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Les enjeux environnementaux sur le bassin de l’Ibicuí

Les sols du bassin présentent une vulnérabilité à l’érosion variable. La partie médiane qui est formée de grès et de sables (séries de Botucatu et de Rosario) est couverte de formations superficielles sableuses particulièrement vulnérables à l’érosion. Des formes spectaculaires de ravinement et des aires d’ensablement dépourvues de végétation apparaissent dans ce secteur. Ces processus d’érosion atypiques en milieu humide ont été étudiés par les géographes de l’UFRGS (Université Fédérale du Rio Grande do Sul) et qualifiés de processus « d’arenização » (Suertegaray, 1988; Verdum, 1997; Suertegaray et al., 2001). Ils existent en condition naturelle, mais peuvent être activés par le travail du sol ou le pâturage (Corbonnois et al., 2011). Par ailleurs, les sols cultivés sont soumis à l’ablation des particules lors d’événements pluvieux intenses comme il s’en produit fréquemment dans la région : la précipitation maximale quotidienne peut dépasser les 100 mm.j-1 (Verdum, 1997). Les sables entraînés par l’érosion provoquent une charge sédimentaire élevée dans les rivières (Ibicuí signifie d’ailleurs « la rivière de sable » en Tupi-Guarani).

Les ressources en eau du bassin versant de l’Ibicuí sont fortement sollicitées par l’irrigation qui représente 89,0 % des prélèvements totaux, suivie par l’alimentation en eau à destination humaine avec 9,4 % et l’abreuvement du bétail 1,6 % (SEMA, 2003; Laurent et al., 2009). La demande pour l’irrigation correspond à la saison chaude, avec un pic en décembre et janvier. Les barrages n’ont cessé de se multiplier depuis des décennies. Le sud du bassin atteint aujourd’hui les limites d’extension de la riziculture du fait de l’exploitation importante des ressources en eau en été et de la vulnérabilité naturelle aux étiages liée à la nature sableuse des roches. L’Ibicuí connaît des ensablements récurrents liés à l’érosion des sols en amont, d’où la nécessité de réduire ces phénomènes. D’autres enjeux sont d’ordre qualitatif avec les rejets urbains et les effluents d’élevage qui sont responsables d’une pollution fécale (UFSM, 2005). L’élevage produit des volumes importants de déjections susceptibles d’être lessivées jusqu’au cours d’eau. Toute une partie de la population urbaine n’est pas raccordée aux réseaux d’assainissement (84 % par exemple à Alegrete, une ville de plus de 78 000 habitants) et les stations d’épuration qui existent ont un rendement insuffisant (Lepiller, 2006).

La biodiversité des écosystèmes de pampa a souvent été négligée pourtant il a été relevé une grande richesse biologique (Suertegaray et al., 2001; Overbeck et al., 2007). La ripisylve

constitue par ailleurs un enjeu à double titre : en tant qu’écosystème et pour la protection naturelle qu’elle offre aux cours d’eau contre des flux de polluants et de sédiments provenant des versants. La ripisylve est protégée par une loi fédérale qui impose le respect d’une Aire de Protection Environnementale (APP) le long de cours d’eau. Les municipios doivent assurer la surveillance de la forêt rivulaire, ce qui n’est pas suffisamment appliqué. La loi impose par ailleurs une absence de mise en culture à moins de 100 mètres des barrages, cette règle est fortement remise en cause par les riziculteurs qui ont aménagé des barrages en terre pour l’irrigation et qui perdent ainsi des surfaces importantes.

L’agriculture présente ainsi de multiples impacts sur le milieu qui nécessitent des actions de correction dans les exploitations et une régulation collective. Nous nous sommes intéressés aux perceptions et aux actions conduites par les agriculteurs en matière de conservation des sols et d’utilisation de l’eau (Leturcq et al., 2008) et à leur participation à la gestion collective des ressources en eau (Laurent et al., 2009).

