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Les annotations du manuscrit B de l’Opus prosodiacum

Chapitre 1. Vie et ouvrages de Micon de Saint-Riquier 1.1 Essai de biographie

1.7.3 Les annotations du manuscrit B de l’Opus prosodiacum

Dans l’apparat d’annotations du manuscrit B de l’Opus prosodiacum peuvent être reconnus trois types de notes :

195 Cf. l’édition de WESSNER 1931, ad loc.. La question de l’utilisation effective de cette tradition de scholies de la part de Micon a été déjà traitée dans COSSU 2017, 323-328. Le rapport du florilège avec la tradition de Juvénal en général sera discutée au §8.1.

196 Cf. par exemple Jérome, Hebraicae quaestiones in libro Geneseos (CCSL 72, 45).

197 Notamment dans COSSU 2017, 323.

198 Voir par exemple la situation dans l’un des principaux témoins des scholia vetustiora, le manuscrit Montpellier, Bibliothèque universitaire de médecine, H 125 (= P) f. 52v, où le lemme est justement finxerunt.

- gloses et notes d’intérêt grammatical (ou lexicographique) - gloses d’intérêt métrique et prosodique

- lemmes manqués

En ce qui concerne les annotations grammaticales, nous avons déjà examiné quelques cas particuliers, notamment à propos de Op. pros. 24 et 190-191 pour des considérations sur la grammaire et Op. pros. 3-4 et 48 pour des superpositions avec le glossaire. Nous pouvons compléter ce cadre en ajoutant d’autres exemples.

Micon donne parfois des indications sur les temps verbaux. Cela arrive par exemple pour Op. pros. 75, dont le lemme est commovet, auquel on ajoute le commentaire in praterito

commôvi199. La même situation se présente pour Op. pros. 127, lemme dimovet, annotation in

praeterito dimôvi et pour Op. pros. 148, lemme expavet, note praeteritum epâvi. Et encore, Op. pros. 320, lemme removet, annoté in praeterito remôvi200. Nous trouvons aussi des indications à propos de la conjugaison : associée à Op. pros. 232, même s’il n’y a pas de correspondance de lemme, nous lisons par exemple la note lascivîtis quarta coniugatio est. Ne manquent pas des éclaircissements à propos des déclinaisons : au-dessus du lemme de Op. pros. 339 (saxonus), nous trouvons hoc de secunda declinatione. Tout cela n’est pas en contradiction avec les sections finales du traité grammatical de Micon, qui ne concerne pas uniquement la prosodie.

Le but de ces annotations grammaticales est néanmoins très souvent de nature prosodique. Nous l’avons vu pour les cas des verbes composés de moveo, où il faut montrer que le o, bref au présent, devient long au parfait. Ainsi nous comprenons la raison de la note à

Op. pros. 202, in praesenti intervenit corripitur, qui n'est apparemment associée à aucun lemme

(intervenit est sans doute un lemme manqué). À vouloir être encore plus précis, c’est la majorité des notes qui a des motivations prosodiques. Certaines reprennent la situation montrée pour un lemme : par exemple, dans Op. pros. 192, où on lit un exemplum qui montre que le deuxième i de interlitus est bref, nous lisons justement sic oblitus circumlitus. Ou encore, Op. pros. 221, où l’on montre la prosodie de luteola, on ajoute la note sic unciola. De même pour Op. pros. 382, lemme traduce, note sic et reduce (du verbe reduco) et pour Op. pros. 144, lemme edules, note ita et pedules.

199 Dans le manuscrit B la syllabe longue est indiquée avec un accent circonflexe.

Certains des « lemmes manqués » dévoilent en effet la méthode d’enseignement de Micon, qui se basait aussi sur des règles d’apprentissage de la prosodie connues depuis les grammairiens anciens201. Il fait en effet recours très souvent à la compositio figurae : on trouve certains cas de lemmes composés, même si le mot présent dans le vers associé est « simple », par exemple Op. pros. 86 (lemme concalet - mot calet), Op. pros. 92 (lemme condono - mot

donaret), Op. pros. 103 (lemme conglobo - mot globus). Ce n’est donc pas une surprise si la

majorité des lemmes manqués sont des verbes composés : pour Op. pros. 85 il y a contudit, Op.

pros. 88 concolor, Op. pros. 90 complacet, Op. pros. 91 confrico, Op. pros. 92 contribules etc.

