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B. Cellules souches et cancer du sein

3. Les CSC du sein : conséquences thérapeutiques

a) Mécanismes de résistance aux traitements

Les thérapies anticancéreuses classiques utilisées pour traiter les cancers du sein agressifs peuvent être efficaces au départ, mais avec le temps, de nombreux patients rechutent. Une des explications pour cette rechute est la résistance thérapeutique des CSC dans la tumeur. Bien que la plupart des cellules cancéreuses soient tuées par des agents cytotoxiques, les CSC peuvent survivre et redonner une tumeur comme nous l’avons vu précédemment (Chapitre B-a-1-3). La résistance à la chimiothérapie et/ou à la radiothérapie des CSC du sein a été démontrée dans différentes publications. Par exemple, les cellules de types ALDH+/CD44+ et ALDH-/CD44- ont été triées à partir de lignées cellulaires de cancer du sein humain et ont été exposées aux drogues doxorubicin/paclitaxel ou à l’irradiation. Au bout de 72h de traitement, les cellules ALDH+/CD44+ présentent un meilleur taux de survie ; l’inhibition de l’activité ALDH par le DEAB permet de sensibiliser ces cellules à la chimio- et radiothérapie (Croker and Allan, 2012).

De plus, les CSC du sein peuvent aussi être enrichies par ces mêmes thérapies, comme l’irradiation (Lagadec et al. 2012), l’épirubicine (Yu et al., 2007), ou encore la doxorubicine et le cyclophosphamide (Li et al., 2008). Un nombre croissant d’études a aussi souligné le rôle des CSC du sein dans la résistance et la récidive après traitement mais on connait encore mal les mécanismes moléculaires qui sont à l’origine de cette résistance accrue. Il a été suggéré que les CSC du sein sont résistantes aux thérapies conventionnelles grâce à leurs propriétés intrinsèques dues aux altérations génétiques mais aussi aux influences d’un microenvironnement spécifique impliquant l'hypoxie ou favorisant la transition épithélio-mésenchymateuse (TEM) (Rebucci and Michiels, 2013).

La surexpression de transporteurs d’efflux est l’un des principaux mécanismes de résistance des CSC aux chimiothérapies. Cette propriété, aussi appelée MDR (Multi Drug Resistance) est liée à la surexpression de transporteurs ABC car les agents thérapeutiques sont transportés à l’extérieur des CSC via ces transporteurs ABC (Dean et al., 2005) . Les CSC du sein surexpriment notamment ABCG1 (MDR1) et ABCG2 qui les protègent contre les dommages causés par les chimiothérapies. La présence d’une forte activité ALDH dans les CSC du sein pourrait aussi expliquer leur résistance à certaines drogues. Il a été montré que l’ALDH a la capacité de métaboliser des agents chimiothérapeutiques, en particulier le cyclophosphamide (Russo and Hilton, 1988; Sládek et al., 2002).

