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CHAPITRE 3 : ÉTUDE DES ÉVALUATIONS NORMATIVES DANS LES CONTES

3.2 L’évaluation des personnages

3.2.4 Les « autres »

Ces « autres », s’ils n’ont pas une influence significative sur le développement du savoir-vivre et du savoir-être des enfants, ont quand même des choses à nous apprendre sur l’idéologie valmorienne. La nourrice, d’abord, n’est ni plus ni moins qu’un substitut

maternel. Les qualificatifs et les savoirs de la mère lui sont attribués et ces derniers doivent être remplis pour qu’elle puisse recevoir une évaluation positive. Dans « La physiologie des poupées », on peut voir la « bonne vieille Suzanne » (CSVF, t.I, p.293) « guid[er] ce petit troupeau dont elle était fière » (CSVF, t.I, p.292) lors d’une promenade avec Monsieur Sarrasin et ses quatre filles. Dans « Le serment des petits Polonais », Paraska dira, en pensant à Léonard : « [M]oi je ne suis que sa nourrice, rien que sa nourrice, une pauvre servante » (CSVF, t.II, p.44). Or dans ce conte, unies dans l’épreuve qu’elles vivent ensemble, « mère et nourrice furent relevées l'une par l'autre, comme se tenant par une fibre mystérieuse des mamelles et des entrailles » (CSVF, t.II, p.55). L’attention que la nourrice porte à l’enfant, ainsi que la proximité qu’elle partage avec celui-ci et les soins qu’elle lui procure font d’elle une personne importante dans sa vie. Toutefois, ses pouvoirs quant à la correction du savoir-vivre et du savoir-être enfantins négatifs sont nuls. Elle n’est donc présente que comme aide-maternelle, sans plus. Sa présence souligne et renforce la valeur des savoirs maternels chez la femme, mais le pouvoir sur l’avenir moral et éthique de l’enfant est et reste entre les mains de la mère.

Les employés, qu’il s’agisse de servantes, de valets ou de jardiniers, sont aussi des personnages très secondaires. Certains, comme les employés du rentier dans « Le sonneur aux portes » sont évalués négativement. Alors qu’il vient de se faire prendre à son propre jeu,

Antony ne rêv[e] pas. Toute son intelligence [est] éveillée par l'air froid et vindicatif des deux domestiques, ses vrais maîtres alors, résolus à le lui prouver

rudement. Ils avaient commencé par lui lier les bras et les jambes, et se disposaient à le descendre à la cave, avec des menaces effrayantes. (CSVF, t.I, p.81).

S’ils sont ainsi dévalués, c’est qu’ils s’apprêtent à châtier l’enfant, alors qu’ils n’ont absolument pas l’autorité pour le faire. Au contraire, d’autres personnages, comme par exemple le jardinier dans « Gino ou le danger des fleurs », est un homme bon parce qu’il prend soin de l’enfant et de la mère en l’absence du père. Et que dire du valet Zolg dans « L’enfant des Champs Élysées » ? Non seulement il est évalué positivement, mais il est un exemple de savoir-vivre et de savoir-être pour Madame de Senne : « Vous êtes un si honnête homme, Zolg, et vous avez si bien rempli votre devoir, que vous me donnez une grande leçon pour remplir les miens » (CSVF, t.I, p.195), dit-elle, les devoirs de Zolg étant, bien entendu, des devoirs de maternage. Ainsi donc, à l’instar des nourrices, les « bons » employés sont ceux qui démontrent de « bons » savoirs parentaux.

