• Aucun résultat trouvé

Les méthodes empiriques pour le prédimensionnement du soutènement

Construction effective de l’ouvrage

8- Capteur électrique 9 Pointe filtrante

1.4.3 Les méthodes empiriques pour le prédimensionnement du soutènement

1 . 4 . 3 .1 Qu e l q u e s mo ts s u r l e s r ô l e s d e l ’ e xp e r t e t d e l ’ e xp é r i e n ce

Du fait de la variabilité naturelle des matériaux au sein des structures géologiques, et de l’enchevêtrement plus ou moins complexe de celles-ci, la connaissance imparfaite du terrain constitue une hypothèse de base de tout projet géotechnique (Magnan (2002) e.g.). Dans ce contexte, la pratique des travaux souterrains laisse la part belle à l’expérience, et l’évaluation des comportements du terrain s’est longtemps effectuée à « dires d’expert » qui constituent l’approche empirique la plus dépouillée en terme de formalisation.

Le raisonnement précis de l’expert reste assez mystérieux. On pourrait le représenter comme une boîte noire qui utilise son expérience, ses connaissances sur les comportements du terrain et/ou le déroulement d’autres projets, sa sensibilité personnelle, pour déduire à partir de données d’entrée partielles des conclusions justes. Pour le cas des tunnels, les données d’entrée sont essentiellement constituées de la reconnaissance du massif et de données historiques sur les sites, plus ou moins approfondies suivant les cas ; les conclusions correspondent à des préconisations de soutènement suffisamment sécuritaires et financièrement acceptables. L’expert peut également être amené à identifier des manques inacceptables dans la connaissance du terrain, qu’il sera nécessaire de combler pour pouvoir conclure.

À l’heure actuelle, compte-tenu de l’accroissement sociétal de la contractualisation et de l’encadrement juridique des projets, il est toutefois rare que le seul avis d’expert soit considéré comme suffisant au-delà des études de faisabilité. Le besoin de pièces techniques dont la méthodologie peut être formalisée et d’une certaine manière encadrée par des « certitudes » mathématiques, a conduit à favoriser progressivement des approches plus structurées ou calculatoires qui sont abordées dans la suite de cette partie. Notons toutefois que l’expert ou le géotechnicien expérimenté conservent une place prépondérante dans la mesure où ils garantissent la structuration appropriée de l’étude géotechnique, la qualité de la conception du modèle géotechnique, l’emploi raisonné des méthodes de calcul et l’interprétation de leurs résultats, bref tout ce qui dans la conception n’est pas formalisé par les mathématiques et les lois physiques (Magnan (2005)).

1 . 4 . 3 .2 L e s sy s tè m e s d e cl ass i f i cati o n d u te r r ain o u l ’ e xp é r i e n ce ( e n p ar ti e ) app r iv o i s é e

Les systèmes de classification du massif constituent une tentative de formalisation des approches empiriques de dimensionnement de tunnel, ouvrant la possibilité d’une utilisation contractuelle (AFTES (2003)). Ils sont généralement issus de retours d’expérience sur des chantiers réels pour lesquels une description des facteurs géologiques influents était disponible. Comme le souligne Hoek (2007) (Chap. 3), les classifications de terrains peuvent en première approche être abordées simplement comme des « check-lists » permettant de s’assurer que les différents facteurs influençant le comportement du massif ont été abordés. Toutefois, leurs auteurs ont généralement poussé le raisonnement plus loin, en les utilisant comme outils de sélection des moyens de soutènement ou de détermination des propriétés mécaniques du terrain, voire en proposant directement des pré- dimensionnements. Bien que ces approches soient critiquables sur plusieurs points (voir 1.4.3.3), elles présentent des avantages indéniables comme leur simplicité d’utilisation, leur forme concentrée favorisant la diffusion d’une somme d’expériences importante, leur usage généralisé permettant un langage commun entre les ingénieurs géotechniciens de divers pays.