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Les principaux mécanismes qui participent à la résistance des CSC à l’irradiation sont la détoxification des espèces réactives de l’oxygène (ROS) radioinduits et la réparation des dommages à l’ADN. Il a été montré que suite à l’irradiation ionisante, les CSC du sein de type CD44+/CD24- cultivées en sphères présentent un plus faible niveau de ROS et de cassures double-brin de l’ADN (Phillips et al., 2006). Les auteurs suggèrent que la détoxification de ROS et l’activation de la voie Notch sont impliquées dans la radiorésistance (Phillips TM et al. 2006). Les travaux de Diehn et al. ont montré que les cellules souches normales et cancéreuses du sein présentent un niveau de base de ROS moins élevé et que certains gènes impliqués dans la détoxification de ROS sont surexprimés dans ces cellules, tels que Gclm (Glutamate-cysteine ligase regulatory subunit) et Foxo1 (Forkhead box protein O1). Les CSC mammaires murines montrent moins de cassures de l’ADN et sont enrichies après irradiation (Diehn et al., 2009). Karimi-Busheri et al. ont aussi démontré que les CSC mammaires dans la lignée MCF7 ont un taux réduit de ROS et une voie de réparation de cassure simple brin d'ADN plus active (Karimi-Busheri et al., 2010). Une autre étude a montré qu’il y a une augmentation d’ATM activé (ATM phosphorylé), un gène impliqué dans la réparation de l’ADN, dans les CSC (Yin and Glass, 2011). L’ensemble de ces travaux fournissent des explications encourageantes sur la façon dont les CSC résistent aux radiothérapies mais ne démontrent pas un mécanisme de résistance précis. Enfin, le microenvironnement tumoral joue aussi un rôle dans la résistance des CSC. Par exemple, la plasticité des CSC du sein induite par la transition épithélio-mésenchymateuse (TEM) a été associée à la résistance au traitement (Singh and Settleman, 2010). Les cellules tumorales résiduelles dans le cancer du sein triple négatif après chimiothérapie ou dans le cancer du sein luminal après traitement hormonal expriment un phénotype de cellule mésenchymateuse, ce qui suggère que la TEM leur confère la chimiorésistance (Creighton et al., 2009). Les CSC résident dans un microenvironnement hypoxique comme décrit précédemment et les facteurs HIF impliqués dans la régulation de l’hypoxie pourrait contribuer à la chimiorésistance de CSC du sein (Crowder et al., 2014).

b) Stratégies thérapeutiques ciblant les CSC

La théorie de CSC présentée par Reya et al. a souligné plusieurs implications cliniques pertinentes nous permettant de comprendre la façon dont les CSC influencent la résistance au traitement (Reya et al., 2001) (Figure 7). Les CSC ont été identifiées comme des cibles thérapeutiques prioritaires pour leur rôle dans les maladies primaires, métastatiques et récidivantes. D’une part, le faible nombre de CSC résistantes au traitement était suffisant pour

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entraîner une nouvelle tumeur et il a été suggéré que cette résistance serait transmise à la progéniture entière des CSC qui constitue la nouvelle tumeur. Cela pourrait expliquer le niveau de résistance thérapeutique plus élevé retrouvé dans les maladies résiduelles par rapport aux tumeurs primaires. D’autre part, le concept de CSC migratoire suggère fortement leur implication dans la métastase (Brabletz et al., 2005; Hermann et al., 2007). Par conséquent, le ciblage des CSC devrait présenter un avantage supplémentaire pour réduire les métastases.

Différentes stratégies thérapeutiques contre les CSC ont été proposées telles que le ciblage direct des marqueurs de surface qui caractérisent les CSC. Cependant, cette stratégie semble controversée pour plusieurs raisons. D’une part, l’utilisation des marqueurs n’est pas universelle mais dépendante du type tumoral. D’autre part, différents marqueurs pourraient identifier plusieurs populations de CSC au sein d’une même tumeur : laquelle est la population « réelle » de CSC responsable de la résistance? De plus, comme nous avons vu précédemment, les CSC et les cellules souches normales partagent souvent les mêmes marqueurs de surface, ce qui peut diminuer la spécificité de cette stratégie (Chen et al., 2013). Les mécanismes métaboliques impliqués dans le maintien de CSC peuvent aussi être une cible intéressante. L'hypoxie au sein d'une tumeur peut entraîner des altérations du métabolisme des cellules cancéreuses et la TEM contribue à la génération de CSC (Li and Rich, 2010; Wouters and Koritzinsky, 2008). En effet, une étude récente a rapporté le lien entre la glycolyse, la TEM et la génération de CSC (Dong et al., 2013). D'autres études indiquent également que les composants de la voie métabolique du mévalonate sont importants dans la production de CSC mammaires (Ginestier et al., 2012).

