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B) Le contrôle du constituant pouvant compromettre le

2. LE SOULEVEMENT DU VOILE FIDUCIAIRE

2.2 Les conditions d’application du soulèvement du voile

Pour donner ouverture au soulèvement du voile corporatif, il importe que certains critères soient rencontrés. Ainsi, la théorie du soulèvement du voile corporatif vise à sanctionner un acte commis de mauvaise foi, par une compagnie avec laquelle son actionnaire présente des liens si étroits et un tel contrôle, qu’on peut considérer qu’elle est son alter ego, ou vice-versa.

En premier lieu, la personnalité morale doit être invoquée pour « masquer » certains abus. Comme le soulignent les auteurs Stéphane Rousseau et Nadia Smaïli, cette manipulation de la personnalité morale peut revêtir deux formes:

« [E]n premier lieu, l’article 317 C.c.Q. s’intéresse à l’actionnaire qui manipule la personnalité morale pour légitimer une fraude, un abus de droit ou une dérogation à l’ordre public. Dans un tel cas, l’actionnaire se sert de la société comme d’une façade afin de camoufler ses agissements personnels. Il fait commettre à la société un acte qui est légitime de prime abord, mais qui revêt, parce qu’il « la contrôle et bénéficie de cet acte, un caractère frauduleux, abusif ou contraire à l’ordre public ». Autrement dit, n’eût été de la personnalité morale qui est interposée, « l’acte ou l’omission en cause serait fautif ».

322 P. MARTEL, Le « voile corporatif » - l’attitude des tribunaux face à l’article 317 du Code civil du

Québec, (1998) 58 R. du B. 95, 33. Voir aussi S. ROUSSEAU et N. SMAÏLI, préc., note 316, 837.

323 Caporicci c. Calzaturificio Sirio S.R.L., J.E.99-2098 (C.A.). 324 Lanoue c. Brasserie Labatt Ltée, J.E.99-857 (C.A.).

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En second lieu, l’emploi du verbe « masquer » permet de réprimer une autre forme de manipulation de la personnalité morale où l’actionnaire se sert de la société comme d’un intermédiaire pour commettre une fraude, un abus de droit ou une dérogation à une règle d’ordre public sans encourir de responsabilité personnelle »325.

Aux termes du libellé de l’article 317 C.c.Q., ces abus ainsi masqués devront ainsi revêtir la forme d’une fraude, d’une contravention à l’ordre public ou d’un abus de droit.

2.2.1 L’acte accompli pour masquer un acte commis de mauvaise foi

Le premier type d’acte sanctionné par l’article 317 C.c.Q. est celui qui se qualifie de fraude. Comme le souligne le professeur Paul Martel :

« [L]e mot « fraude » vise vraisemblablement la fraude au sens du Code criminel, soit le fait par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif de frustrer le public ou toute personne, déterminée ou non, d’un bien ou d’argent, mais comme il est utilisé dans le Code civil du Québec, il ne requiert pas d’accusation aussi extrême ou de condamnation criminelle ; il couvre assurément l’«acte accompli de mauvaise foi avec l’intention de porter atteinte aux droits ou aux intérêts d’autrui ou d’échapper à l’application d’une loi »(Nos soulignements)326.

Le second type d’acte sanctionné par l’article 317 C.c.Q. est celui qui se qualifie d’abus de droit. Comme le souligne le professeur Paul Martel :

« [Q]uant aux mots « abus de droit », cette expression a une portée encore incertaine, et ne reflète probablement pas le droit antérieur en matière de voile « corporatif ». À la lumière de l’article 7 du Code civil du Québec, on peut présumer que l’abus de droit vise le fait d’exercer ses droits de manière à causer délibérément ou malicieusement un préjudice à autrui, ou d’une manière excessive et déraisonnable et contraire à la bonne foi »327.

La troisième situation visée par l’article 317 C.c.Q. est celle qui comporte une contravention à l’ordre public. Comme le souligne le professeur Paul Martel :

« [Q]uant à l’expression « une contravention à une règle intéressant l’ordre public », elle vise, notamment, nous informe le ministre de la Justice, « des contraventions à la règlementation en matière d’environnement, de sécurité

325 S. ROUSSEAU et N. SMAÏLI, préc., note 316, p. 829. 326 P. MARTEL, préc., note 320, p. 1-75.

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publique, de communications ou de services d’utilité publique ». Il s’agit en fait de contraventions à des règles juridiques à caractère impératif et auxquelles il ne peut être dérogé par contravention, dont celles énoncées dans les lois sur l’organisation de l’État, les lois administratives et fiscales, les lois d’organisation des ordres professionnels, les lois pénales, les lois du travail et les chartes des droits et libertés. Ceci codifie une autre série des exceptions jurisprudentielles susmentionnées, soit l’utilisation de la société comme écran pour masquer une contravention à une prohibition d’ordre public »328.

2.2.2 La théorie de l’alter ego

Une fois qu’il est démontré que la compagnie sert à masquer certains agissements en faisant office de façade ou d’intermédiaire, la notion de contrôle effectif de la compagnie entrera en jeu. Comme le soulignent les professeurs Stéphane Rousseau et Nadia Smaïli, « ce n’est que lorsque l’actionnaire pourra être qualifié d’« alter ego » ou d’« âme dirigeante » de la société qu’il sera possible de rechercher sa responsabilité pour avoir commis une fraude, un abus de droit ou une dérogation à une règle d’ordre public »329.

Cette notion d’alter ego réfère à une société si intimement liée à son actionnaire qu’elle n’est en quelque sorte que le prolongement de celui-ci ou « son reflet »330. Ainsi :

« [L]’élément central de l’application de cette théorie consiste en la qualification de la relation qui existe entre l’actionnaire et la compagnie. Pour qu’un actionnaire sot l’alter ego d’une société, il est nécessaire de démontrer que ces derniers ne sont pas des personnes distinctes en raison des liens de droit qui les unissent. Aux fins de la détermination de l’existence d’une telle relation, le critère le plus important à considérer est celui de la domination de la personne morale par l’actionnaire. Deux critères sont utilisés pour appliquer la théorie de l’identification dans le contexte de l’article 317 C.c.Q. : le contrôle de l’actif et le contrôle légal. Le premier type de contrôle réside dans le pouvoir d’influer de manière effective sur l’utilisation de l’actif de la compagnie par la prise de décision quant à la conduite de ses affaires. Il requiert que l’actionnaire, ou le groupe d’actionnaires, exerce des fonctions de direction qui relèvent du conseil d’administration. Le second type de contrôle, le contrôle légal de la compagnie, se réfère au pouvoir qu’exercent indirectement les actionnaires sur l’administration des affaires de la compagnie par l’entremise de leur droit de vote»331.

328 Id.

329 S. ROUSSEAU et N. SMAÏLI, préc., note 316, p. 831.

330 P. MARTEL, préc., note 320, p. 1-90.1; Buanderie Centrale de Montréal c. Montréal, [1994] 3 R.C.S.

29, p.48.

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Soulignons toutefois que la simple présence d’un alter ego n’est pas suffisante pour soulever le voile corporatif. Encore faut-il que cet actionnaire utilise la personnalité morale dans le but de commettre une fraude, un abus de droit ou pour contourner l’application d’une règle d’ordre public332.