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APPROCHE CONTRASTIVE

3.2. LES ANTHROPONYMES A NOTORIETE

L’un des premiers critères à prendre en compte en ce qui concerne les noms propres, c’est leur authenticité. Dans le cas de GSV, les noms propres authentiques

permettent d’ancrer le roman dans la réalité locale du sertão, étant donné que tous viennent de cette région, entre le Minas Gerais et Bahia. Mais, en plus de donner une touche de réalisme à l’histoire, ils chargent de sens les personnages fictifs, en les « contaminant », c’est-à-dire, en transposant les sèmes qu’ils contiennent dans les personnages de même catégorie. Ainsi, les colonels fictifs vont contenir, comme les réels, les sèmes /militaire/ et /officier/, mais aussi les sèmes /politique/, /homme politique/, /puissant/, ainsi que /protecteur/ dans leur relation avec les jagunços. Quant à eux, ils possèderont les sèmes /guerre/, /lutte/, /loyauté/, /héros/.

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Cependant, ces personnages authentiques ne sont pas assez connus pour que le lecteur français ait entendu parler d’eux. Le traducteur se trouve alors face à une

perte de vraisemblance et de sens, d’autant plus lorsque le lecteur ne connaît pas le

fonctionnement politique du Brésil à cette période. En effet, il est difficile pour un

Français d’appréhender ce lien entre agriculture, armée et politique, de comprendre

que le fazendeiro est aussi un colonel, jouant en plus un rôle dans le système politique local. Il doit aussi cerner ce qu’est un jagunço, sa relation avec les colonels, à quel point ils sont liés les uns avec les autres. Ainsi, le Brésil a connu plusieurs

groupes d’hommes armés, comme les cangaceiros, les capangas, les pistoleiros et les

jagunços, chacun ayant des caractéristiques bien distinctes. Ces informations sont importantes pour que le lecteur étranger puisse comprendre ce qui se passe réellement dans le roman et ce qui fait partie de la culture du Brésil de l’époque. Pour remédier à ce problème, Villard écrit une note du traducteur en préface, situant Riobaldo dans le contexte du sertão, en le décrivant et en expliquant qui étaient les jagunços, ce qui les poussait à entrer dans cette vie de lutte, comment ils étaient organisés et où ils agissaient (Rosa, 1965 : 9). Mais il ne parle absolument pas des colonels et de leur rôle. Lapouge-Petorelli, elle, propose dans son glossaire un court texte sur les jagunços, dans lequel elle montre le rôle des colonels et des jagunços et les liens existants entre eux. (Rosa, 1991 : 628).

Les deux traducteurs ont laissé les noms des personnages qui ont réellement existé dans leur forme originale. Cependant, aucun des deux ne les a identifiés pour le lecteur français et d’autres personnages fictifs ont gardé leur nom original. Il n’y a

pas de note en bas de page, ils n’apparaissent pas dans le glossaire de Lapouge- Petorelli, aucune mention n’est faite sur leur authenticité. La perte de sens et de réalisme n’est alors compensée d’aucune manière. Le seul sur lequel la deuxième

traductrice a écrit une note est Prestes, ce qui peut paraître étonnant puisque, bien

qu’il soit un personnage historique important pour l’histoire du Brésil, il n’est mentionné qu’une unique fois dans le roman, sans être particulièrement mis en

valeur :

Les insurgés sont passés par ici après, les soldats de Prestes, ils venaient de Goïas. (Rosa, 1991 : 114-115)101

101 Os revoltosos depois passaram por aqui, soldados de Prestes, vinham de Goiás. (Rosa, 2006 :

58 Villard n’a même pas conservé cette référence dans sa version :

Après les insurgés sont arrivés par ici, venus du Goias. (Rosa, 1965 : 76)

Selon Aguiar, la note de Lapouge-Petorelli peut se justifier par une affinité politique de la traductrice avec le protagoniste de la Colonne Prestes, communiste, décédé un an avant la publication de Diadorim, le GSV français (Aguiar, 2010 : 166- 167). De fait, d’autres personnages auraientt dû faire l’objet d’une note, ayant un rôle important dans le récit, comme par exemple Antônio Dó et Indalécio Gomes Perreira, qui sont cités à plusieurs reprises dans le roman et que Riobaldo affirme avoir côtoyés. La traductrice souligne, dans sa note, son désir de faire primer les

aspects poétique et mythique du texte sur la réalité, ce qui peut justifier l’absence d’identification des personnages réels. Cependant, les caractéristiques de ces

personnages et leur histoire permettent de charger le texte de sens et de poésie.

Par ailleurs, nous avons vu que certains personnages authentiques contenaient dans leur nom des sèmes importants en contexte : c’est le cas par exemple de Maria da Cruz et de Pedro Cardoso, dont les noms renvoient à la religion chrétienne. Ces

deux personnages sont, comme nous l’avons vu, associés au personnage fictif Titão

Passos. Les traducteurs, n’ayant pas mis en valeur leur réalité, aurait pu traduire leur

nom pour qu’ils contiennent les mêmes sèmes pour le lecteur français. Le nom

« João Duque » contenant le sème /duc/ par homonymie en français comme en

portugais, ne nécessite pas d’être modifié. Lapouge-Petorelli l’a ainsi laissé comme il

était. Quant à Villard, comme il l’a fait pour Prestes, il l’a omis. D’autres colonels, fictifs ou authentiques, qui possèdent également des caractéristiques positives dans

leur nom peuvent faire l’objet de modification. Ainsi, le nom du lieutenant Reis Leme, en français, ne contient pas les mêmes sèmes qu’en portugais. Il faut donc le

modifier ou le traduire. « Reis » peut devenir par exemple « Roy », et « Leme » pourrait être traduit par « Timon ». Si le traducteur préfère privilégier la sonorité, il doit modifier « Leme », qui en français se prononcerait [lɛm], dans sa forme originale. Les deux traducteurs français ont opté pour le laisser comme il est.

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Le nom Andalécio mériterait lui aussi d’être traduit, afin de contenir le sème

/nomade/, comme en portugais. D’autant plus que Rosa a fait du vrai nom du jagunço

un surnom (cf. 2.2), sûrement pour mettre en valeur son sens. Le morphème « andar » présent dans « Andalécio » doit ainsi être transmis en français. Étymologiquement, « andar » vient du latin ambulāre, qui en français donne « ambuler ». On pourrait donc, par exemple, faire la semi-traduction de « Andalécio » par « Ambulécio ». Comme on le voit, traduire ne veut pas dire simplement franciser, mais donner au mot, pour le lecteur français, un sens proche de

celui qu’il a pour le lecteur portugais.

3.3.

T

RANSMETTRE LA SUGGESTIVITE ET LA COMPLEXITE DES