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Les bénéficiaires aux termes d’une faculté d’élire

1. La qualification de tiers-fiduciaire et l’obligation d’agir conjointement

1.1 La qualification de tiers-fiduciaire

1.1.4 L’interprétation du terme bénéficiaire

1.1.4.3 Les bénéficiaires aux termes d’une faculté d’élire

Il est possible, en vertu d’une faculté d’élire prévue dans un acte de fiducie, que l’identité ou la part d’un bénéficiaire soient laissées à la discrétion du constituant, du fiduciaire ou d’un tiers identifié par le constituant. Il est fréquent qu’une telle faculté se retrouve dans l’acte constitutif d’une fiducie entre vifs, notamment dans le cas de celle créée dans le cadre d’un gel successoral. Une telle clause est permise en vertu du premier alinéa de l’article 1282 C.c.Q. qui énonce que le constituant peut se réserver ou conférer au fiduciaire ou à un tiers la faculté d'élire les bénéficiaires ou de déterminer leur part. Cet article poursuit, à son deuxième alinéa, en précisant qu’en cas de fiducie d'utilité sociale, la faculté du fiduciaire d'élire les bénéficiaires et de déterminer leur part se présume. Il se termine en mentionnant qu’en cas de fiducie personnelle ou d'utilité privée, la faculté d'élire ne peut être exercée par le fiduciaire ou le tiers que si la catégorie de personnes parmi lesquelles ils doivent choisir le bénéficiaire est clairement déterminée dans l'acte constitutif.

Appelé à se prononcer sur les droits des bénéficiaires dont la nomination est laissée à la discrétion du constituant, du fiduciaire ou d’un tiers identifié par le constituant, le professeur Brierley s’exprimait comme suit:

« [n]o principle exists according to witch that discretion must be exercised in favor of any one or more specifics postulants. But the appointer is also a trustee [lorsque c’est le cas (n.d.a.)] having an obligation to carry out the trust and may therefore be required to act. »120.

Ainsi, selon l’avis du professeur Brierley, ces personnes devraient être considérées comme de simples postulants ayant l’espoir de se faire élire bénéficiaires.

Nous pouvons donc dire que pour la personne qui fait partie d’un groupe parmi lequel pourra s’exercer la faculté d’élire, il n’y a aucune certitude que le droit sera exercé en sa faveur ni aucun moyen de forcer le détenteur de la faculté à l’exercer en sa faveur. Doit-on alors qualifier de bénéficiaires au sens de l’article 1275 C.c.Q. l’ensemble des bénéficiaires potentiels faisant partie de ce groupe et ainsi priver chacun d’entre eux d’agir à titre de tiers-fiduciaires, sachant et admettant que l’un ou plusieurs d’entre eux pourraient pourtant ne rien recevoir de la fiducie? Nous le croyons121, aussi bien dans le cas où la faculté d’élire donne la possibilité d’identifier les bénéficiaires que dans le cas où elle permet de déterminer la part de ces derniers122.

120 J.E.C. BRIERLEY, « Powers of Appointment in Quebec civil Law », (1992-1993) 95 R. du N., 131 et 245. 121 Jacques BEAULNE, Droit des fiducies, 2e édition, Montréal, Wilson et Lafleur, 2005, par. 195.1.

122 Le professeur Beaulne, préc., note 107, par. 237, p. 223, parle d’un mandat de désignation lorsque la faculté d’élire

permet de déterminer les bénéficiaires et d’un mandat d’attribution lorsqu’elle permet de déterminer les biens à remettre aux bénéficiaires. Voir aussi Germain BRIÈRE, Donations, substitutions et fiducies, Montréal, Wilson et Lafleur Ltée, 1988, no 418, p. 284 et 285.

De plus, même si le deuxième alinéa de l’article 1283 C.c.Q. prévoit que celui qui exerce la faculté d’élire ne peut le faire à son propre avantage, nous savons que l’acte de fiducie pourrait permettre de passer outre cette exigence. Me Diane Bruneau considère, pour sa part, que lorsque l’acte de fiducie accorde une faculté d’élire au fiduciaire et que ce dernier fait partie de la catégorie des bénéficiaires visés, il y a alors dérogation explicite à l’interdiction prévue à l’article précité123. Quant à nous, nous suggérons, à l’instar d’autres auteurs124, d’insérer une clause spécifique à l’acte constitutif de fiducie permettant au détenteur de la faculté d’élire de l’exercer en sa propre faveur.

Il est possible pour le constituant qui s’est réservé la faculté d’élire les bénéficiaires, ou pour le bénéficiaire125 à qui cette faculté a été accordée, d’agir seul dans l’exercice de ce pouvoir. Il est toutefois permis de se demander si le fiduciaire qui est également constituant ou bénéficiaire aura, lui, la possibilité d’exercer seul la faculté d’élire qui lui aura été octroyée. Devons-nous plutôt considérer que, dans ce cas, l’exercice de la faculté d’élire devra se faire dans le respect de l’article 1275 C.c.Q. et exigera la présence d’un tiers-fiduciaire? En référant aux propos du professeur Beaulne à l’effet que cette faculté ne constitue pas un véritable attribut de l’administration des biens et qu’elle demeure donc distincte des autres pouvoirs d’administration qui peuvent être confiés au fiduciaire126, il nous paraît que le fiduciaire détenteur de la faculté d’élire peut l’exercer seul, même s’il a également la qualité de constituant ou de bénéficiaire. Or, si nous retenons qu’il faut éviter, comme nous en reparlerons plus loin127, les situations où le fiduciaire qui est à la fois constituant ou bénéficiaire se retrouve à contrôler de facto la fiducie, il nous paraît quelque peu étonnant de permettre au fiduciaire à qui a été accordé l’exercice de cette faculté d’agir seul et de s’élire bénéficiaire128.

123 D. BRUNEAU, préc., note 86, p. 776.

124 J.E.C. BRIERLEY, préc., note 120, p. 162. Voir aussi Hugo PATENAUDE et Éric PRUD’HOMME, « La fiducie de gel :

une approche pratique », (2001) 1 C. P du N. 3, p. 31.

125 Le professeur Beaulne reconnaît en effet la possibilité que le tiers à qui est accordée la faculté d’élire soit un des

bénéficiaires. Voir J. BEAULNE, préc., note 107, par. 242.1, p. 228.

126 J. BEAULNE, préc., note 107, par. 241, p. 226. 127 Infra, section 1.2.

128 L’analyse de la faculté d’élire et de tout son mécanisme de mise en œuvre pouvant à lui seul faire l’objet d’une étude

complète, nous ne nous attarderons pas davantage sur cette question mais nous trouvions à tout le moins intéressant de la soulever. Pour une étude détaillée sur le sujet, voir J.E.C. BRIERLEY, préc., note 120.