Si le ciblage direct de CSC s’avère difficile, le traitement induisant l’activation de CSC quiescentes et leur différenciation semble être prometteur. Cette approche a été étudiée dans plusieurs types de cancers notamment les cancers hématopoïétiques. Il a été montré que l'acide trans-rétinoïque (ATRA) est capable d’induire la maturation des cellules malignes dans plusieurs cancers hématopoïétiques tels que le myélome multiple et la leucémie myéloïde chronique (Kast, 2008; Loaiza-Bonilla et al., 2010). Seul ou en association avec d'autres thérapies, l'ATRA a également montré des effets dans diverses tumeurs solides, comme par exemple le cancer de la prostate et le gliome (Haque et al., 2007; Pasquali et al., 2006). Malgré ses effets intéressants dans les cancers hématopoïétiques, les essais cliniques sur l’effet de l’ATRA dans la prévention et le traitement d'un certain nombre de tumeurs solides n'ont pas montré de bénéfice significatif (Connolly et al., 2013). L’exemple de l’ATRA suggère que les stratégies efficaces pour cibler les CSC pourraient être spécifiques à chaque type tumoral.

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Comme nous avons vu précédemment, le microenvironnement tumoral fournit non seulement des signaux et des facteurs nécessaires à la survie de CSC mais intervient en particulier dans l'activation de la TEM qui régule la plasticité de CSC. La plasticité de CSC contribue également à la résistance au traitement. Une stratégie indirecte pour cibler les CSC propose donc de cibler son microenvironnement tumoral. Par exemple, des petites molécules peuvent être efficace pour bloquer la signalisation pro-CSC des composants du microenvironnement tels que les cellules souches mésenchymateuses et les cellules immunitaires (Li et al., 2009; Ma et al., 2013). Les voies de signalisation impliquées dans le maintien des CSC peuvent aussi être des cibles intéressantes. Cependant, l’inhibition de ces voies pourrait aussi entraîner conjointement l’inhibition de signalisation dans les cellules souches normales. La voie Wnt est connue pour réguler l’homéostasie de cellules souches intestinales et l’utilisation des inhibiteurs de Wnt pourrait conduire à un appauvrissement de la population de cellules souches intestinales normales (Pinto et al., 2003). Cependant, la dépendance des CSC colorectaux sur la signalisation Wnt/β-caténine pourrait dépasser celle des cellules souches intestinales normales, suggérant qu'un traitement à faible dose pourrait réduire l'activité CSC sans affecter l'homéostasie normale (Chen et al., 2009; Liu et al., 2013).

Depuis une dizaine d’année, les travaux sur la relation entre les CSC et les ARN non codants sont en pleine expansion. En effet, un nombre croissant d’études a montré l’importance des miARN et long ARN non codants (LncRNA) dans le maintien de CSC, faisant de ces ARN non codants des cibles thérapeutiques prometteuses (Huang et al., 2013). Par exemple, LncRNA 00617 est fortement exprimé dans le cancer du sein, pouvant favoriser l'invasion et la TEM des cellules cancéreuses en activant le facteur de transcription SOX2 (Li et al., 2017). Les travaux de Takahashi et al. ont montré que la diminution de MiR-27b favorise la formation de CSC dans les lignées cellulaires de cancer du sein, suggérant que la modulation de l'expression de miR-27b en combinaison avec la chimiothérapie peut améliorer les résultats thérapeutiques des patients (Takahashi et al., 2015). Une autre étude récente montre que la suppression de MiR-60 entraîne l’expansion de CSC du sein tandis que sa surexpression réduit l’auto-renouvellement et la tumorigénicité des CSC in vivo (El Helou et al., 2017).

La théorie des cellules souches cancéreuses a élargi nos horizons et fourni une nouvelle approche pour comprendre et traiter les tumeurs malignes. Cependant, le défi majeur dans l’étude des CSC est leur isolement et leur caractérisation. Enfin, l'identification de stratégies qui exploitent les caractéristiques uniques des CSC nécessite une étude plus approfondie et une collaboration multidisciplinaire.

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