La première publication d’un système de classification des terrains dans l’optique de travaux souterrains est usuellement attribuée à Terzaghi (1946). Celui-ci, en fonction de l’état d’altération du rocher, des dimensions de l’excavation et de la hauteur de couverture, indique les grandes lignes du comportement du terrain et propose des principes généraux d’étayage au moyen de cintres métalliques. Peu de paramètres sont toutefois pris en compte dans cette classification, qui reste limitée à des cas où les phénomènes gravitaires constituent la source principale d’instabilité.

Ce n’est que dans les années 1970 qu’apparaissent les premiers systèmes de classification multi- paramètres, dans lesquels divers facteurs géologiques influant sur le comportement mécanique du massif tentent d’être pris en compte. Ces classifications, à quelques modifications près, restent encore les plus utilisées aujourd’hui. Ainsi, Bieniawski (1973) introduit le système RMR (Rock Mass Rating) dans lequel le milieu est analysé à partir de cinq critères :

- une valeur de résistance du matériau intact (par compression uniaxiale ou essai Franklin) ; - l’indice de fracturation RQD (Rock Quality Designation), rapport (en %) de la somme des longueurs des carottes dures et saines supérieures à 10 cm et de la longueur du tronçon foré ;

- l’espacement des joints ;

- la nature et l’état de surface des joints ; - l’importance des venues d’eau.

Chacun de ces critères reçoit une note, dont la somme est ensuite minorée en fonction de l’orientation des joints vis-à-vis du projet considéré. La valeur obtenue au final constitue la note RMR, une cotation globale du massif comprise entre 0 et 100. Un tableau de synthèse pour le calcul du RMR est présenté en page suivante à titre d’exemple. Bieniawski (1973) propose de déduire de la valeur du RMR une appréciation qualitative de l’état du massif rocheux, ainsi qu’un temps de tenue de la cavité non soutenue en fonction de la portée libre. Il indique également des pistes pour le choix et le dimensionnement du soutènement, limitées toutefois à des procédés d’excavation à l’explosif et à des cavités dont les dimensions n’excèdent pas 5 à 10 mètres.

Avec une approche légèrement différente et orientée explicitement vers le dimensionnement des tunnels, Barton et al. (1974) proposent un coefficient global de qualité du massif Q défini par :

w r n a J J RQD Q J J SRF    (1.42)

avec : Jn une note basée sur le nombre de familles de discontinuités

Jr une note basée sur la rugosité des discontinuités les plus défavorables

Ja une note basée sur le degré d’altération des discontinuités ou de leur remplissage Jw un facteur multiplicatif lié au débit et à la pression des venues d’eau potentielles SRF un facteur qualifiant l’état de contraintes auquel est soumis le massif

En fonction de la note Q obtenue, de la dimension de l’excavation et de la nature de l’ouvrage, Barton

et al. (1974) décrivent 38 catégories de soutènements, incluant les systèmes de boulonnage, tirants,

béton projeté, treillis soudé, grillage, béton coffré, armatures en acier. Cette méthode de prédimensionnement est largement utilisée par les praticiens pour de premières évaluations de la tenue du tunnel et des renforcements nécessaires. Elle constitue une référence pour l’appréciation du soutènement (voir par exemple Kaiser et al. (2000) qui proposent une mise en regard des approches de Barton avec la problématique du soutènement dans des contextes de ruptures fragiles).

En complément des méthodes Q et RMR, qui sont les plus diffusées au niveau international, il convient de mentionner la méthode de l’AFTES (1993), assez répandue dans les pays francophones. Celle-ci se base sur l’examen de sept critères :

- le comportement mécanique de la matrice rocheuse ;

- les propriétés des discontinuités (nombre, orientation, espacement) ;

- la susceptibilité du terrain vis-à-vis des problèmes d’altérabilité et de gonflement ; - l’hydrologie locale ;

- la hauteur de couverture ; - les dimensions de la galerie ;

- la sensibilité de l’environnement, en particulier vis-à-vis des tassements.

