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Les différents domaines coloniaux à Anjouan

CHAPITRE4 LESRITUELS PRE- ISLAMIQUES À ANJOUAN

Carte 5 Les différents domaines coloniaux à Anjouan

Source : Tiré de l’article d’Ainouddine Sidi Ya Mkobe 2000 : 25

Ainouddine Sidi dévoile comment la vente contestée de la presqu’île de Nyumakele a été réaliséeainsi que tous les caprices du Jules Moquet pour prendre d’autres terrains sans tenir compte des lois françaises en vigueur dans le territoire des Comores. (Ibid.1998 :116-117).

Afin de pouvoir assurer sa main d’œuvre, allant même jusqu’à vouloir transformer la population de Nyumakeleen esclaves, il n’a pas hésité à demander à inclure dans l’achat du terrain les habitants qui seront soumis à sa volonté. Privé de leurs terres, la population de Nyumakele essayait de survivre. La bande de 20 m laissée libre autour des villages restent insuffisants pour la culture vivrière. Les paysans de cette région n’ont pas d’autre choix que d’aller travailler comme des esclaves dans la plantation de Moquet sans être rémunéré.

Plusieurs témoignages révèlent que les récits de cette expérience traumatisante se sont transmis dans la population. En voici un exemple :

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A ma connaissance, c’est plutôt 12000 ha (voir Jean MARTIN 1983 : T1 et T2 ; Roland BARRAUX 2009 : 272 p.)

« Koko Fati Gobo de Nganzalé résume cette contrainte en ces termes : *…+ Nos parents nous ont appris que les problèmes de notre région se sont aggravés avec la vente par l’Administration Coloniale de la presqu’île de Nyumakele à M. Moquet. On n’avait rien laissé aux habitants. Nous n’avions même pas assez de terre pour creuser des fosses d’aisance. Nous étions devenus des étrangers sur notre propre sol.Chez Moquet, les engagés travaillaient comme des bêtes de somme. Ils n’avaient même pas le temps d’aller se soulager. Dieu est grand. Nous avons connu beaucoup de malheur ici avec l’arrivée des Blancs. Sans la lutte des paysans de Nyumakele, ces colons seraient toujours ici.

Mme Moquet était une femme de mauvaise foi…. Nous ne pensons pas qu’il ait existé une femme aussi méchante que l’épouse Jules Moquet. Cette dame n’avait pas de cœur. Elle malmenait les populations de Nyumakele. Elle était plus méchante que son mari. Elle s’imaginait chez elle en Europe et ne supportait pas la présence des cases indigènes à proximité de sa demeure. Elle détestait les gens de Nyumakele parce qu’ils passaient, disait-elle, leur temps à crier. Elle dénonçait les engagés et les traitaient de voleur. (Ibid 1998 : 119)

N’étant pas satisfait du cadeau qu’on lui avait offert, Moquet avait jugé utile encore une fois de saigner la population de Nyumakele en leur expropriant d’autres terrains qu’il avait introduits dans son acte de vente, en se référant à un soit disant lois, usages et coutumes d’Anjouan(Jean Martin, T1, 1983 cité par Ainouddine Sidi (1998 : p.117):

D’autres témoignages montrent comment Moquet réglait ou rémunérait les engagés, ses employés. Bako Mdarassine rapporte que : « Jules Moquet se faisait un plaisir de ne pas payer ses employés malgré les recommandations de l’administration coloniale.

Les journaliers ne supportaient pas du tout ce régime. Dans cette région, nous avons une tradition de lutte qui remonte à l’occupation arabe. Les journaliers se réunissaient pour revendiquer leurs droits….

Certains journaliers ne touchaient pour salaire et ration qu’une roupie par semaine ». (Ainouddine S. 1998 : 120).L’inspecteur des Colonies Norès signale le rapport entre dominant et dominé. Une relation entachée de violences entre les deux communautés (les blancs et les autochtones) : « Il est profondément regrettable que les rapports des Européens avec les indigènes n’aient pas été empreints de bonne foi et d’équité, mais qu’ils aient été, tout au contraire, dominés par la fraude et la violence. » (Nores, 4 avril 1906) cité par Martin J. 1983, T.2, p. 145)

Avant chaque gratte, la population de Nyumakele organisait, malgré les répressions du colon Moquet, le rituel de Trimba, suivantun itinéraire bien précis.

4.3.2.

Le rite du Trimba à Nyumakele

Photo 81: La « mascotte » (masque) du Trimba avec son bâton et ses cornes. Tout son corps est enveloppé par des feuilles de bananiers sèches (Mbuni za marindri). On n’arrive même pas à distinguer les yeux. Les responsables du rituel sont présents à côté de la « mascotte ».

Source : Centre National de Documentation et de Recherche Scientifique(Moroni) 2014

Le Ntrimba est une danse rituelle où les hommes et les femmes dansent ensemble. Il est organisé tous les ans, à une période fixe de l’année, avant la gratte. La date précise de la manifestation est déterminée par une assemblée générale destradipraticiens, représentant des Djinns.

Anissa112 précise qu’à sa connaissance, seul J.C. Hébert a traité ce rituel. Mais il y a d’autres sources qu’on peut utiliser notamment les sources orales : «Il n’existe pratiquement pas d’étude sur cette fête agraire. La seule source connue jusque-là, c’est la tradition orale, les témoignages des gens de la région. Jean Claude Hébert est le seul, à notre connaissance, à avoir parlé du Ntrimba dans un bref article consacré aux fêtes agraires dans l’île d’Anjouan (Archipel des Comores) »113.

