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Chapitre 6 Conclusions

28. Limites et prolongements du travail

3.5. Les critiques du modèle de l’Etat évaluateur

De nombreux chercheurs mettent en doute le modèle de l’Etat évaluateur (ou de l’obligation de résultats). Ils s’interrogent surtout sur ses capacités à améliorer la qualité de l’école. Ils lui adressent ces différentes critiques :

a) Des critiques au niveau méthodologique. Tout d’abord, le fait de formuler des objectifs clairs et quantifiables (standards) peut être perçu comme utopique et difficilement réalisable au niveau méthodologique. Ensuite, c’est surtout le fait qu’on évalue la globalité du systèmes éducatifs par un seul indicateur (les acquis des élèves) qui ne fait pas l’unanimité (Demailly, 2001 ; Duru-Bellat & Jarousse, 2001). L’aspect exclusivement quantitatif de ces tests semble peu pertinent et devrait être complété par d’autres informations plus qualitatives (Bélair, 2005; Blais, 2005 ; Demailly, 2001). Meuret (2012) avance la « loi de Campbell », concept économique qui met en garde contre l’utilisation de résultats quantitatifs (ici les résultats des

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élèves) comme unique élément de prise de décisions, ce qui peut résulter sur des effets pervers :

Plus un indicateur quantitatif est utilisé pour prendre des décisions, plus il sera sujet à des pressions corruptrices et plus il sera susceptible d’altérer et de corrompre le processus social qu’il est censé contrôlé (Campbell, 1976, cité par Meuret, 2012).

En effet, les apprentissages de l’élève (ou sa performance) dépendent de bien plus de facteurs que des simples réformes politiques. Aussi, le principe d’uniformité est critiqué. La variabilité des élèves et des enseignants n’est que peu prise en compte par cette forme d’évaluation des politiques (Perrenoud, 1998 ; Duru-Bellat & Jarousse, 2001).

La démarche d’évaluation par les résultats fait comme si tous les enseignants partageaient des finalités identiques, celles mises en avant par les textes. Il est dans doute vrai que face à des textes, des directives, des programmes souvent ambigus, les enseignants s’adaptent, voire pratiquent une résistance passive, quand ils ne partagent pas la philosophie. Il serait alors simpliste de prétendre évaluer les politiques affichées dans les textes dans des contextes concrets où les objectifs initiaux n’ont plus forcément cours, tant ils ont été réinterprétés, détournés… ou ignorés (Duru-Bellat & Jarousse, 2001, p. 104).

Le recours aux acquis des élèves comme unique indicateur de la qualité du système relève plus de la commodité. Blais (2005) explique cet attrait exclusif par des coûts moindres et une mise en place rapide.

b) Des critiques quant à la réception de ces politiques par les acteurs de terrain. L’évaluation des politiques éducatives comme processus top-down ne serait que peu efficace, car elle est davantage perçue par les acteurs de terrain comme un contrôle qui remet en cause leur autonomie. Leur portée sur le terrain resterait alors faible (Duru-Bellat & Jarousse, 2001 ; Suchaut, 1998). Elle serait même la cause d’une certaine « déprofessionnalisation » des enseignants (Mons & Durpiez, 2010 ; Maroy & Cattonar, 2002). En effet, ces politiques engagent un glissement de la responsabilité de l’Etat vers celle des écoles et/ou des enseignants.

« […] les évaluations de l’efficacité des écoles sont parfois utilisées de manière très offensive dans le cadre de véritables campagnes de dénonciation qui condamnent les écoles plus qu’elles ne les aident » (Duru-Bellat & Jarousse, 2001, p. 107).

c) Des critiques quant à l’efficacité de ces politiques. Pour certains chercheurs, certaines politiques d’accountability ne seraient pas une avancée pour les systèmes éducatifs. Des recherches ont démontré qu’elles ne contribuent ni à améliorer la performance des élèves (Linn, 2000 ; McDonnell, 1994), ni à réduire les inégalités (Mons, 2013 ; Berliner & Nichols, 2007). Par contre, d’autres chercheurs identifient des liens entre politiques d’accountability

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dures et amélioration des performances (Hanushek & Raymond, 2004) et/ou réduction des inégalités (Carnoy & Loeb, 2002).

d) Des critiques concernant les enquêtes internationales. Certains chercheurs émettent des critiques au sujet des enquêtes internationales sur le plan méthodologique mais aussi sur celui de leur exploitation par les médias et la politique. Premièrement, le caractère quantitatif de ces enquêtes ne permet pas d’observer l’élève dans son ensemble. De plus, la fiabilité des résultats est parfois remise en cause. Des biais sont observés dans le choix des items et l’échantillonnage des tests, dans la traduction des items et les biais culturels. Aussi, la comparaison entre les systèmes éducatifs paraît parfois peu pertinentes, en lien avec leurs caractéristiques très diverses. Deuxièmement, les chercheurs mettent en garde contre l’exploitation parfois erronée ou malintentionnée de ces enquêtes : les résultats et les palmarès sont parfois trop simplifiés, ne prenant pas en compte des marges de fiabilité statistique. Finalement, le coût de ces enquêtes à large spectre est souvent relevé comme trop élevé, mobilisant les budgets de recherche des pays. (Mons, 2007a, 2008 ; Monseur & Demeuse, 2004 ; Normand, 2005). Aussi, ces épreuves internationales, dû à leur caractère trop macro, n’affectent que très peu les enseignants dans leur classe. Ceux-ci n’y prêtent que très peu d’attention (Lafontaine et al., 2009).

e) Des critiques quant aux effets indésirables et néfastes de ces politiques. Finalement, ces politiques, par le biais des évaluations externes, ont des effets indésirables et néfastes sur les acteurs de terrains10.

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4. Développement et usage de l’évaluation externe dans différents

contextes

Après avoir présenté les différents usages de l’évaluation externe des acquis des élèves et les raisons de son développement, la présente partie a pour objet d’en donner quelques illustrations dans différents contextes nord-américains et européens. Le cas de la Suisse est présenté dans une partie indépendante (chapitre 2). Pour des informations sur d’autres pays, nous renvoyons le lecteur aux synthèses de Soussi & Nidegger (2012) ou Looney (2009).