Certes, dans certaines notes la valeur lexicographique est plus claire, comme c'est le cas pour le lemme manqué associé à Op. pros. 229, lapidîcinis, qui est complété par componitur a

caedo, et pour Op. pros. 151 où le lemme esseda est glosé avec genus vehiculi. Encore plus

clairement pour Op. pros. 54-55, les lemmes beronices et borini sont expliqués comme nomen

lapidis et nomen venti. Cependant l’intérêt prosodique est prépondérant, comme dans le lemme

manqué à Op. pros. 262, obsôno, quod est contradico producitur. L’intérêt prosodique se transforme en annotation métrique quand il faut signaler un exemplum qui a une scansion différente de celle de l’hexamètre. Par exemple Op. pros. 20 (metrum saphicum constat ex

troch. spond. dactl. et duobus troch.) ou Op. pros. 240 (metrum iambicum senarium)202. L’aspect le plus intéressant de tout l'apparat d’annotations est, à mon avis, la présence des lemmes manqués. Nous pouvons être surs de leur valeur de lemmes, car il n’est pas rare que Micon associe au lemme un nom d’auteur, dont il fallait évidemment tirer le vers correspondant. Ainsi nous pouvons nommer Op. pros. 67, où avec le mot crocodilon nous lisons

Iuvenalis, Micon se référant sans doute au vers sat. 15, 2 (Aegyptos portenta colat ? Crocodilon adorat). Et encore, Pannonis Lucanus (Op. pros. 295) sans doute pour Luc. 6, 220 (Pannonis haud aliter post ictum saevior ursa) ; Oratius Penelopa (Op. pros. 296), pour Hor. sat. 2, 5, 76

(Penelopam facilis potiori trade. putasne) ; Theodotus Ovidius (Op. pros. 394) peut-être pour Ovid. Ibis 464 (Quam tulit a saevo Theudotus hoste necem).

La présence de ces lemmes peut avoir deux significations : soit il s’agissait de mots déjà présents dans le modèle de Micon et qui attendaient donc d’être tout simplement insérés dans l’Opus prosodiacum avec l’exemplum associé, soit nous avons affaire à des mots dont la prosodie était à vérifier, et dont Micon cherchait un exemple. La vérité pourrait aussi bien se trouver entre ces deux possibilités : Micon a certainement mené un travail de copie et surtout d’organisation alphabétique des matériaux qu’il lisait dans le florilège modèle, toutefois rien

201 Voir le §2.1 de l’Introduction.

n’empêche que pendant ce travail il ait effectué en parallèle un dépouillement de nouvelles sources. Le manuscrit B, au moins en ce qui concerne le texte du florilège prosodique avec son apparat didactique, semble avoir été copié à partir d’un cahier de travail de Micon, un instrument qu’il utilisait sans doute pour ses leçons. Les lemmes notés en marge se situent dans cette perspective.

1.7.4 Le but du florilège prosodique

Passons maintenant à une analyse plus fine des vers cités dans l’Opus prosodiacum. Il n’y a aucun doute que la compilation ait été créée pour des raisons prosodiques, nous l’avons vu. L’objectif de l’apprentissage de la prosodie est atteint à travers plusieurs moyens, non seulement à travers l’organisation tripartite, qui concerne plus proprement la scansion du lemme concerné, mais aussi à travers l’utilisation conjointe et complémentaire du florilège et des autres outils scolaires que Micon avait conçus. Il y a toutefois des expédients qui sont propres au florilège lui-même et ils peuvent être mis en évidence grâce à l’étude approfondie de l’apparat d’annotations présent dans le témoin B. Cet apparat possède une valeur didactique intrinsèque, mais nous pouvons nous focaliser aussi sur certaines modalités de copie qui éclairent encore la méthode de Micon.

Pour commencer, nous remarquerons qu’il y a un certain nombre de vers qui présentent une caractéristique particulière : la ligne du vers est interrompue par des points qui indiquent la division des pieds du mètre concerné. Cela est très clair par exemple dans Op. pros. 403-405, que je transcris dans la forme transmise par B :

Umbilico Nullo . crassior . ut sit . umbi . lico Marcial(is) Secti . podicis . usque ad . umbilicum

Et pru . rit tamen . usque ad . umbilicum

Micon transcrit trois exempla se référant au lemme umbilicus, et comme il ne s’agit pas d’hexamètres, il prend soin de marquer les pieds du mètre avec les points. Il s’agit en effet d’un hendécasyllabe phalécien, comme Micon l'avait aussi indiqué avec une note avant les trois vers transcrits, metrum falleuchum ex pond(eo) [sic] dactil(o) et tribus trocheis203. Les points sont souvent utilisés pour marquer des mètres particuliers, comme c'est le cas pour Op. pros. 21 (hendécasyllabe sapphique), Op. pros. 70 (hexamètre), Op. pros. 201 (dimètre ïambique, avec