L’origine du rite Ntrimba remonte loin dans l’histoire. J.C. Hébert cite deux légendes évoquant l’origine de ce rite agraire. « Une légende rapporte que jadis, chaque année, un homme se noyait en mer entre Chiroroni et Gomajou M’Ramani. Les devins de Chaoueni demandèrent grâce de cette calamité, et les ginis alors révélèrent comment il fallait s’y prendre : il fallait sacrifier un animal aux esprits de la mer et danser le trimba, qu’ils leur enseignèrent. Depuis lors il n’y a plus de noyade dans ces parages.» (Hébert J.C. 1960 : 113-114)

Un mwalimu (tradipraticien-géomancien) du village de Shaweni nous a donné une version proche de celle d’Hébert. Selon lui, le Trimba serait organisé annuellement pour honorer les esprits (djinns) qui ont précédé l’arrivée de l’Homme sur cette terre. Ils seraient alors les propriétaires incontestables de cette Terre-mère où les hommes se sont installés en défrichant et en cultivant.

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Anissa, Le Ntrimba, une fête agraire de la région de Nioumakele (Anjouan), in https://comoressentiel.wordpresscom, 2014, p. 1

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Hébert J.C, « Fêtes agraires dans l’île d’Anjouan (Archipel des Comores) » In journal de la société des africanistes, 1960, tome 30, fascicule 1, pp. 101-116 (disponible aussi sur le site http://www. Persee.fr/ web/ revues/home/prescrit/article/jafr_0037-9166_1960_num_30_1_1919)

Très en colère contre les hommes, un contrat a étépassé entre les « deux parties ». En contrepartie les hommes organisent annuellement à des dates bien précises ce rituel pour les remercier et prier les esprits pour que les récoltes soit bonnes, empêcher les cyclones etc.

Certains avancent l’idée que le Ntrimba commémore l’arrivée des premiers Chiraziens dans l’île, sur les côtes du Nyumakele. Le parcours du Trimba de village en village suivrait les différentes étapes parcourues par les Chiraziens vers l’intérieur des terres. Dahalane Said et Abdou Majani nous fournissent quelques précisions sur les étapes suivies par les Chiraziens munis d’un mouton et d’un coq : « Msoilaju, Sadapwani, Mroni Ngazidja, Djamwandze (le mouton dort, tête vers le nord et le coq chante : les Arabes posent la fondation d’une mosquée), Nunga et Mnadzichumwé (les Arabe touchent le sol), Gnambwamro et Dziani etc.. » (Dahalane Said et Abdou Majani 1999 : 16)

Seulement, comme le souligne J.C. Hébert, « si la procession du trimba commémorait la migration des Chiraziens, elle devrait s’effectuer de la mer vers les hautes terres et non dans le sens inverse… » (Hébert J.C. 1960 : p. 114). Signalons avec Hébert le fait que « les Chiraziens apportaient avec eux l’islam *or+, il apparait suffisamment que le trimba est un rite païen, préislamique… » (Ibid)

Dahalane Said et Abdou Majani indiquent comment le Trimba qui n’était qu’un rituel unique pour toute la région est actuellement scindé en trois et que seul celui de Mramani reste actif : « *…+ il n’y avait qu’un seul Trimba à Nyumakele, celui de Kohani qui regroupait toute la région. Au fur et à mesure, [que] des conflits inter-villageois engendrent une séparation des villages. Et vient la guerre de 1970 qui a disloqué le Ntrimba de Kohani en trois Ntrimba. Le Ntrimba de Djamwandze (Hadda à Shiroroni), le Ntrimba de Mramani (Gnambwamro – Dziani – Mramani), le Ntrimba de Komoni – Kiyo – Sulin). Actuellement il ne reste qu’un seul Ntrimba en activité, celui de Mramani ». (Dahalane Said et Abdou Majani 1999 : 29)114

Le rituel du Trimba ou Ntrimbaa donc suivi dans le temps trois itinéraires, et le plus important traverse dix villages (Nkohani, Adda, M’Remani, Daji, Mwiriju, Mnadzishume, Nunga, Dzamwandze, Shaweni, Shiroroni). Ce Trimba porte le nom de Trimba de Shaweni (ancienne capitale de l’île en 1300 ap. J.-C. sous le règne de Djumbe Mariamo Ben Othman Kalichi-Tupu). Le deuxième porte sur six villages et le troisième va jusqu’au cône de Ngomaju où on jette les entrailles de l’animal de sacrifice à la mer. Selon un itinéraire séculaire, il faut trois jours pour le premier Trimba et deux jours pour les deux autres. Le Trimba désigne à la fois le périple, la danse de Mudandra au moment des arrêts dans les villages traversés et le personnage (la mascotte) joué par un individu caché du public, vêtue de feuilles sèches de bananier « Mbuni za marindri » de la tête au pied (les yeux sont visibles) et portant un gros bâton (Hébert J.C 1960 : 110).

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Dahalane Said et Abdou Majani, Les lieux sacrés ou maudits à Nioumakélé, IFERE-Patsy, mémoire de validation, 1999, 36 p.