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Comme il a été mentionné précédemment, la méta-analyse de Palke et de ses collègues (2014) offre un portrait limité des retombées associées aux classes non mixtes formées au sein d’écoles coéducationnelles ainsi que du climat d’apprentissage pouvant s’y développer. Certaines études récentes ont visé à documenter ces thèmes. L’étude du contexte organisationnel dans lequel se déroule la mise en œuvre des initiatives d’enseignement non mixte s’avère également pertinente puisque celui-ci a été reconnu comme un facteur explicatif important des fortes variations dans les retombées associées aux classes unisexes (Strain, 2013; Stotsky et Denny, 2012).

Quelles sont les retombées de la non-mixité sur l’expérience de la vie en classe?

Plusieurs études récentes rendent compte des perceptions entretenues par les élèves et le personnel scolaire au sujet de leurs expériences de classe en contexte unisexe. Dans la majorité des études recensées, certains bénéfices reviennent couramment. Par exemple, les adolescents des deux sexes rapportent généralement une diminution du nombre de distractions, de la pression et de la gêne associés à la présence des membres de l’autre sexe. Ils mentionnent également que leurs enseignants peuvent passer plus de temps à parler des sujets qui les intéressent.

En effet, les classes de filles seraient perçues par plusieurs participantes comme offrant un climat d’apprentissage plus serein, facilitant la concentration et réduisant les pertes de temps liées à la discipline (Hart, 2016). De leur côté, d’autres participants disent percevoir les classes de garçons comme plus encourageantes et y recevoir davantage d’attention (Younger et Warrington, 2006). Cela dit, on remarque que les classes de filles sont généralement appréciées par une plus grande proportion d’élèves et d’enseignants que les classes de garçons (Crawford-Ferre et Wiest, 2013).

Les classes de garçons ont aussi été décrites comme étant plaisantes par certains enseignants, mais surtout dans le cadre d’activités non orientées vers les tâches pédagogiques (Martino et autres, 2005; Parker et Rennie, 2002). Plusieurs enseignants disent percevoir les classes de garçons comme plus difficiles à gérer, indiquant que le niveau d’énergie y est plus élevé et que les garçons peuvent se montrer agressifs entre eux (Grandville, 2012; Williams, 2016). Cependant, les classes de filles peuvent aussi présenter leurs propres défis sous la forme d’un désengagement subtil et silencieux ou d’une exacerbation des bavardages et des « problèmes relationnels de filles » (bitching) (Goodkind, 2013; Hart, 2016; Younger et Warrington, 2006). Certaines recherches ont également révélé une préférence pour les classes mixtes chez les garçons, car ils peuvent s’y concentrer davantage et les filles s’y montrent plus collaboratives (Hoffman et autres,

2008). Plusieurs enseignants percevraient d’ailleurs le climat éducatif des classes coéducationnelles comme plus « équilibré » (Goodkind, 2013).

Le développement de relations aidantes entre les élèves de même sexe a été indiqué comme un avantage de l’enseignement non mixte. À ce sujet, Dijkstra et Berger (2018) ont montré que les relations d’amitié au début de l’adolescence se développent très similairement au sein de classes unisexes et de classes coéducationnelles. Cependant, selon une étude de Ko et de ses collègues (2015), les filles accorderaient plus d’importance à l’établissement de relations intimes en classe mixte, tandis que les garçons rechercheraient davantage d’intimité dans les relations qu’ils établissent en classe non mixte. Le désir de former des liens profonds, qui s’accompagne généralement d’une plus grande influence sur les comportements, pourrait contribuer à expliquer comment les classes de garçons peuvent présenter rapidement un climat éducatif fortement constructif ou dissipé.

L’école coéducationnelle offre évidemment plus de possibilités en ce qui a trait à la socialisation avec les membres de l’autre sexe, pouvant conduire à une plus grande collaboration comme à une exacerbation de certaines conduites mésadaptées (Bréau et autres, 2016). L’établissement de classes unisexes dans des écoles secondaires mixtes présenterait cependant des défis particuliers, comme une augmentation du nombre de comportements inappropriés (flirts ou attouchements) en dehors des heures de cours ainsi qu’une absence de motifs scolaires « légitimes » pour la socialisation, ce qui encourageait l’interprétation de toute conversation entre garçons et filles comme une tentative de rapprochement sexué (Goodkind, 2013).

Finalement, certains chercheurs rapportent que, même lorsque les élèves apprécient l’ambiance de leurs classes unisexes, plusieurs sont d’avis qu’il n’est pas nécessaire de changer l’organisation sexuée des autres cours de leur programme (Younger et Warrington, 2006). De plus, lorsque des classes séparées sont instaurées avec l’intention d’aider les élèves d’un sexe en particulier, elles peuvent donner lieu à des inégalités qui suscitent du ressentiment chez les autres élèves (Smithers et Robinson, 2006).