Enfin, les derniers personnages dignes d’attention sont ceux qui forment la dichotomie « pauvres/riches ». Essentiellement, les « indigents » sont évalués positivement parce qu’ils sont « les pauvres de Dieu » et méritent l’indulgence et la charité. Aussi, Pater Noster du conte « Le serment des petits Polonais » est quelqu’un de bien. Monsieur Rettel l’associe à « un saint » (CSVF, t.II, p.101) puisqu’il est « la voix de Dieu » (CSVF, t.II, p.100). À l’instar de ce Pater Noster, on retrouve Bon Dieu du conte « Les petits Flamands » qui, selon la narratrice, « représent[e] la prière croyante et qui sait attendre » (CSVF, t.II, p.283). Il est « la fleur des pauvres » (CSVF, t.II, p.282), une « furtive image du Christ » (CSVF, t,II, p.138). Toutefois, tous les pauvres ne sont pas à l’image de Dieu

qui s’est fait homme. Leur possible manque de savoir-vivre leur est par contre aussitôt pardonné et c’est sur leur « état » de pauvre que se situe l’évaluation, et non sur leur savoir- vivre, quel qu’il soit. C’est le cas du pauvre laboureur mendiant, dans « Les petits Flamands », qui « dit des gros mots » (CSVF, t.II, p.280) contre Madame Aldenhoff « [p]arce que c’est son droit » (CSVF, t.II, p.280), dit la grand-mère à sa petite fille, mais en ajoutant : « S’il en abuse, cela le regarde plus que nous. Moi, je sais qu’il est pauvre et qu’il se trompe en nous croyant riches. C’est donc moi qui lui dois du respect. Nous ne sommes pas sur le chemin des affligés pour les aigrir contre leur mauvais sort, mais pour les y aider » (CSVF, t.II, p.280-282). Les plus démunis sont présents dans les Contes pour insister sur la charité (l’aumône) et sur l’indulgence due à ceux qui sont rejetés par la société. Ces valeurs semblent chères à Desbordes-Valmore puisqu’il s’agit d’un thème récurrent dans l’ensemble du recueil et cette disposition à aider les autres en difficulté est un savoir-être souhaitable à tous les personnages des Contes, adultes et enfants. Par ce thème, elle met en place un savoir-être élargi, un savoir-être qui va au-delà de la sphère privée (la famille) et qui s’étend à tous les êtres vivants, car « [i]l n'y a créature si petite ni si abjecte qui ne représente la bonté du Créateur, et chaque mouche a son ombre155 ». En ce qui concerne les « riches », l’évaluation de leur savoir-vivre n’est pas aussi automatique. S’ils sont charitables, donc s’ils présentent un savoir-être positif, ils seront évalués positivement. C’est le cas de Monsieur Amaury, le grand-père de Gustave, qui a donné à son petit fils, en guise d’étrennes « quatre pièces de cinq francs, c'est-à-dire d'une fortune colossale » (CSVF, t.I, p.162). Or, comme « [s]on grand-père avait plus d’empire sur lui

que tous ses maîtres » (CSVF, t.I, p.163-164), Gustave utilisera ses étrennes pour faire la charité à trois enfants pauvres, auxquels il achètera des jouets et des bonnets. D’ailleurs, on peut lire à la fin du conte que ce « bon papa » (CSVF, t.I, p.174) a gardé « l'adresse […] de l'humble mère aux trois fils. Leur poignante infortune l'avait profondément touché. Il pensait, avec raison sans doute, que la Providence les avait envoyés à son petit-fils comme à lui-même, afin de les secourir utilement, et il n'avait pas voulu perdre leur trace » (CSVF, t.I, p.175). Cet homme riche est généreux. Par contre, s’ils sont avares, les riches seront évalués négativement. On compte parmi eux le grand-père de Ferdinand, dans « Les petits Flamands », qui est « l’avare possesseur de la maison habitée par la famille Aldenhoff » (CSVF, t.II, p.131). Ce grand-père, nous dit la narratrice, « pass[e], dans la paroisse, pour un Harpagon» (CSVF, t.II, p.132). Ces personnages seront vus comme des « pauvres riches », à savoir des gens argentés mais sans cœur. Sachant que, pour Desbordes-Valmore, la richesse la plus importante est celle du cœur, tous les personnages, quels que soient leurs revenus, devront présenter ce savoir si important chez elle, c’est-à-dire le savoir-être qui est au cœur du don de soi et du mouvement de secours à ceux et celles qui en ont le plus besoin.

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