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Les différences ethniques, religieuses et culturelles

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Chapitre 2 : Analyse de la cohésion sociale en Afrique de l’Est

H. Les différences ethniques, religieuses et culturelles

Les liens entre la cohésion sociale et les diffé-rences ethniques, religieuses et culturelles sont régulièrement mentionnées par les décideurs et les dirigeants de la région. Dans un discours aux Nations Unies de septembre 2014 cité par Kelley (2014b), le Président Kagame du Rwanda expli-quait par exemple que lorsque les identités natio-nales ne sont pas suffisamment solides, l’ethnicité, le régionalisme, la religion acquièrent droit de cité en politique et déchirent les nations.

Selon certains analystes, le fractionnement eth-nique est un des principaux facteurs des niveaux de conflits en Afrique de l’Est, en particulier dans des pays tels que le Kenya et l’Ouganda, davantage que dans d’autres comme la République-Unie de Tanzanie (Barkan, 2012)36. Mais cela semble être une erreur, puisque l’on constate que les pays de la région les plus homogènes en termes d’ethnicité (le Burundi, les Comores, le Rwanda et la Somalie) ont connu les niveaux de conflits les plus graves des 20 dernières années.

35 Trois routes principales existent: la route nord-africaine (de l’Afrique subsaharienne vers l’Afrique du Nord et l’Europe), la route du golfe d’Aden et de la mer Rouge (depuis la Corne de l’Afrique jusqu’au Yémen et au-delà) et la route du Sid (depuis le Corne de l’Afrique et l’Afrique de l’Est jusqu’en Afrique du Sud et au-delà).

36 Barkan (2012) note que tant au Kenya qu’en Ouganda, le groupe ethnique majoritaire – Kikuyu au Kenya et Banganda en Ouganda – a fortement bénéficié du schéma de développement inégal établi pendant l’ère coloniale. Dans les deux cas, le groupe le plus nombreux a bénéficié de sa proximité par rapport à la capitale et dans les deux cas, il est devenu le groupe des principaux producteurs de la principale culture d’exportation du pays, le café.

Les intellectuels qui se penchent sur cette ques-tion ont des avis partagés. D’un côté, Easterly et Levine (1997) estiment qu’en Afrique subsaha-rienne, la fragmentation ethnique est telle qu’il est difficile de fournir les biens publics qui favorisent la croissance économique. Mais d’autres pensent que la diversité culturelle d’une société s’accom-pagne d’une industrialisation plus rapide et d’une plus forte croissance économique (Ashraf et Galor, 2011).

Alesina et La Ferrara (2005) adoptent une position intermédiaire et suggèrent que dans les démo-craties aux revenus élevés, la diversité peut avoir un effet positif sur la productivité, mais que dans le monde en développement, des niveaux sem-blables de diversité risquent de générer plus de conflits et de ne susciter que de faibles niveaux de coopération entre les ethnies. En plus d’ob-server que la diversité ethnique est une question chargée du point de vue politique, Alesina et La Ferrara (2005) estiment aussi que la façon dont la diversité ethnique est mesurée affecte l’exacti-tude des résultats.

Sokoloff et Engerman (2000) ont une opinion similaire. Se fondant sur l’analyse du dévelop-pement politique historique des Amériques, ils estiment que les différences d’homogénéité des populations sont une des principales explications des différences entre les pays en termes d’inégali-tés et de développement ou non des institutions politiques. Cette relation peut être positive (plus de fractionnement provoque de plus grandes iné-galités) ou négative (l’inverse). Comme l’avancent Easterly et al. (2006), les différences ethniques peuvent être ce sur quoi se focalisent les fractures surgissant au sein des sociétés, mais ce n’est pas toujours le cas, car les différences ne sont pas intrinsèquement causes de divisions.

La région est fière de son passé de

tolérance religieuse, qui compte

d’innombrables exemples de sociétés

composées de divers groupes religieux

vivant ensemble harmonieusement.

Selon des recherches récentes, le fractionnement ethnique est une variable endogène (Casey et Owen, 2014). En d’autres termes, il n’évolue pas dans le vide mais en même temps que les iné-galités de revenus et la croissance économique.