En somme, il ne faut pas oublier que la plupart des études sur la non-mixité en classe ont visé particulièrement à mettre en valeur les différences avec l’expérience de la mixité. Cela dit, de nombreuses similitudes existent également. Il ressort des études recensées que, malgré certains contrepoints, les perceptions moyennes des élèves évoluant en contexte non mixte sont généralement positives. Au Québec, les études sur le climat scolaire et la violence dans les écoles primaires et secondaires menées par Beaumont et ses collègues (2016) permettent de faire les mêmes constats globaux pour les écoles coéducationnelles.

La composition sexuée des classes influence-t-elle les performances des élèves?

Le principal constat découlant d’études récentes menées dans le contexte des classes non mixtes formées au sein d’écoles coéducationnelles est que la faiblesse des écarts moyens observés cache des retombées hétérogènes, allant de retombées positives à des conséquences problématiques. En effet, certaines recherches ont révélé de meilleures performances uniquement pour certaines matières (Mulholland et autres, 2004; Pennington et autres, 2018; Van de Gaer et autres, 2004) ou pour les classes d’un certain niveau scolaire parmi d’autres (Wimberley English, 2014). D’autres recherches ont permis d’observer des retombées différentes entre les élèves des deux sexes (Mulholland et autres, 2004; Strain, 2013; Pennington et autres, 2018). Comme l’expliquent Younger et Warrington (2006), c’est principalement dans les écoles qui ont choisi de mettre en place de multiples mesures pour améliorer la réussite des élèves que des effets positifs ont été observés conjointement avec la séparation des sexes.

Les effets sur les garçons et les filles de la composition sexuée des classes ont également été étudiés en contexte de mixité. Chez les jeunes enfants, le fait d’être placé dans un groupe comprenant une forte proportion de garçons serait associé à une progression moindre sur le plan des habiletés cognitives pour les garçons uniquement (Moller et autres, 2008). Pahlke et ses collègues (2013) rapportent qu’au début du primaire, la présence de filles en classe aurait un léger effet positif sur l’amélioration des performances en lecture et des habiletés sociales des élèves des deux sexes. En ce qui concerne le secondaire, van Hek et ses collègues (2018) ont montré que les performances en lecture étaient positivement influencées par le fait d’étudier dans une école présentant une proportion de filles de 60 % ou plus, et ce, plus particulièrement pour les garçons.

L’importance de la composition sexuée des classes devrait toutefois être interprétée avec précaution. D’une part, on ne peut pas affirmer que l’absence des garçons en classe a exercé une influence constante sur les performances scolaires des élèves. Par exemple, l’étude de Pahlke et de ses collègues (2013), mentionnée précédemment, montre que, dans les classes ne présentant pas de problèmes comportementaux, l’effet de la composition sexuée s’efface, c’est-à-dire que la présence d’une plus grande proportion de filles n’offre aucun avantage.

D’autre part, il serait également difficile d’affirmer que la présence des filles favorise activement la réussite des garçons. Van Hek et ses collègues (2018) de même que Brutsaert et Van Houtte (2004) mentionnent plutôt des effets indirects comme une augmentation du temps disponible pour l’enseignement ou une amélioration du climat éducatif général profitant aux élèves des deux sexes. Ainsi, d’autres interventions que la modification de la composition sexuée des classes pourraient être mises en place dans les

écoles pour assurer la réussite des élèves. De plus, certains enseignants ou équipes-écoles semblent avoir plus de facilité que d’autres à assurer la réussite des élèves, quelle que soit l’organisation sexuée de la classe.

Comment les initiatives d’enseignement unisexe sont-elles généralement instaurées? En l’absence d’effets marqués sur les performances scolaires, aucune période-clé pour l’implantation de classes non mixtes n’est mentionnée dans la littérature scientifique. La popularité de certaines explications s’appuierait toutefois sur le parcours développemental des élèves (Ibanez, 2011). Ainsi, les classes non mixtes au primaire seraient mises en œuvre avant tout en raison de la perception de différences de maturation entre les jeunes des deux sexes. Au niveau intermédiaire (middle school), la non-mixité permettrait d’éviter les distractions liées à la naissance d’un intérêt pour les membres de l’autre sexe. Finalement, les classes non mixtes au secondaire viseraient en plus à maintenir l’engagement des élèves et à développer des attitudes pro-académiques. Un frein important à une meilleure compréhension des retombées de l’enseignement en classe unisexe est sans contredit l’abandon de nombreuses initiatives après quelques années seulement (Reddick Pilson, 2013; Smithers et Robinson, 2006; Younger et autres, 2005). Aucune étude recensée ne porte particulièrement sur les motifs d’abandon de l’enseignement séparé. Cependant, Greig (2011) relate, au sujet d’une initiative d’enseignement non mixte menée dans une école primaire canadienne, qu’à la suite d’une restructuration organisationnelle, les enseignants n’ont pas cherché à maintenir ce programme en raison du comportement observé chez les garçons en classe unisexe et de l’élargissement de l’écart de performance entre les sexes.

