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Partie II Vers une méthodologie de définition des produits sensibles

2.2 Au niveau régional : une réflexion en cours

2.2.2 Les méthodologies avancées pour l’Afrique de l’Ouest

Plusieurs méthodologies ont été proposées afin de déterminer les produits sensibles. La première, avancée par l’IDS56 a été proposée en quelque sorte pour lancer le débat sur les produits sensibles au sein des pays ACP. Le Trade Analysis Handbook (Stevens et Kennan, 2005) est une sorte de manuel afin de déterminer ces produits, à l ‘aide du logiciel Excel, suivant un seul critère ; celui des recettes douanières. Les données nécessaires sont les exportations européennes vers les pays ACP en valeur et en volume au niveau SH6 ou SH8 du Système Harmonisé, ainsi que les droits de douane. Deux manières de faire sont alors proposées : soit le pays souhaite exclure les biens les plus importés (correspondant à 20% des importations totales), soit ce sont les produits ayant les droits de douane les plus élevés qui ne seront pas dans l’accord (ceux dont le taux est supérieur à 20%). Cette méthode ne prend en compte que les effets qu’aura la libéralisation sur les recettes douanières. Or les pays ouest- africains ont clairement formulé que, si la méthodologie doit tenir compte des impacts fiscaux, elle doit avant tout considérer les effets sur la production. De plus, les recettes douanières sont celles avant l’ouverture, l’étude ne propose pas de simulation d’impact de la libéralisation, ce qui permettrait d’évaluer les pertes fiscales et les produits les plus concernés.

La méthodologie de l’ICTSD

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La deuxième méthode, qui aura beaucoup plus d’écho au sein de la région, a été avancée par l’ICTSD. Cette méthode se propose de déterminer les produits, qui, au sein de l’APE, mais aussi du TEC CEDEAO et des négociations multilatérales OMC, feront l’objet d’un traitement spécifique, grâce à une série d’indicateurs se référant aux trois critères des accords de Genève de définition des produits spéciaux58 et à quelques « indicateurs transversaux » (cf. Tableau 9). Il propose en premier lieu d’identifier les bénéficiaires grâce à divers indicateurs (pauvreté rurale, distribution géographique de la pauvreté et capacités de production), et ensuite d’identifier les produits grâce à une batterie d’indicateurs répondant aux trois critères.

Tableau 9 : Critères et indicateurs de la méthodologie ICTSD Critères Indicateurs possibles

Développement rural et garantie des moyens d'existence Contribution d'un produit à l'économie

•Contribution du produits au PIB agricole

•Extension des terres allouées à la production d’un produit particulier •Nombre de têtes de bétail dans le pays/province/district

•Part du revenu par habitant tiré d’un secteur / filière

•Impact environnemental et durabilité agro-écologique (évaluation qualitative) •Analyse des liens avec le reste de l’économie et le potentiel de valeur ajoutée

Contribution d'un produit à la création d'emploi

•Main d’œuvre engagée dans un secteur particulier

•Part de la population agricole engagée dans la production d’un produit spécifique •Estimation de la demande en main d’œuvre nécessaire à la production

Sécurité alimentaire

•Produits identifiés comme produits prioritaires dans stratégie/panier national de sécurité alimentaire

•Part du produit dans la consommation

•Contribution aux besoins quotidiens de la population en calories, protéines et graisses •Part du revenu dépensé pour un produit particulier

•Taux d’autosuffisance et niveau de pénétration des importations (évolution dans le temps) Revenus d’importation (tarifs) et leur contribution au financement des programmes de sécurité alimentaire

Source : Bellmann, 2007, p. 14-16

Des éléments d’analyse supplémentaires sont proposés, tels que :

o les produits de substitution ;

o la vulnérabilité à la concurrence des importations ; o la concurrence déloyale ;

o les niveaux de protection.

Cette méthodologie risque de poser problème par rapport à la disponibilité des données pour le calcul des indicateurs ainsi qu’à l’agrégation des listes nationales afin d’obtenir une liste pour la région Afrique de l’Ouest. En effet, l’analyse reposant sur une évaluation qualitative, la concertation entre les acteurs nationaux peut se révéler difficile. De plus, la méthode étant destinée aux produits spéciaux, au TEC CEDEAO et à l’APE, elle n’est pas centrée sur la concurrence européenne, et ne concerne pas les produits industriels.