Perceptions et actions des agriculteurs en matière environnementale

L’étude du bassin de l’Ibicuí permet d’identifier plus précisément les freins et les leviers à une gestion plus durable des ressources en eau et en sol dans le biome de la Pampa. Pour cela, il nous est apparu nécessaire de mieux comprendre les logiques des agriculteurs : Comment les agriculteurs perçoivent-ils leurs impacts sur l’environnement ? Constituent-ils pour eux des enjeux ? Comment raisonnent-ils leurs pratiques, avec quels réseaux ? Quelles sont les interactions avec les pouvoirs publics ?

Pour répondre à ces questions, nous avons réalisé des enquêtes auprès de 23 agriculteurs. Il s’est agit de mettre en évidence leurs perceptions de l’environnement, leurs modes de gestion et d’identifier les variables sociales au sein de l’échantillon expliquant des différences de comportement.

Des innovations favorables à l’environnement et motivées par des gains de production

Si la communauté scientifique est consciente des enjeux environnementaux dans cette zone, il en va autrement de la majorité des agriculteurs qui perçoivent difficilement les liens entre leurs pratiques et l’état de leur environnement. Des risques de manque d’eau sont perçus par certains, mais ils sont attribués essentiellement à la sécheresse et non à une surexploitation des ressources, la pollution par les pesticides est quant à elle négligée. L’érosion des sols dans les zones de tâches de sable (nommées « déserts ») n’est pas considérée comme un enjeu, ces espaces sont jugés improductifs depuis longtemps et ne menacent pas la rentabilité globale des exploitations.

Des actions sont toutefois réalisées par un nombre non négligeable d’agriculteurs : conservation des sols, économies d’eau, protection de la forêt native… L’enquête souligne que les actions favorables à l’environnement sont adoptées lorsqu’elles convergent avec une meilleure rentabilité de leur exploitation ou tout au moins lorsqu’elles n’engendrent pas de coûts supplémentaires. L’érosion en nappe au sein des parcelles cultivées est une préoccupation forte car elle menace la productivité des sols à moyen terme, ceci a conduit une grande partie d’entre eux à passer au semis direct (non labour). La protection des sols contre l’érosion au moyen de ce système contribue à réduire la charge sédimentaire dans les cours d’eau et les problèmes d’ensablement. La conversion au semis direct a été amorcée dans les années 1990, elle a été motivée par la réduction de l’érosion mais aussi par la réduction des charges d’exploitation (carburants, tracteurs et outils de travail du sol). Néanmoins, le semis direct recouvre différentes pratiques dont l’efficacité en matière de conservation des sols est variable. Une minorité d’agriculteurs a adopté le système de semis direct sur couvert végétal associant au non labour des cultures intermédiaires qui enrichissent le sol en matière

organique, avec un maintien des résidus à la surface du sol et le respect de rotations longues avec différentes cultures. La diffusion de ce système efficient dans les dimensions environnementales et économiques est un enjeu important pour le développement agricole de la région (Diaz-Zorita et al., 2002; Sisti et al., 2004; Zinn et al., 2005; Mello, van Raij, 2006; Calegari et al., 2008).

Il apparaît clairement que les agriculteurs sont ouverts à l’information sur les questions environnementales et que certains sont prêts à évoluer dans leurs pratiques. Mais, les campagnes de sensibilisation manquent, les coopératives et les syndicats ruraux pourraient être des relais pertinents pour mobiliser une majorité d’agriculteurs. Les réseaux professionnels sont en effet encore peu préoccupés par les enjeux environnementaux. Les pouvoirs publics ont quant à eux peu de contact avec les agriculteurs. Les comités de bassin sont des structures de concertation ouvertes aux agriculteurs, ces lieux d’échange et de décision pourraient également développer l’information voire soutenir techniquement et matériellement des actions en collaboration avec des organismes professionnels agricoles, si leurs moyens financiers le leur permettaient (absence actuelle de redevance).

