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Les champs de directions et leurs singularités

1.4 Singularités de champs de directions

1.4.1 Les champs de directions et leurs singularités

Géométrie sous-riemannienne, vision et champs de directions. On doit à Hubel et Wiesel [HW62] l’observation que le cortex visuel V1 de certains mammifères est muni de neurones sensibles à la fois aux positions et aux orientations. Ceci signifie l’existence d’une structure sous-jacente aux neurones, dont la sensibilité peut-être représentée par des points de l’espace P T R2 = R2× P1, le fibré des directions du plan. Les connexions préférentielles

entre neurones sensibles aux positions et orientations proches sont ensuite modélisées par une structure sous-riemannienne de contact sur P T R2 [CS06, Pet08]. Il s’agit de la

classique structure engendrée par la base orthonormée (avec β > 0 un paramètre de la distance) X1 =    cos θ sin θ 0   , X2 =    0 0 β   .

Au niveau de l’agencement spatial des neurones dans le cortex visuel, on observe qu’ils ne sont pas répartis selon cette structure mais au contraire selon une structure en colonnes, où deux neurones de même position mais de profondeurs différentes partagent la même sensibilité. Ainsi la répartition des sensibilités aux orientations peut également être modélisée par un champ de directions, une section du fibré des directions de R2, qui

associe à chaque point de R2 une direction dans P1 (voir figure 1.10).

Figure 1.10 – Cartographie des orientations préférentielles du cortex visuel V1 obtenue par imagerie médicale [BZSF97].

Les travaux de cartographie des sensibilités aux orientations mettent en évidence une structure particulière. On observe une haute densité de singularités où toutes les orienta- tions s’accumulent autour d’un point. En outre, deux types de singularités sont repérés, les points d’arrêt et les points triples, correspondant à deux chiralités possibles pour l’or- ganisation des orientations autour d’une singularité.

Champs de directions. On doit à Hopf [Hop03] l’une des premières études des champs de directions et de leurs singularités en dehors de leurs domaines d’application historiques. Il définit un champ de directions comme l’application qui associe à chaque point d’une variété M une droite tangente à M en ce point. Une singularité d’un champ de directions est alors un point de M où l’application n’admet pas de prolongement continu. Cette définition initiale permet tout de même d’étendre la notion d’indice de singularités de

champs de vecteurs au cas de champs de direction. Pour rappel, pour L un champ de directions continu sur un voisinage de p ∈ M , privé de p, l’indice de L en p est un réel quantifiant de la variation d’angle de L en tournant autour de p. Pour X un champ de vecteurs continu et non-singulier en p et C une courbe simple fermée entourant p dans un voisinage suffisamment petit, l’indice admet l’expression

indpL =

1

2πδC∠[X, L],

où l’on note ∠[X, L] l’angle orienté entre X et L (dans [0, π)), et δC∠[X, L] la variation

totale de l’angle entre X et L le long de C. Dans le cas d’un champ de vecteurs continu, l’indice est toujours entier, et dans le cas d’un champ de directions continu sur un voisinage de p privé de p, c’est un demi-entier.

L’étude de Hopf permet l’extension de son théorème liant l’indice totale et la caracté- ristique d’Euler d’une surface.

Théorème 1.4.1 (Poincaré-Hopf). Soit (M, g) une variété riemannienne 2D, orientable et compacte, de caractéristique d’Euler χ(M ), et soit L un champ de directions sur M dont les singularités sont isolées. Soit zL l’ensemble des singularités de L, on a

X

p∈zL

indpL = χ(M ).

Par analogie avec les champs de vecteurs, on emploie une définition alternative plus précise des champs de directions. Soit M une variété de dimension 2. Le fibré des directions P T M est le fibré des droites tangentes à M en tout point, qui peut être obtenu par projectivisation P TpM de l’espace vectoriel TpM en tout p ∈ M . Par analogie avec les

champs de vecteurs, on nomme alors champ de direction sur M une section du fibré P T M . Un champ de directions lisse est alors une section lisse du fibré P T M .

Une conséquence du théorème 1.4.1 sur les champs de vecteurs est qu’un champ de vecteurs continu doit s’annuler au moins une fois sur une variété compacte de caractéris- tique d’Euler non nulle. L’analogue de cette observation pour les champs de directions est qu’il n’existe pas de section continue de P T M si χ(M ) 6= 0. Autrement dit, la définition d’un champ de directions régulier en tant que section du fibré des directions d’une variété réclame l’exclusion a priori de ses singularités de son domaine de définition. C’est cette observation fondamentale qui motive l’introduction des éléments présentés dans la section suivante.

Outil de modélisation. Bien que les champs de directions et leurs singularités soient plus délicats à définir que les champs de vecteurs, leur utilité en tant qu’outil de modé- lisation se justifie par leur apparition dans de nombreux domaines qui vont au delà des structures singulières dans le cortex visuel.

De façon similaire aux courbes intégrales de champs de vecteur, on définit les variétés intégrales d’un champ de directions L sur M comme l’ensemble des courbes feuilletant la variété M et de tangent donné par L en tout point. Les variétés intégrales et leurs singularités sont observables dans plusieurs domaines d’application classiques tels que les empreintes digitales [Pen79, KW87], les cristaux liquides [Cha92, Pro95] et plus ré- cemment l’optimisation de structure [PT08] (cf également la thèse de P. Geoffroy). (Voir figure 1.11.)

(a) Cristaux liquides en phase nématique.

(b) Empreintes digitales. (c) Optimisation de structure avec matériau lattice.

Figure 1.11 – Singularités telles qu’observées dans les cristaux liquides1, les empreintes digitales et optimisation de structure2.

Un élément remarquable traversant ces applications est la prédominance des singula- rités d’indice ±1/2 (cf figure 1.12). Du point de vue de la modélisation géométrique des singularités de champs de directions, cela renvoie aux concepts de stabilité et généricité de l’école de Thom [Tho72], seules des singularités stables face à des petites perturbations peuvent être observées dans la nature.

Directions principales de courbure. Un domaine où les champs de directions et leurs singularités ont longtemps fait l’objet d’un grand intérêt est celui de la géométrie gaussienne des surfaces [Cay63, Por01]. En tout point d’une surface S immergée dans R3, les directions de courbure principales définissent chacune un champ de directions (orthogonaux entre eux). Les ombilics de la surface S sont les points pour lesquels les deux courbures principales sont égales, et correspondent à des singularités des champs de courbure principale (voir figure 1.13).

1. images de singularités de cristaux liquides en phases nématiques gracieusement fournies par S.J. DeCamp.

Cortex visuel Empreintes digitales Cristaux liquides Indice ±1/2

p

r

p

r

Figure 1.12 – Les singularités de champs directions, telles qu’elles apparaissent dans la nature comportent en majorité des singularités d’indice ±1/2.

Figure 1.13 – Variétés intégrales des directions de courbure principales sur un ellipsoïde triaxial. Cette surface possède quatre ombilics correspon- dant toutes à des singularités d’indice 1/2.

Les champs de directions de courbure principale sont munis d’une topologie naturelle donnée par l’immersion α : M → S ⊂ R3. Trois singularités, Lemon, Monstar, Star (cf

[BH77] et la figure 2.14), sont identifiées par Darboux dans [Dar96]. La stabilité structu- relle des singularités (au sens des homéomorphismes entre lignes de champs) est prouvée par Gutierrez et Sotomayor [SG82] (voir également [SG08]).

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