De plus, la profondeur de ce fractionnement change constamment. Au Burundi par exemple, Chemouni (2014) fait valoir que les différences ethniques sont de moins en moins sources de conflits tandis que les tensions présentes dans la société sont de plus en plus le produit d’autres forces.

Il n’est pas facile de trouver des estimations pré-cises du nombre de groupes ethniques en Afrique de l’Est et les estimations existantes sont variables, ce qui s’explique en partie par le problème de définition de l’ethnicité et de la façon dont on fait

la distinction entre les ethnies37. Ceci vient aussi du fait que certains pays de la région refusent complètement l’étiquetage ethnique, souvent pour des raisons que l’histoire justifie pleinement, comme c’est le cas au Rwanda.

Une des rares ressources offrant des estimations pour tous les pays de la région est le CIA World Factbook (tableau  19). Celui-ci suggère qu’il y a un très grand nombre de groupes ethniques dans certains pays, notamment en République démocratique du Congo et en République-Unie de Tanzanie, pour lesquels les estimations sont en nombres à trois chiffres. Par contre, au Burundi, aux Comores, à Djibouti, en Érythrée, à Madagas-car, au Rwanda, aux Seychelles et en Somalie, il y a moins d’une dizaine de groupes ethniques.

37 Senior et Bhopal (1994) livrent un examen des difficultés qu’im-plique l’utilisation de l’ethnicité comme variable dans la recherche en santé.

Tableau 19: Estimations du nombre de groupes ethniques

Pays Nombre

Burundi 5

Comores 5

Rép. dém. du Congo >200

Djibouti >3*

Érythrée 9

Éthiopie >14*

Kenya >9*

Madagascar 6

Rwanda 3

Seychelles 5

Somalie >3*

Soudan du Sud 18

Ouganda >11*

Rép-Unie de Tanzanie >133*

Source: Central Intelligence Agency (2014).

Note: * Le CIA Factbook regroupe les ethnicités multiples en une catégorie appelée « autres ». Dans le cas de Djibouti, cette catégorie représente 5 % de la population et comprend des personnes d’origine arabe, française, éthiopienne et italienne. Dans le cas de l’Éthio-pie, cette catégorie représente 10,5 % de la population mais aucun exemple n’est donné. Pour ce qui est du Kenya, les « autres Africains » représentent 15 % de la population et les « autres non Africains » représentent 1 % de la population, incluant des personnes d’origine asiatique, européenne et arabe. En Somalie, 15 % de la population est identifiée comme «  non somalienne ». En République-Unie de Tanzanie, les « autres » représentent 1 % de la population, avec des personnes d’origine asiatique, européenne et arabe. Dans le cas de l’Ouganda, le groupe des « autres » représente 29,6 % de la population sans qu’aucun exemple ne soit donné.

Pour ce qui est des croyances religieuses, les pays de l’Afrique de l’Est peuvent être classés en trois catégories (tableau 20). Il y a premièrement ceux où le christianisme est de loin la religion la plus populaire. Sept pays de la région relèvent de cette catégorie, avec plus de 80 % de la population se définissant comme chrétiens, à savoir: la Répu-blique démocratique du Congo (96  %), les Sey-chelles (94 %), le Rwanda (93 %), le Burundi (92 %), l’Ouganda (87 %), le Kenya (85 %) et Madagascar (85 %).

La deuxième catégorie regroupe les pays dont presque tous les habitants se déclarent musul-mans ; ce sont les Comores (98 %), Djibouti (97 %) et la Somalie (99  %). Dans la dernière catégorie se trouvent ceux dont les populations sont chré-tiennes à peu près aux deux-tiers et musulmanes pour un tiers, à savoir l’Érythrée, l’Éthiopie et la République-Unie de Tanzanie. Le seul pays qu’il n’est pas possible d’inscrire aisément dans une de ces catégories est le Soudan du Sud. En effet, c’est le seul pays de la région dont une partie importante de la population (un tiers) a conservé

ses croyances religieuses traditionnelles (Pew Research, 2012).

Les liens entre diversité religieuse et cohésion sociale ne sont pas absolument clairs. La région est fière de son passé de tolérance religieuse, avec d’innombrables exemples de sociétés composées de divers groupes aux croyances multiples et vivant cependant ensemble harmonieusement.