De plus, une récente étude menée par Spielhagen (2011) rend compte de l’évolution des perceptions d’enseignants de niveau intermédiaire (middle school) dans le cadre de la mise en œuvre de classes unisexes dans des écoles d’un district américain. Cette chercheuse rapporte qu’au début de l’année scolaire, une majorité d’enseignants avaient confiance dans les avantages attendus de l’enseignement séparé. À la fin de l’année, seule la moitié d’entre eux croyaient toujours qu’il est plus facile d’enseigner en classe unisexe et que les filles y participent davantage, et seul le quart des enseignants étaient toujours d’avis que les problèmes de discipline sont moins présents en classe non mixte et que les garçons s’y conduisent mieux.

Dans une rare étude sur le leadership scolaire, Fabes et ses collègues (2015) ont documenté les perceptions de plus de 250 directeurs d’écoles publiques américaines selon qu’ils aient choisi ou non d’expérimenter la mise en œuvre de classes unisexes. Les raisons le plus fréquemment mentionnées par les directeurs ayant choisi l’enseignement non mixte touchent notamment l’amélioration de la réussite et de la conduite des élèves.

Plusieurs ajoutent avoir perçu une pression de la part d’enseignants, de parents ou d’administrateurs scolaires souhaitant que des actions correctives soient entreprises pour assurer la réussite des élèves (Fabes et autres, 2015; Younger et Warrington, 2006). De plus, plusieurs directeurs ont rapporté qu’il était difficile de maintenir ce programme en raison du défi logistique que représente le fait de permettre aux parents de choisir entre les deux contextes éducatifs (Crawford-Ferre et Wiest, 2013; Fabes et autres, 2015). Un thème important abordé par Fabes et ses collègues (2015) concerne la formation reçue dans le cadre de l’implantation de l’enseignement unisexe. Ces auteurs rapportent que plus de la moitié des directeurs interrogés ont fait la lecture d’ouvrages populaires sur l’éducation non mixte et assisté à des séances de formation. Plusieurs ont aussi dit avoir embauché un consultant spécialisé et fourni de la formation aux enseignants (conférences ou ateliers). D’autres recherches font également état de la nécessité d’une bonne préparation des enseignants (Hart, 2016; Crawford-Ferre et Wiest, 2013; Spielhagen, 2011) et d’un soutien accru de la part de l’administration scolaire (Duffina, 2015; Granville, 2012).

Allant dans le sens inverse, le passage de l’enseignement unisexe à l’enseignement coéducationnel peut également s’avérer ardu (Dustmann et autres, 2017) ou favorable (Guest, 2014; Yates, 2011) pour les élèves et les enseignants. Guest (2014) a recensé les motifs ayant conduit plusieurs écoles privées unisexes anglaises et australiennes à adopter un modèle de fonctionnement coéducationnel. Cet auteur a constaté qu’un élément déclencheur d’ordre financier est généralement présent, de même que des croyances positives dans les apports de la mixité à l’école. Cependant, les administrateurs et enseignants interrogés n’auraient pas tendance à attribuer à la composition sexuée des classes une influence sur les performances des élèves.

Finalement, plusieurs chercheurs ont cherché à mieux guider les directions d’école envisageant l’implantation d’initiatives d’enseignement non mixte (Bracey, 2006; Crosswell et Hunter, 2012; Ibanez, 2011; Erling et O’Reilly, 2009). Leurs préoccupations peuvent être synthétisées en six principales interrogations :

1. Quels sont les buts poursuivis par cette initiative?

2. Comment l’enseignement non mixte pourra-t-il permettre d’atteindre ces buts et s’agit-il de la seule façon d’y parvenir?

3. Quels sont les inconvénients ou les désavantages associés à la mise en œuvre de cette initiative?

4. Est-ce que les parents et les enseignants ont une pleine compréhension des avantages, des désavantages et des enjeux liés à la mise en œuvre de cette initiative? 5. Comment l’enseignement non mixte sera-t-il implanté (préparation et formation) et

6. Est-ce que les arguments qui seront utilisés pour encourager la mise en œuvre de cette initiative présentent négativement certains groupes d’élèves (par exemple, en donnant l’impression que des groupes ont des « limites naturelles » et doivent « rattraper un retard » ou, au contraire, en laissant supposer que certains groupes n’ont aucun besoin particulier méritant que l’on s’y attarde)?

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