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CHAPITRE 2 CONTEXTE ET PERSPECTIVES ÉCONOMIQUES

5. Les enjeux environnementaux

La perspective d’augmenter la récolte de biomasse dans les forêts françaises conduit à considérer deux

grands enjeux environnementaux que sont le carbone et la biodiversité. Dans la mesure où l’on raisonne

à long terme, dans le cadre d’une gestion durable et en intégrant les avantages de la substitution du bois aux matériaux ou sources d’énergie concurrents, la récolte de bois participe d’une bonne gestion du carbone devient un des enjeux forestiers des accords faisant suite à ceux de la première période

d’engagement du Protocole de Kyoto (Nabuurs et al., 2007, Taverna et al., 2007). Ce point reste discuté,

Contexte et perspectives économiques CHAPITRE 2

comptabiliser la substitution. Mais cette discussion constitue un sujet en soi et ne sera pas plus traitée

ici2. Nous nous concentrons donc sur la biodiversité qui intègre, dans une acception large, aussi bien le

maintien des grands équilibres physico-chimiques et la fourniture d’aménités que la conservation de la faune et de la flore (chapitre 1).

Figure 2. Optimum de Pareto appliqué à la biomasse et à la biodiversité

On suppose ici que la gestion forestière est évaluée très schématiquement et sans considération d’espace ni de temps selon deux critères pouvant être représentés chacun en une dimension, par exemple la récolte de biomasse (en abscisse) et la qualité de la biodiversité (en ordonnée). On suppose aussi que l’on peut représenter l’ensemble des situations possibles à l’intérieur d’une enveloppe ou frontière dont une illustration hypothétique est ici donnée par la courbe BCDEF ; celle-ci ne peut être dépassée pour des raisons physiques, biologiques, écologiques ; elle dépend évidemment des indicateurs utilisés pour représenter les deux critères considérés. Il existe un grand nombre de situations dans lesquelles ces deux indicateurs peuvent être améliorés : c’est le cas pour l’ensemble des points à l’intérieur de la frontière (comme le point A d’où l’on peut viser par exemple D) ainsi que pour les parties BC ou FE de la frontière. En revanche, la partie de frontière CDE est particulière : on ne peut augmenter un critère sans diminuer l’autre, ce qui est la définition d’un optimum de Pareto ; en effet, lorsqu’on se trouve en D, on peut augmenter la récolte de biomasse en allant vers E, mais au prix d’une diminution de la biodiversité ; on peut de même améliorer la biodiversité en se déplaçant vers C mais au détriment de la biomasse. En dépit des hypothèses sur lesquelles repose cette représentation, on comprend que deux critères différents peuvent rester compatibles dans de nombreux cas et devenir conflictuels lorsque l’un ou l’autre est poussé à l’extrême. On voit aussi que les situations conflictuelles sont plus ou moins fréquentes selon la forme de la frontière et l’ampleur de la partie correspondant à l’optimum de Pareto (celle-ci apparaît relativement restreinte sur le cas de figure présenté ici).

En présence d’un terrain dégradé susceptible d’être boisé, le développement de la forêt contribue en général à l’accroissement à la fois de la biodiversité et de la biomasse. De la même façon, éviter une déforestation ou dégradation de la forêt trouve une double justification fondée sur la production de bois et la protection de l’environnement. En revanche, lorsque la nature forestière elle-même n’est pas menacée et que les enjeux forestiers s’affinent, il devient plus difficile de favoriser et la biomasse et la biodiversité. En effet, d’une part on arrive au point auquel il ne devient plus possible de développer l’un ou l’une sans porter préjudice à l’autre (situation correspondant à la définition d’un optimum de Pareto, dont une approche schématique est fournie figure 2) ; d’autre part les incertitudes sur la mesure de ces

enjeux sont susceptibles de favoriser les controverses. On peut donc retenir que le développement initial

de la forêt amène d’abord dans son sillage l’ensemble des fonctions de la forêt mais que, au-delà d’un certain point, il convient d’arbitrer entre les avantages retirés de la gestion de l’une d’entre elles et les préjudices causés à certaines autres.