Mais l’évolution récente de la situation, notam-ment dans la Corne de l’Afrique, indique que cette harmonie est sous pression.

En Somalie, par exemple, les premiers protago-nistes de la guerre civile n’avaient aucune orien-tation idéologique ou religieuse. Mais l’insécurité est maintenant de plus en plus marquée par un élément religieux. Au sud et au centre du pays en particulier, le paysage du conflit est dominé par des organisations confessionnelles, d’après une recherche menée en 2014 par l’Institut Vie et paix.

Si les différences religieuses ne menaçaient donc pas jusqu’à présent la cohésion sociale en Afrique de l’Est, elles risquent de commencer à y jouer un rôle plus important.

Tableau 20: Croyances religieuses

Pourcentage de la population

Chrétiens Musulmans Non affiliés Hindous Bouddhistes Traditionnels Autres Juifs

Burundi 91,5 2,8 < 0,1 < 0,1 < 0,1 5,7 < 0,1 < 0,1

Comores 0,5 98,3 0,1 < 0,1 < 0,1 1,0 < 0,1 < 0,1

Rép. dém. du

Congo 95,8 1,5 1,8 < 0,1 < 0,1 0,7 0,1 < 0,1

Djibouti 2,3 96,9 0,2 < 0,1 < 0,1 0,3 < 0,1 0,2

Érythrée 62,9 36,6 0,1 < 0,1 < 0,1 0,4 < 0,1 < 0,1

Éthiopie 62,8 34,6 < 0,1 < 0,1 < 0,1 2,6 < 0,1 < 0,1

Kenya 84,8 9,7 2,5 0,1 < 0,1 1,7 1,2 < 0,1

Madagascar 85,3 3,0 6,9 < 0,1 < 0,1 4,5 < 0,1 < 0,1

Rwanda 93,4 1,8 3,6 < 0,1 < 0,1 1.0 0,2 < 0,1

Seychelles 94,0 1,1 2,1 2,1 < 0,1 < 0,1 0,6 < 0,1

Somalie < 0,1 99,8 < 0,1 < 0,1 < 0,1 < 0,1 < 0,1 < 0,1 Soudan du

Sud 60,5 6,2 0,5 < 0,1 < 0,1 32,9 < 0,1 < 0,1

Ouganda 86,7 11.5 0,5 0,3 < 0,1 0,9 0,1 < 0,1

Rép-Unie de

Tanzanie 61,4 35,2 1,4 0,1 < 0,1 1,8 < 0,1 < 0,1

Source: Pew Research (2012).

I. Les pressions démographiques

L’évolution démographique peut avoir toutes sortes d’effets sur la cohésion au sein des sociétés et entre elles. Un fort taux de croissance démogra-phique peut en particulier aboutir à une compéti-tion pour des ressources rares qui peut dégénérer en conflit (OCDE, 2012). Un fort taux de croissance démographique est un indicateur important de la fragilité d’un État. L’emplacement géographique des populations, notamment le phénomène d’urbanisation, peut aussi influencer la cohésion, comme on le verra plus en détail ci-après. Paral-lèlement, la croissance démographique peut faire pression sur les services sociaux, les opportunités d’emplois et la participation politique.

En Afrique de l’Est, les pressions démographiques sont assurément une dynamique importante.

Dans la plupart des pays, le taux de croissance démographique est élevé, bien au-dessus de la moyenne mondiale (voir tableau 21). Le taux de croissance démographique de la Communauté d’Afrique de l’Est se montait à 2,9 % en 2013, plus

du double de la moyenne mondiale sur la période 2005-2010 (CAE, 2014).

Il semble que dans certaines zones il y ait un lien entre croissance démographique et conflit. Le Soudan du Sud est actuellement en période d’ins-tabilité et a aussi enregistré les taux de croissance démographique les plus élevés sur la période 2005-2010. C’est le seul pays de la région où le taux était supérieur à 4  % sur cette période. Au niveau micro, les chercheurs ont constaté qu’une densité démographique élevée faisait pression sur les terres et autres ressources, ce qui est source de conflits, comme par exemple à Nakasongola et Bududa en Ouganda (Kaggwa, Hogan et Gowa, 2009).

