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CHAPITRE 2. RECENSION DES ÉCRITS

2.3. Poids corporel et vieillissement féminin

2.3.3. Les féministes s’intéressant au corps vieillissant

Dans le cadre de ce projet, il importe de considérer les aspects relatifs au vieillissement dans la relation entretenue par les femmes avec le poids corporel. À cet égard, certains discours féministes sur le corps vieillissant peuvent contribuer de façon significative à mieux cerner ce sujet.

L’étude du corps en gérontologie s’est développée plutôt tardivement. Le corps vieillissant étant très abondamment médicalisé, l’intérêt premier pour le corps âgé est demeuré longtemps celui de la médecine (Twigg, 2004). Selon cette littérature, plusieurs défis semblent inhérents à l’étude du corps vieillissant. En sociologie, les facteurs sociaux et environnementaux sont au cœur des préoccupations. Or, l’étude du vieillissement force à considérer le réalisme de la physiologie du corps et les changements associés à l’âge ; le défi étant de ne pas tomber dans un réductionnisme biologique (Twigg, 2004, 2007).

Dans les sociétés occidentales, la culture dominante amène à la valorisation du contrôle du corps sous toutes ses formes pour rencontrer les standards de santé, de beauté et de jeunesse reconnus. On rapporte d’ailleurs que le corps contemporain est aujourd’hui soumis à un contrôle et à une surveillance d’une façon beaucoup plus marquée que ce n’était le cas dans le passé. Le développement des technologies et l’omniprésence des médias, des photographies et des miroirs font en sorte que nous sommes constamment en train de regarder notre corps, de l’inspecter et d’en observer les moindres changements (Twigg, 2004). Twigg (2004) souligne à cet égard que les discours dominants nous enseignent à mépriser le vieillissement et à développer très tôt dans la vie une insécurité face aux signes de la détérioration du corps. Dans une société caractérisée par la consommation et la jeunesse, l’avancée en âge est considérée comme

un signe de défaillance et de perte auquel il faut pallier par l’usage de diverses stratégies (Twigg, 2004).

La gérontologie du corps ramène aussi à la question de l’identité; celle-ci prenant une signification particulière avec le vieillissement dans le rapport entretenu avec le corps. À cet égard, Featherstone (1991) souligne qu’avec le vieillissement s’installe une distance entre l’identité ressentie et celle du corps vieillissant visualisée dans le miroir. Cette distinction est retrouvée dans les écrits sous le nom de « masque du vieillissement » (Featherstone & Heapworth, 1991). Cet éloignement graduel entre l’image perçue et l’identité ressentie de l’individu contribue à faire naitre certaines préoccupations face au corps. Pour certains adultes vieillissants, le corps devient un projet sur lequel travailler, investir, et une raison de consommation de divers produits et services visant à le conserver et ainsi préserver la cohérence entre l’identité et le corps (Featherstone & Heapworth, 1991).

Devant la discrimination sociale entretenue face au vieillissement, il existe d’importantes distinctions entre les genres. Des féministes en gérontologie du corps se sont intéressées plus particulièrement à ce sujet. La valeur du discours féministe en lien avec le vieillissement du corps réside dans le fait que celui-ci puise directement dans l’expérience féminine du vieillissement ayant été vécue par les féministes elles-mêmes. Cette littérature n’étant pas homogène, nous pouvons retrouver divers arguments et positions. Nous en verrons quelques unes apparaissant comme significatives dans le cadre de ce projet.

Selon certaines féministes, la valorisation de la santé, de la jeunesse et de la beauté au sein des sociétés occidentales est à la base de la dévaluation et de la discrimination des personnes vieillissantes, et ce phénomène s’avère plus marqué chez les femmes. Le

vieillissement est particulièrement préjudiciable pour celles-ci puisqu’une part importante de leur pouvoir et de leur reconnaissance sociale passe par le corps, comparativement à l’homme pour qui ces considérations sont plutôt reliées au capital économique (Twigg, 2004). Certains auteurs soutiendront que chez les femmes vieillissantes la discrimination reliée à l’âge s’ajoute à celle reliée au genre, celle-ci passant beaucoup par le rapport entretenu avec le corps (Charpentier & Quéniart, 2009; McCormick, 2008; Twigg, 2004). Ce passage de McCormick exprime bien l’impact de la culture dominante sur la dévaluation des corps féminins vieillissants:

« Women's bodies at every age are expressions of self and culture. In a culture that values slender, taut- skinned youth, the embodied selves of postmenopausal women are dismissed and devalued, jeopardizing self- esteem and increasing the potential for depression and anxiety. » (McCormick, 2008, p. 313)