57 International Centre for Trade and Substainable Development

58 Les trois critères de sécurité alimentaire, développement rural et garantie des moyens d’existence s’inspireraient en fait sur une méthodologie de l’ICTSD (République du Sénégal, 2007, p.8)

Cette méthodologie fut développée au Sénégal pour la détermination des produits spéciaux (République du Sénégal, 2007), avec quelques adaptations quant aux indicateurs utilisés. Le point de départ de la méthode est une liste de produits évalués comme sensibles par le sous-comité « Commerce agricole » du Sénégal ; à ces produits/filières (ici le riz et la tomate) est appliquée la série d’indicateurs décrite plus haut. En fonction de la disponibilité des données, des informations de nature qualitative permettront d’affiner l’analyse. Enfin, la hiérarchisation des différents critères se basera sur une approche qualitative. Le point de départ de la méthode comporte un biais : en effet, seule une série de produits, pressentis comme sensibles, seront testés : le risque d’exclure de l’analyse des produits pouvant être sensibles mais non détectés par le sous-comité, est important, d’autant plus que la manière de détermination de la liste n’est pas explicitée. Cette méthode, bien que reposant sur des indicateurs quantitatifs laisse une grande part à la subjectivité et à l’appréciation des pays eux-mêmes. Cette méthode paraît risquée pour un sujet aussi politique.

En juillet 2007, lors d’un séminaire à Dakar, la CEDEAO a décidé de la méthode à appliquer pour les produits sensibles ouest-africains. Différentes méthodologies ont été exposées pour les produits agricoles et alimentaires, notamment celle de l’ITCSD, mais la plupart des méthodologies développées ne prennent pas en compte les produits industriels. Deux méthodologies seront donc utilisées, une pour le secteur agricole et alimentaire, et une autre pour le secteur industriel, laquelle n’est pas encore connue.

La méthodologie pour les produits agricoles et alimentaires adoptée par la

CEDEAO

La méthodologie qui semble retenue pour la CEDEAO se base sur la méthode avancée par l’ITCSD. Elle reprend donc les trois critères des produits spéciaux, et ajoute un quatrième critère, à savoir la dimension commerciale du produit.

Les étapes de la méthodologie

1ère étape : Identification des bénéficiaires : o pauvreté rurale ;

o distribution géographique de la pauvreté ; o capacité de production.

2ème étape : Application des indicateurs selon les trois critères « Produits spéciaux » et un critère supplémentaire, la dimension commerciale du produit, qui comprend six indicateurs :

o produits de substitution ; o concurrence déloyale ; o niveaux de protection ;

o vulnérabilité à la concurrence des importations européennes ; o impact sur les recettes fiscales ;

o flux régionaux.

3ème étape : Établissement des listes

o notation des indicateurs (note de 1 à 5), croisement des indicateurs ;

Il n’est pas expliqué le passage du niveau national à la liste régionale pour la CEDEAO. Pourtant cette question est primordiale : en effet, les pays de la zone ont des intérêts qui divergent, entre les pays sahéliens et les pays côtiers, entre les pays fortement urbanisés et les ruraux. Et quel poids attribuer à chacun des pays, en fonction de la population, du PIB, de leur statut PED/PMA ?

A priori, c’est la concertation régionale qui sera la méthode de sélection (Blein, 2007), ce qui

risque de créer des discussions animées. Cette volonté de concertation entre les acteurs quant à la détermination des produits sensibles apparaît comme primordiale lors du séminaire, mais se heurte au calendrier de mise en place des APE. En effet, les accords devant être signés fin 2007, une telle démarche paraît trop ambitieuse.

Finalement cette méthodologie apparaît intéressante mais difficile à mettre en œuvre, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la disponibilité des données semble poser problème ; la méthode nécessite beaucoup d’indicateurs qui s’avèrent délicats à trouver pour les seize pays de la zone. Il est possible que chaque pays n’utilise pas les mêmes indicateurs, l’important reste qu’ils utilisent la même forme de notations pour que ces listes puissent être agrégées. Cependant, la mise en commun des listes nationales sera plus aisée si les critères utilisés sont les même. Par ailleurs, le fait que la méthodologie ne concerne que les produits agricoles et qu’une autre méthodologie soit utilisée pour les produits industriels semble poser problème, car il faudrait alors mettre en commun ces deux listes, ce qui pose la question de la pondération des types de produits et ajoute une difficulté supplémentaire. Il est proposé que soient exclus 20% des lignes tarifaires des produits agricoles et 20% également des lignes des produits industriels. Ce découpage pose problème car peut-être la protection du secteur agricole nécessiterait plus de lignes produits sensibles et le secteur industriel moins : il devrait donc être réalisé en fonction de la sensibilité effective des différents secteurs aux APE. Enfin, le passage des listes nationales à la liste régionale n’est pas explicité : si c’est la concertation entre États qui est choisie, le délai de la signature des accords posera problème.

Dans le cadre de l’étude dans laquelle mon travail s’insère, une méthodologie différente de celles présentées précédemment sera adoptée afin de définir les produits sensibles.