Le rythme de l’urbanisation est aussi un phéno-mène à prendre en considération pour la cohé-sion sociale. Le terme d’urbanisation décrit la façon dont des populations ont tendance à se concentrer dans une ou plusieurs zones, habituel-lement des villes (Tisdale, 1942). L’effet de ce pro-Tableau 21: Taux de croissance démographique (Pourcentage, prévisions basées sur un scénario médian)*

2000-2005 2005-2010 2010-2015 2015-2020

Burundi 3,0 3,4 3,2 3,0

Comores 2,6 2,6 2,4 2,2

Rép. dém. du Congo 2,8 2,8 2,7 2,6

Djibouti 1,4 1,4 1,5 1,4

Érythrée 4,2 3,4 3,2 2,7

Éthiopie 2,9 2,7 2,6 2,4

Kenya 2,7 2,7 2,7 2,5

Madagascar 3,0 2,8 2,8 2,7

Rwanda 2,3 2,8 2,7 2,6

Seychelles 1,8 0,9 0,6 0,4

Somalie 2,7 2,6 2,9 2,8

Soudan du Sud 3,8 4,2 4,0 2,6

Ouganda 3,4 3,4 3,3 3,2

République-Unie de Tanzanie 2,6 2,9 3,0 2,9

Monde 1,2 1,2 1,1 1,0

Source: Division de la population de l’ONU (2013).

* Pour davantage d’informations sur ce scénario et les autres mesures, se référer à Division de la population de l’ONU (2013)

cessus sur la cohésion sociale est ambigu. D’un côté, si les habitants des villes deviennent plus riches, plus intelligents, plus respectueux de l’en-vironnement, en meilleure santé et plus heureux, comme le soutient Glaeser (2012), il serait logique de supposer que l’urbanisation favoriserait la cohésion sociale. Mais d’un autre côté, la création de vastes bidonvilles dans les mégapoles peut mettre la cohésion à l’épreuve. On estime qu’en-viron un tiers de la population urbaine du monde, soit 800 millions de personnes, vit dans des bidon-villes (OCDE, 2011). Dans certains pays, l’urbanisa-tion est synonyme d’inégalités géographiques accrues en même temps que de pressions sur les institutions de maintien de l’ordre.

L’Afrique de l’Est est une région remarquable en matière d’urbanisation. D’une part la proportion de ses habitants vivant en zones urbaines est une des plus basses du monde. Moins d’un quart de la population des pays suivants vit en milieu urbain: Burundi (11 %), Éthiopie (17 %), Érythrée (22 %), Kenya (24 %), Rwanda (19 %), Soudan du Sud (18 %) et République-Unie de Tanzanie (16 %), par rapport à la population urbaine mondiale qui est de 53 %.

Cela étant, les jeunes Africains sont généralement mieux éduqués et mieux informés que leurs

parents. Conscients de leurs droits, les jeunes cherchent à faire comprendre aux gouverne-ments les problèmes qui les affectent, notam-ment le niveau du chômage qui est en augmen-tation sans précédent. Les préoccupations des jeunes intéressent les politiciens. De nombreux gouvernements ont mis en place des politiques pour la jeunesse à laquelle ils font une place dans leurs plans à moyen et long termes. D’autres vont encore plus loin et font participer des jeunes à la prise de décision. Le graphique ci-après (figure 10) montre le pourcentage de jeunes (de 0 à 14 ans) qui, dans un avenir pas si lointain, vont examiner attentivement la mise en œuvre des divers plans et stratégies des gouvernements à leur inten-tion. Avec les technologies dont ils disposent, les jeunes vont sans doute discuter et questionner toute lenteur ou absence de mise en application de ces programmes.

Cela étant, l’urbanisation suit un rythme parti-culièrement rapide en Afrique de l’Est. Tous les pays de la région, en dehors de Djibouti et des Seychelles, s’urbanisent plus rapidement que la moyenne mondiale (figure 11). Le rythme de l’ur-banisation du Rwanda est encore près de trois fois plus rapide. Si le rythme de l’urbanisation à Dji-bouti est relativement moins rapide, c’est qu’une grande partie de la population vit d’ores et déjà en zone urbaine. Au dernier recensement, on esti-mait que 70,6 % de la population vivaient dans un centre urbain (République de Djibouti, 2013).

L’urbanisation suit un rythme particulièrement rapide en Afrique de

l’Est.

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