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Les initiations autoritaires faites par le père se sont présentées comme modérant le lien entre la durée des jeux de bataille et les agressions physiques de l’enfant. Lors des analyses post-hoc, bien que les pentes se soient avérées non significatives, la tendance était à l’effet qu’à une fréquence élevée d’initiations autoritaires faites par le père, plus le jeu de bataille dure longtemps, moins l’enfant est évalué par son père comme étant agressif physiquement, alors qu’à une faible fréquence d’initiations autoritaires faites par le père, plus le jeu dure longtemps, plus l’enfant est évalué comme agressif physiquement. Si l’on considère la mesure d’initiations autoritaires du père comme un indice de dominance paternelle, alors ces résultats vont dans le sens des travaux de Flanders et al. (2009, 2010), ces derniers avançant qu’à un niveau élevé de dominance, une fréquence plus élevée de RTP est associée à moins d’agressions physiques chez les enfants et qu’à un faible niveau de dominance, une fréquence plus élevée de RTP est associée à davantage d’agressions physiques chez les enfants. L’appui est toutefois partiel, le lien de modération se retrouvant uniquement pour la durée (et non pour la fréquence) des jeux de bataille dans la présente thèse. De plus, les mesures prises ici se centrent sur les périodes de jeux de bataille, alors que les données de Flanders concernent tous les types de jeux physiques.

Par ailleurs, un père qui fait beaucoup d’initiations autoritaires auprès de son enfant peut être qualifié de dominant seulement si ce dernier ne fait pas autant de ce genre d’initiations. Une fréquence élevée d’initiations autoritaires par le père ne peut pas être considérée comme un équivalent théorique d’un faible niveau de mutualité (i.e., partage inéquitable d’initiations entre le père et l’enfant), puisque cette fréquence ne tient pas compte du partenaire de jeu. De ce point de vue, les résultats des analyses post-hoc entre d’une part un faible niveau de mutualité et un niveau d’agressivité/irritabilité qui augmente avec la durée du jeu et d’autre part, un niveau

élevé d’initiations autoritaires et une fréquence d’agressions physiques qui diminue avec la durée du jeu ne sont pas contradictoires. Bien que les résultats impliquant les agressions physiques semblent davantage étayer les travaux de Paquette et Flanders (à l’effet que la dominance paternelle aide à la régulation de l’agression) que ceux de Lindsey (à l’effet que la synchronie aide à la compétence sociale), la mesure de mutualité présente l’avantage d’être dyadique. Qui plus est, la mesure d’initiations autoritaires ne paraît pas totalement indépendante, celle-ci étant positivement corrélée avec l’indice de mutualité (Tableau VI). Ces deux arguments suggèrent que les résultats liant la mutualité à l’agressivité/irritabilité sont plus solides que ceux liant les initiations autoritaires à l’agression physique.

Il paraît intéressant d’interpréter les différents liens de modération de la thèse à la lumière des travaux qui proposent que l’agression et l’agressivité/irritabilité puissent parfois être des indices de compétence sociale. D’une part, les analyses de modération qui indiquent qu’à un niveau élevé de mutualité, une durée prolongée de jeu de bataille est liée à une meilleure compétence sociale et à une moindre agressivité/irritabilité semblent soutenir la perspective développementale à l’effet que l’agressivité est un construit opposé à la compétence. Par exemple, la littérature présentée dans le contexte théorique de cette thèse, de même que la structure de la principale mesure d’adaptation sociale ici utilisée (le PSA) mettent de l’avant une présumée division entre les « bons » et les « mauvais » comportements, entre la prosocialité et l’antisocialité (p. ex., Bukowski & Abecassis, 2007; Hawley, 2007; Smith, 2007b). D’autre part, les résultats à l’effet que les initiations mutuelles modèrent la relation entre une durée prolongée de jeu et un niveau élevé de compétence sociale, alors que les initiations autoritaires modèrent la relation entre une durée prolongée de jeu et un faible niveau d’agressions physiques paraissent plutôt soutenir la théorie évolutionniste voulant que les agressions sont adaptatives dans certains contextes (p. ex., Hawley, 2002). Par exemple, les travaux de Hawley (2002, 2003) suggérant que les enfants d’âge préscolaire qui savent utiliser à la fois des stratégies coercitives et prosociales (les bistrategic controllers) pour atteindre