L’eucalyptus et son instrumentalisation environnementale

Les campos du sud du Brésil (et plus généralement le biome de la Pampa) font aujourd’hui l’objet de vastes plans de boisements d’espèces exotiques pour la production de pâte à papier (Overbeck et al., 2007; Gautreau, Merslinsky, 2008). Les espèces employées sont les eucalyptus, et dans une moindre mesure les pins et les acacias. Les eucalyptus croissent rapidement et sont coupés au bout de 6 à 9 ans pour la production de pâte à papier. Ils permettent de « valoriser » des sols pauvres, voire dégradés par l’érosion. Ils s’étendent à présent aux dépens des prairies naturelles : de grandes exploitations d’élevage sont rachetées par des groupes de l’industrie de la pâte à papier et sont intégralement boisées sur des centaines d’hectares. Les surfaces concernées sont donc considérables, selon nos analyses par télédétection, les plantations d’eucalyptus seraient passées de 4 101 ha en 2001 à 19 472 ha en 2009 sur le bassin de l’Ibicuí (Sogue, 2011). Cette évolution pose des problèmes à de nombreux habitants de la Pampa et divise la société locale.

Les boisements sont défendus par certains au nom du développement économique et d’arguments environnementaux car les eucalyptus recolonisent des terres dégradées. On assiste ainsi à une certaine instrumentalisation de l’érosion et de l’arenização en particulier. Les eucalyptus sont plantés en effet sur les sols les moins fertiles et sont censés lutter contre l’extension des taches de sable qui menaceraient la région (les travaux des géomorphologues démontrent pourtant que ces taches ne sont pas en extension). Les intérêts de la sylviculture industrielle se trouvent légitimés par des arguments environnementaux qui s’appuient également sur l’image « écologique » du reboisement. Une usine de transformation fonctionne dans la région urbaine de Porto Alegre (Aracruz), deux autres usines sont en projet : à Pelotas avec la société Votorantin et à Alegrete avec la société Storaenzo. Le développement de l’eucalyptus intéresse aussi certains agriculteurs qui le considèrent comme un moyen d’accroître la productivité des exploitations sur des sols peu fertiles et une voie de substitution à l’élevage bovin viande en crise depuis les années 1990. Une partie de la population locale considère l’eucalyptus comme une chance pour redynamiser cette région excentrée et en déprise et espère que la filière créera de nouveaux emplois. Mais le projet est très contesté par d’autres groupes sociaux : des écologistes qui s’inquiètent de l’effet de la monoculture sur le régime hydrologique, des enzymes employées pour la décomposition des souches et des toxines générées par les eucalyptus sur la qualité des eaux. D’autres segments de la population considèrent l’eucalyptus comme une menace pour le paysage traditionnel des gaúchos, constitué de prairies ouvertes (Ribeiro, 2008). D’autres enfin s’inquiètent de l’accroissement de la valeur du foncier lié à la sylviculture commerciale qui va entrer en concurrence avec

l’agriculture familiale (agriculture caractérisée par la prédominance du travail familial et dont l’objectif économique est d’assurer les revenus de la famille). Des mouvements de protestation sont organisés avec des manifestations allant jusque dans la capitale de l’Etat, Porto Alegre.

L’autorisation de plantation d’eucalyptus est délivrée par l’IBAMA depuis novembre 2007 (auparavant c’était la FEPAM, Fundação Estadual de Proteção Ambiental, sous l’autorité du gouvernement du RS), l’Etat fédéral semble ainsi vouloir contrôler l’expansion de la sylviculture présentant de forts enjeux sociaux et environnementaux. L’état du Rio Grande do Sul avait auparavant établi un zonage qui autorisait 100 000 ha de plantation l’eucalyptus, sur l’ensemble de l’état.

Figure 30 : Plantations d’eucalyptus sur le bassin de l’Ibicuí

3. Le comité de bassin de l’Ibicuí : une forte participation mais un manque de