La méthode vise essentiellement à la sélection du soutènement et ne s’appuie pas sur une notation globale du massif. À partir d’un certain nombre de profils de soutènement types prédéfinis, elle indique pour chaque critère les techniques recommandées / possibles sous conditions / mal adaptées bien qu’éventuellement possibles / ou en principe impossibles. Le soutènement peut alors être choisi en éliminant les dispositions ayant reçu des avis défavorables et en essayant de retenir le meilleur compromis technico-économique parmi les cas favorables restants.

1 . 4 . 3 .3 L e s l i m i te s d e s s ys tè m e s d e cl as si f i cati o n

Tous les systèmes de classification du massif encaissant sont initialement issus d’une expérience régionale et présentent donc un biais lié aux cas d’études et aux pratiques ayant servi à les étalonner, qui ne peuvent couvrir l’ensemble du spectre des conditions géotechniques présentes sur la planète.

On ne peut en outre maîtriser les éventuels « défauts » des ouvrages de référence eux-mêmes, qui peuvent par exemple avoir été surdimensionnés.

On notera en particulier que les critères intervenant dans le calcul des coefficients RMR ou Q montrent clairement qu’il s’agit de classifications initialement destinées aux contextes rocheux durs et fracturés. Le domaine d’emploi de ces classifications correspond essentiellement aux cas où les instabilités structurales et les effets gravitaires sont prépondérants, et prennent imparfaitement en compte le confinement apporté par le soutènement dans les terrains ou les critères de déformabilité jouent un rôle majeur. Ainsi, l’extension de ces classifications à des contextes de sols indurés ou roches tendres, dont les mécanismes de déformation et de rupture peuvent différer sensiblement de ceux des massifs en roche dure, est susceptible d’introduire des erreurs significatives dans l’appréciation de la tenue des terrains, et apparaît peu recommandable (Habimana (1999) e.g.).

À titre d’exemple, on relèvera qu’un granite très fracturé est susceptible d’obtenir approximativement la même cotation qu’une marne indurée et donc conduire – de manière inappropriée – à des méthodes de soutènement similaires puisque la géologie et la déformabilité n’interviennent pas dans les critères de décision ! La représentation d’un ensemble géotechnique par une seule valeur de RMR ou Q peut donc amener une schématisation excessive de la réalité du massif, particulièrement sensible dans le cas de matériaux intermédiaires. Un autre cas de biais peut apparaître avec le mode de prise en compte de l’eau et de la fracturation dans les classifications : ces paramètres étant considérés comme très défavorables pour la stabilité des excavations, un S.I.R.T. peu fracturé et peu perméable (marnes d’Arbus e.g., voir partie 3) serait susceptible de recevoir une note excessivement optimiste, conduisant à des soutènements inadaptés et sous-dimensionnés (CETu (1998)).

On notera que la classification AFTES, du fait de l’absence de notation, présente une plus grande souplesse et peut être utilisée pour les sols indurés et les roches tendres. Toutefois, elle n’apporte aucun élément de prédimensionnement, et le nombre de techniques d’excavation et de soutènement considérées reste modéré.

On rappellera aussi, comme mentionné dans la section 1.3.4.2, que l’usage de ces différents systèmes de classification pour déterminer les paramètres mécaniques du massif nécessaires à une modélisation est souvent jugé peu fiable. Seules des adaptations du système GSI, telles que présentées par Habimana (1999) ou Marinos & Hoek (2000) par exemple, sont considérées comme appropriées pour évaluer les caractéristiques de certains S.I.R.T. Il s’agit surtout néanmoins d’une aide à la détermination des paramètres du modèle mécanique (résistance en particulier), le dimensionnement de l’ouvrage restant à effectuer par une méthode de calcul appropriée.

Pour un tunnel dans un contexte de sols indurés et roches tendres, les méthodes empiriques usuelles basées sur une classification des massifs rocheux restent donc peu utilisables, sinon comme guide pour la description exhaustive des caractéristiques du massif ou éventuellement pour l’évaluation de certaines propriétés mécaniques (GSI). Le développement de méthodes analytiques et numériques revêt donc une importance particulière pour accompagner le raisonnement de l’expert et s’assurer que le soutènement envisagé convient.

1.4.4 Une méthode analytique répandue : l’approche convergence-