leurs objectifs sont plus dominants socialement et plus appréciés par leurs pairs, de même que les données de Pellegrini et Long (2003) indiquant que certains types d’agressions augmentent la popularité auprès du sexe opposé chez les adolescents illustrent que l’agression n’est pas « toute mauvaise ». Des travaux d’orientation développementale (p. ex., Vaughn, Vollenweider, Bost, Azria-Evans, & Snider, 2003; Sutton, Smith, & Swettenham, 1999a) soutiennent également que l’agression est parfois un prédicteur positif de compétence sociale. En somme, la compétence sociale implique fort probablement une capacité à utiliser des comportements agressifs de manière appropriée, en des moments et des contextes opportuns (Smith, 2007b). Des mesures opposant l’agressivité et l’agression à la compétence sociale ne rendent pas compte de cette subtilité. Une mesure de compétition (tenant compte des comportements prosociaux et coercitifs pouvant mener à l’atteinte des buts personnels) aurait peut-être permis une analyse plus fine du rôle de la qualité du jeu de bataille dans l’adaptation sociale des enfants. Il en sera davantage question dans les pistes de recherche future.

Les affects de peur et de colère

Concernant les affects exprimés par l’enfant au cours du jeu de bataille avec son père, la peur a émergé comme une variable d’intérêt dans l’étude de la compétence sociale. La peur est effectivement apparue comme modérant le lien entre la durée du jeu et la compétence sociale, les analyses post-hoc indiquant qu’à un niveau élevé de peur, plus la dyade père-enfant joue longtemps à se batailler, moins les enfants sont évalués par leur éducateur/trice comme étant compétents socialement. Ceci est cohérent avec les théories et les résultats empiriques à l’effet qu’une fine balance entre la peur et le plaisir serait favorable à l’adaptation sociale et au maintien du jeu (Paquette et al., 2010; Sandseter, 2009), la manifestation d’affects négatifs par l’enfant étant liée à des indices d’inadaptation sociale (Barth & Parke, 1993; Carson & Parke, 1996; Isley et al., 1999; LaFrenière & Sroufe, 1985;

Sroufe et al., 1985/1988) et la manifestation d’affects positifs étant liée à des indices de compétence sociale (Carson et al., 1993; Isley et al., 1999; MacDonald, 1987; MacDonald & Parke, 1984).

En ce qui a trait à la colère manifestée par l’enfant durant le jeu de bataille à la maison, rappelons d’abord qu’elle est liée positivement à la fréquence d’agressions physiques telles qu’évaluées par le père, de même qu’avec la durée du jeu de bataille (Tableau VI). De plus, les enfants qui sont observés en train de faire du jeu de bataille avec leur père suffisamment longtemps pour recueillir toutes les mesures pertinentes de qualité du jeu semblent plus agressifs/irritables que les enfants qui font peu ou pas de jeu de bataille au cours de la période d’observation (Tableau IV). De telles corrélations laissaient présager qu’à durée prolongée du jeu, la colère de l’enfant serait une condition liée à l’agressivité. Néanmoins, la colère ne s’est pas révélée significative dans l’analyse du lien de modération entre la durée du jeu et les variables d’adaptation sociale. Cette relation aurait peut-être émergé si l’échantillon avait été plus grand, ou si le jeu avait duré plus longtemps.

En somme, bien que seule la peur soit apparue comme une condition à laquelle un jeu de plus longue durée est lié négatviement à la compétence sociale, il n’est pas exclu que la colère pourrait être une condition à laquelle un jeu prolongé est lié positivement à des variables d’inadaptation telles que l’agressivité/irritabilité ou l’agression physique. Par exemple, dans le cas où le jeu se poursuivrait malgré la manifestation de colère ou de peur par l’enfant, on pourrait soupçonner un manque de sensibilité paternelle aux affects de l’enfant. Cette variable serait alors à considérer comme une condition à laquelle la durée du jeu serait liée négativement à l’adaptation sociale des enfants. Ceci irait d’ailleurs de concert avec les résultats à l’effet qu’à un degré élevé de mutualité, plus les enfants jouent longtemps à se batailler avec leur père, moins ils sont évalués par cette dernière comme étant agressifs/irritables.

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