. Dans le cas inverse, les sous-populations sont fortement diff´erenti´ees.
Wright (1951) a introduit un indice,F
ST, qui mesure la corr´elation entre
varia-bilit´e g´en´etique entre sous-populations et structure. Lorsque le coefficient F
STest
proche de 0 (resp. 1), la structure est faible (resp. forte). Pour un locus biall´elique,
le niveau de diff´erentiation g´en´etique est d´efini par la relation
F
ST= σ
2
p(1−p) (3.7)
avec p la fr´equence de l’un des deux all`eles dans la population totale et σ
2la
variance de cette fr´equence entre sous-populations.
Cas du mod`ele en ˆıles de Wright L’un des sch´emas migratoires les plus
´etudi´es est le mod`ele en ˆıles de Wright. Pour un locus neutre (i.e. non soumis `a
la s´election) et en l’absence de mutations, Wright a montr´e qu’`a l’´equilibre entre
d´erive et migration
F
ST≈ 1 + 41N m (3.8)
o`u N m est le nombre de migrants qui participent `a la reproduction dans chaque
sous-population `a chaque g´en´eration. La relation (3.8) ci-dessus permet d’´etablir
que la d´erive diff´erentie consid´erablement les sous-populations (F
ST> 0,2)
lors-qu’il y a moins d’un migrant par g´en´eration (N m <1).
Des mod`eles de migration complexes qui impliquent plusieurs forces ´evolutives
ou des sc´enarios d´emographiques diff´erents permettent de pr´evoir l’´evolution de la
structure spatiale de la diversit´e g´en´etique. En particulier, les mod`eles de
m´eta-populations ont ´et´e introduits pour mieux tenir compte de la dynamique des
po-pulations. Le d´eveloppement des moyens de calcul facilite la simulation de mod`eles
de migration ´elabor´es pour valider les r´esultats th´eoriques. Cependant l’estimation
des taux de migration dans les populations naturelles reste un probl`eme difficile.
Dans le document
METHODES STATISTIQUES POUR L'ETUDE DE LA STRUCTURATION SPATIALE DE LA DIVERSITE GENETIQUE
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