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I.3. Les ligands opioïdes DOPr

I.3.2. Les ligands endogènes DOPr

Afin de remédier aux différents problèmes avancés, une solution serait de s’intéresser aux ligands endogènes de DOPr : les enképhalines. Rapidement après la découverte des récepteurs opioïdes, les chercheurs se sont intéressés à connaitre la nature des ligands endogènes, pour amener à la découverte de la Leu-enképhaline et de la Met-Enképhaline (Figure 33, haut) en 1975, extraits de l’hypophyse de porc.106 Ces enképhalines, synthétisées à partir du gène proenképhaline sont impliquées dans de

nombreux processus biologiques (la met-enképhaline est d’ailleurs appelée la molécule du coureur, en Figure 32. Le motif Dmt-Tic pour la mise au point d’agent

référence à sa délivrance dans le corps suite à un effort physique).109,195 Ces deux pentapeptides varient

seulement sur leur cinquième résidu. Ils ont pour séquence Tyr-Gly-Gly-Phe-Leu (Leu-Enképhaline), et Tyr-Gly-Gly-Phe-Met (Met-enképhaline). Tout comme les opioïdes classiques, le concept de « message- adresse » s’applique. D’un point de vue structure-activité, ces deux peptides peuvent être décortiqués en trois parties : La tyrosine joue le rôle de « message » (noyau tyramine), tandis que la phénylalanine et la leucine/méthionine remplissent la fonction « adresse » et vont être responsables de la sélectivité entre les différents récepteurs. Les deux glycines quant à elles, sont responsables de l’enroulement des peptides dans leur conformation active. La Leu-enképhaline est rapportée comme étant plus sélective envers DOPr (jusqu’à 5 fois plus), que la Met-enképhaline qui elle se lie à DOPr et MOPr de façon égale, rappelant une fois de plus l’importance du cinquième résidu pour la discrimination entre les deux récepteurs.1195

D’autres ligands considérés endogènes sont également retrouvés chez d’autres espèces que l’être humain. En effet certains types de grenouille produisent naturellement des peptides appelés Deltorphines A, I, ou II (Figure 33, bas).196 Contrairement à notre organisme incapable de synthétiser des acides aminés de

stéréochimie D, ces heptapeptides contiennent un acide aminé D en position 2, rendant ce type de peptide beaucoup plus intéressant au niveau pharmacocinétique (autant la stabilité plasmatique que la perméabilité membranaire).197,198 Des trois variantes de cette famille, la deltorphine II (ou B) est celle

qui est la plus sélective pour DOPr.199 D’un point de vue structure-sélectivité, le résidu carboxylate en

Figure 33. Structure chimiques de plusieurs peptides endogènes (humain ou animal) sélectifs au récepteur DOPr

position 4, pourrait former les mêmes interactions que celui de la Leu-enképhaline avec Arg291, tandis que les chaînes latérales aliphatiques en position 5 et 6 se prolongeraient dans la poche hydrophobe au voisinage de Leu300.200 Cette grande sélectivité est d’ailleurs la raison pour laquelle la deltorphine II est

utilisée en routine dans la recherche sur DOPr, en tant que standard.

Travailler avec ces peptides naturels a plusieurs avantages : ils sont non toxiques (ce qui est non négligeable, ce paramètre étant la raison des arrêts pour la plupart des molécules en phase préclinique), relativement sélectifs (jusqu’à 5 fois), et très faciles à synthétiser (permettant ainsi des études structures- activités beaucoup plus rapides).201

Malheureusement, ils possèdent aussi la plupart des inconvénients propres au peptides. Premièrement, étant très polaire, il leur est très difficile de passer la barrière hémato-encéphalique (BHE).202 La BHE

est une membrane phospholipidique, composée de cellules endothéliales avec leurs jonctions serrées. Elle est chargée de protéger le système nerveux central de la plupart des molécules exogènes et autres toxines, tout en laissant passer les éléments nécessaires au cerveau. Le filtrage ultra sélectif de cette barrière, est un obstacle majeur pour la plupart des traitements relatifs au SNC.203 La diffusion passive (sans

l’utilisation de transporteurs) des molécules qui nous intéressent est quand même possible à condition que ladite molécule ait une affinité suffisante avec les lipides. Cette lipophilicité est mesurée de façon simpliste par le logD7,4 représentant la proportion de composé présent dans l’octanol par rapport à une

phase aqueuse à pH physiologique, ainsi que par l’aire de la surface polaire totale (tPSA). Cette valeur théorique est calculée à partir de la sommation de la surface de tous les atomes polaires d’un composé. Il est recommandé pour un composé actif sur le SNC de se situer entre 2 et 5 pour le logD7,4 et en dessous

de 90 Å2 pour la tPSA.204 Avec des valeurs de -0,8 et 199 Å2 pour les enképhalines, on est bien loin du

compte. Un autre mode de transport à travers le cerveau est possible via des transporteurs transmembranaires, malheureusement aucun de ces transporteurs connus à ce jour, ne reconnait ces peptides endogènes.205 Il est à noter que la Leu-enképhaline est également un substrat de glycoprotéine

P (P-gp) chargée de transporter les molécules hors de la BHE.206 Donc, la seule solution à ce jour pour

la livraison de ces peptides au cerveau, est l’injection de telles molécules par voie intrathécale (directement dans la moelle épinière), ce qui s’avère très contraignant pour les patients.

La deuxième difficulté, et non la moindre, provient du fait que les quelques molécules qui réussissent à passer la BHE, sont très rapidement dégradées par les enképhalinases, aminopeptidase et autres protéases

moins sélectives.207,208,209,210 La demi-vie très courte de ces enképhalines (environ 2 min), rend leur usage

thérapeutique impossible.211

Afin de remédier à ces limitations, différentes stratégies ont été mises à l’œuvre, avec plus ou moins de succès. Elles seront l’objet de la prochaîne section.

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