2Voir pour cela les actes de la conférence qui s’est tenue à Nancy en novembre 2008, à paraître en 2009 dans la Revue forestière française

biomasse biodiversité F

*

C

*

B

*

D

*

E

*

A

*

Lorsqu’il s’agit de renforcer la biodiversité, par exemple en créant des réserves biologiques, alors l’avantage d’une telle opération est délicat à appréhender mais son coût apparaît plus nettement comme le manque à gagner lié à la diminution ou à l’arrêt des prélèvements de biomasse (Peyron, 2003, 2005). Ce coût est non seulement d’autant plus grand que les peuplements considérés sont de qualité pour

l’industrie du bois mais aussi que le prix des bois est élevé. Une hausse du prix des bois renchérit donc

d’autant la préservation de la biodiversité si celle-ci agit comme une contrainte vis-à-vis des

prélèvements de biomasse.

Pour intégrer les considérations environnementales dans les analyses de ressources, deux grandes

options sont envisageables. La première consiste à fixer a priori le seuil en deçà duquel la sylviculture

devient inacceptable en tel ou tel lieu parce qu’elle porterait atteinte à la fertilité à long terme des sols, à la diversité biologique voire à la qualité paysagère ; ce seuil peut être absolu et correspondre à un niveau minimal de qualité environnementale jugée nécessaire ; il peut aussi être relatif et s’exprimer par le gain économique minimal pour compenser une perte de qualité environnementale ; l’analyse de ressource prend alors ce seuil comme une contrainte. Cette façon de faire semble peu utilisée et, par exemple, ne l’a pas été dans l’analyse de disponibilités conduite par le Cemagref et mentionnée plus haut. La seconde approche consiste à analyser les ressources d’abord indépendamment de ce type de seuil, puis d’évaluer les résultats de divers points de vue et notamment au plan environnemental. C’est elle qui est généralement adoptée et qui l’a été par plusieurs études et recherches sur l’approvisionnement de la filière bio-énergétique, dont certaines encore en cours.

Finalement, il s’avère utile de croiser caractéristiques environnementales et économiques et d’identifier ainsi quatre grands cas possibles (tableau 1).

Figure 3. Croisement entre évaluations économique et environnementale de la stratégie sylvicole envisagé pour un peuplement forestier donné.

Dans la zone (I), les atteintes potentielles à l’environnement sont contraintes par le manque d’attrait économique ; dans les conditions économiques ayant prévalu au cours des années avant 2008, la culture de taillis à plus ou moins courte rotation est, par exemple, susceptible d’entrer dans cette catégorie (Lecocq, 2008).

Dans la zone (IV), les conditions environnementales et économiques sont satisfaisantes si bien qu’il semble peu utile d’intervenir, sauf en donnant les informations nécessaires à une bonne gestion. L’amélioration de la récupération des produits en fin de vie, de même que la valorisation des produits connexes de scierie ou de papeterie méritent d’être développées au plan environnemental et devraient répondre à une remontée des prix de l’énergie.

Restent les zones (II) et (III) qui requièrent une plus grande attention.

Dans la zone (II), il importe de rester vigilant à la qualité environnementale de la gestion que les forces économiques seraient susceptibles de négliger et il semble bon, en particulier, d’édicter les conditions

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dans lesquelles les activités correspondantes pourront se dérouler (chapitre 6). Sur certaines stations fragiles, une récolte trop complète des rémanents peut par exemple altérer la fertilité à long terme des sols forestiers alors qu’elle serait encouragée par des prix attractifs de l’énergie.

Dans la zone (III), on pourrait imaginer des incitations économiques modérées pour développer de manière maîtrisée des activités portant peu atteinte à l’environnement et pouvant compenser les freins mis par ailleurs, par exemple en zone (II). Des récoltes de rattrapage dans des peuplements inexploités depuis longtemps pour des raisons économiques dans des contextes écologiques moins favorables à la biodiversité forestière (forêts récentes, essences exotiques) pourraient être déclenchées par des incitations portant par exemple sur le regroupement de la gestion ou l’amélioration de la desserte, s’il y a lieu, et en respectant par ailleurs les objectifs des propriétaires.

En définitive, la discussion devrait surtout porter sur deux types de techniques : celles qui semblent acceptables au plan environnemental mais auront de la peine à se développer par elles-mêmes et mériteraient un soutien économique, et celles qui devraient facilement céder aux forces du marché mais s’avèrent susceptibles de poser des problèmes environnementaux au-delà d’un certain seuil et en certains lieux où elles devraient être soumises à conditions.