Les facteurs socioculturels occidentaux contribuent ainsi à diminuer la qualité de vie des femmes à travers les âges en passant par le rapport qu’elle entretient avec leur image corporelle. De plus, les messages faisant la promotion de multiples mesures de contrôle du corps visant à préserver jeunesse et minceur transmettent aux femmes la croyance que cet idéal est accessible à toutes et que cela dépend essentiellement d’une question de volonté et d’efforts (Hurd Clarke, 2002). De plus, on rapporte que face à l’éloignement des standards de beauté, les femmes vieillissantes sont encouragées socialement à atténuer leur apparence et à préserver une image plus neutre et sobre. Le jugement social face à l’apparence féminine semble ainsi être moins tolérant pour les femmes vieillissantes que pour leurs homologues plus jeunes étant plus près des standards valorisés (Twigg, 2007).

Les féministes dénoncent le fait que la culture occidentale contribue à la perpétuation de discours myogéniques réduisant les femmes à leurs caractéristiques physiques. Chez les femmes vieillissantes, la discrimination de genre et d’âge s’avère particulièrement préjudiciable. À cet égard, il est important de comprendre que la dévaluation du corps féminin s’ajoute à une pluralité d’enjeux reliés à cette période de vie pour plusieurs femmes, notamment la pauvreté, la maladie chronique, mais aussi la poursuite de la prise en charge de la famille qui parfois s’accentue (conjoint, enfants et petits enfant, parents âgés malades, etc) (McDaniel, 1989).

Tel qu’en témoigne la littérature, certaines positions féministes face à cette discrimination de genre et d’âge vécue par les femmes en lien avec leur corps vieillissants divergent. Gullette (1997) exprime à l’égard des discours dominants une position qu’elle qualifiera de résistante face aux pressions de contrôle du corps exercées sur les femmes. Celle-ci mentionne que le vieillissement féminin est construit essentiellement par culture et que la réponse féminine devrait en être une de résistance, faisant la promotion d’un vieillissement qu’elle qualifiera plutôt de naturel (Gullette, 1997). Cette résistance féminine face aux discours normatifs s’exprime aussi dans les résultats d’une étude menée au Québec rapportant que certaines femmes vieillissantes reconnaissent l’omniprésence des idéaux de beauté et de jeunesse et les pressions y étant associées, mais ne s’engagent pas nécessairement à fournir les efforts nécessaires à la rencontre ce ces normes (Dumas, Laberge, & Straka, 2005). Ces constats suggèrent qu’une certaine résistance puisse s’opérer face aux discours normatifs chez certaines femmes vieillissantes. Il est notamment proposé que cette forme de détachement face à la norme puisse être le résultat de l’intensification de la réflexivité avec l’âge (Dumas et al., 2005). Une capacité réflexive accrue en vieillissant pourrait contribuer à faire en

sorte que les femmes optent pour des pratiques associées à plus de tolérance face à leur situation personnelle (Turner, 1995).

Twigg (2004) nous mentionne plutôt, quant à elle, que la posture féministe prônant un vieillissement « naturel » s’avère problématique puisqu’elle est empreinte de contradictions. Elle soulève que les féministes ont été les premières à affirmer que le corps est en soi le reflet de divers processus de manipulations, de transformation et d’affichage de l’identité à travers les diverses étapes de vie et qu’à cet égard, le corps naturel n’existerait pas, pas plus que le vieillissement naturel. Dans cette perspective, résister à toutes manipulations du corps en lien avec l’âge et la féminité deviendrait une certaine forme de puritanisme pouvant aussi être préjudiciable pour la femme. Celle-ci questionne cette résistance des femmes en demandant pourquoi celles-ci devraient se refuser certaines de ces pratiques si elles sont sources de bien-être et de satisfaction (Twigg, 2004). Cette position alternative démontre certaines différences entre féministes face aux discours normatifs. Elle met aussi en évidence la complexité des enjeux entourant le vieillissement et le corps féminin dans le contexte social occidental actuel.

En somme, il existe plusieurs perspectives féministes en gérontologie du corps. Ces discours nous renvoient à certaines idées fort pertinentes. Au sein des sociétés occidentales caractérisées par la valorisation de la jeunesse, de la santé et de la minceur, le discours biomédical de contrôle du poids accentue la valorisation du contrôle du corps féminin et la discrimination de genre chez la femme vieillissante. Ces enjeux sont susceptibles d’alourdir l’expérience féminine pendant la période de la ménopause, celle- ci déjà marquée par d’importants changements affectant mode de vie de la femme de façon marquée (parents vieillissants, enfants quittant la maison, retraite, relation avec le conjoint, etc.) (Ballard et al., 2001; Dennerstein et al., 2002; Lindh-Astrand et al., 2007;

Mishra & Kuh, 2006). Pour ces raisons, la considération de ces perspectives est pertinente dans le cadre de cette thèse.