203 La forme est toujours celle de B où il y a une erreur, pond(eo) pour spondeo. Je m’étais déjà occupée de ces vers dansCOSSU 2017, 339, avec les autres cas de ce type de « ponctuation » de la part de Micon.

annotation pyrichio clauditur), Op. pros. 241 (choliambe), Op. pros. 272 (hexamètre), Op.

pros. 336 (strophe sapphique, avec scansion métrique), Op. pros. 394-395 (hexamètres). Dans

certains cas, un seul point à l’intérieur du vers indique la césure. Il s’agit probablement d’une habitude propre à l’école de Saint-Riquier : à ma connaissance on peut signaler seulement un autre cas d’une pareille division des pieds des vers et nous le trouvons dans le manuscrit Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Reg. lat. 2078, comme l'a signalé A.-M. Turcan-Verkerk : ces points sont utilisés dans la copie des épitaphes des f. 147v-149et ce ne sera pas un hasard si, dans certains des textes de ce manuscrit, est impliqué le personnage d’Angilbert de Saint-Riquier204.

Une autre preuve de la valeur didactique du florilège, d’ailleurs ouvertement déclarée par Micon, est la disposition des lemmes en ordre alphabétique. De cette manière il est bien plus simple de trouver la prosodie d’un mot qu’on veut apprendre (quod ab amante requiritur) et il s’agit sans doute de la raison pour laquelle le florilège de Micon a eu une diffusion bien plus ample que les autres florilèges prosodiques (qui pourraient relever des besoins particuliers de l’école où ils ont été conçus). La commodité de l’outil ordonné comme cela pourrait cacher toutefois les raisons plus profondes qui ont porté à la sélection des vers. En d’autres termes, mis à part les vers que Micon aurait extraits de sa propre bibliothèque, il est très vraisemblable que les vers de son modèle étaient ordonnés dans des sections reconnaissables, composées d'un nombre de vers plus ou moins ample. Ces sections rassemblaient des exempla concernant des cas particuliers de prosodie, qui, au moins pour Micon, seront forcément dispersés au long du florilège. Un bon exemple est le cas des noms se terminant en –orus, présents à plusieurs reprises dans tous les florilèges prosodiques, cités par Micon dans Op. pros. 90 (Calliodorus),

Op. pros. 182 (Heliodorus), avec une note sic Cassiodorus et Op. pros. 388 (Theodorus)205. L’ordre alphabétique pourrait cacher aussi des traces de classement typologique des lemmes. Cela vaut par exemple pour les mots qui ont trait aux poids et mesures, bien représentés dans les florilèges prosodiques en général : Op. pros. 58 ciatos, Op. pros. 141 eminas et

sextarius Op. pros. 341 et 343 statera. On peut affirmer la même chose pour des mots

concernant les pierres (Op. pros. 18 ametistina ; Op. pros. 54 beronice ; Op. pros. 345 saphirus) et les provenances géographiques (Op. pros. 65-66 pour le mot Cappadocum ; Op. pros. 339

Saxonus). Il s’agit de sections typologiques qui pouvaient sans doute se trouver dans le modèle

de Micon.

204 TURCAN-VERKERK 1999, 227-228. La question sera à approfondir, cf. §8.6.2.

D’autres traces de l’aspect de ce modèle pourraient être entrevues aussi à travers l’ordre alphabétique de l’Opus prosodiacum : il s’agit de la multiplication d’exemples pour un même lemme. C’est un escamotage didactique dont Micon se sert à plusieurs reprises, notamment pour des lemmes dont la prosodie est particulièrement compliquée. Nous avons l’occasion d’observer un cas de ce genre par exemple dans Op. pros. 22-23 (lemme austerus), Op. pros. 120-121 (lemme dirivo), Op. pros. 158-159 (eodem), Op. pros. 241-242 (mulier)206.

À l’aide de toutes ces données et après les avoir croisées avec celles obtenues de l’analyse de tous les autres florilèges prosodiques, on pourra essayer d’établir quel était l’aspect le plus probable du modèle du florilège de Micon. Pour l’instant, contentons-nous de passer à la critique textuelle de l’Opus prosodiacum, qui sera également fondamentale non seulement pour comprendre la structure du florilège et sa transmission, mais aussi pour la définition des rapports avec les autres florilèges et l’éventuel modèle.

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