• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE I. SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE

I. L ES PROCESSUS DE TRANSPORT SEDIMENTAIRES SUR LA PENTE CONTINENTALE

I.2. Les écoulements gravitaires et les dépôts associés

Les processus gravitaires sous-marins correspondent à l’ensemble des processus capables de transporter des sédiments sous l’action principale de la gravité, depuis les plateaux continentaux jusqu’aux plaines abyssales (Middleton et Hampton, 1973). Hormis leur intérêt académique, la compréhension de ces processus présente un intérêt industriel important, notamment sur la prévention des risques naturels et la protection d’ouvrages et d’infrastructures offshore. L’intérêt économique participe à l’étude de ces écoulements puisque les dépôts qui leurs sont associés, et en particulier les chenaux et les lobes sableux, sont de très bons réservoirs pour les hydrocarbures.

Les écoulements à l’origine de l’édification des éventails turbiditiques ont fait l’objet de nombreuses études et classifications (Stow, 1994; Mulder et Cochonat, 1996; Stow et al., 1996; Shanmugam, 2000; Mulder et Alexander, 2001b), la première d’entre-elles ayant été proposées par Middleton et Hampton en 1973. Selon le mode de support des particules, trois mécanismes de transport principaux sont distingués au sein de ces écoulements : 1) les glissements en masse ou instabilités, 2) les écoulements laminaires, et 3) les écoulements turbulents.

I.2.1. Les glissements en masse

Ce type d’écoulement correspond au déplacement de blocs homogènes le long d’une surface de cisaillement plane ou courbe. Les dépôts résultants conservent la structure d’origine des sédiments (stratification), mais sont plus ou moins affectés par des déformations de type translationnelles (slides) ou rotationnelles (slumps).

I.2.2. Les écoulements laminaires

Ces écoulements sont caractérisés par des concentrations importantes en sédiments transportés et une viscosité très élevée, empêchant ainsi le développement de la turbulence. Plusieurs types d’écoulements sont décrits en fonction de la taille et de la concentration des sédiments transportés, de la matrice, et de la présence de fluide : 1) les écoulements hyperconcentrés (Mulder et Alexander, 2001b), 2) les coulées de débris (debris flows ; Coussot et Meunier, 1996), 3) les écoulements granulaires (grain flows), 4) les écoulements fluidisés (fluidized flows), et 5) les écoulements liquéfiés (liquefied flows). Les dépôts associés à ces écoulements présentent généralement des contacts inférieurs et supérieurs très nets, une matrice cohésive argilo-silteuse, un granoclassement inverse des sédiments, et de nombreux éléments hétérogènes (galets mous d’argile, sables, galets, blocs rocheux) dispersés au sein du dépôt.

I.2.3. Les écoulements turbulents

Ces écoulements sont caractérisés par le maintien en suspension des particules par des phénomènes de turbulence au sein d’un fluide ambiant de moindre densité. La concentration des particules au sein de ces écoulements particulaires est très variable mais reste inférieur à 9 % du volume total (Bagnold, 1962). Sous le terme d’écoulements turbulents sont rassemblés :

(1) les courants de turbidité de haute et basse densité (Lowe, 1982) et les bouffées turbides (Ravenne et Beghin, 1983). La séquence turbiditique type ou séquence de Bouma (1962) correspond à la succession verticale de cinq faciès distincts granodécroissants, des sables moyens aux vases (Ta à Te, Figure I-7), enregistrant ainsi la diminution d’énergie d’un courant de turbidité à un endroit donné. Seuls les termes Tb à Te résultent du dépôt d’écoulements turbulents, le terme Ta correspondant à un dépôt d’écoulement concentré

(Mulder et Alexander, 2001b). Dans les années 80, les modèles de Piper (1978), Stow et Shanmugam (1980) et Lowe (1982) viennent affiner et compléter la description des séquences turbiditiques (Figure I-7).

Figure I-7. Description des séquences sédimentaires rencontrées dans les dépôts d’origine turbiditique (d’après Shanmugam, 2000).

(2) les courants hyperpycnaux. Ils sont principalement générés en période de crues à l’embouchure des fleuves lorsque la charge sédimentaire en suspension transportée par l’eau douce est suffisamment élevée pour aboutir à un mélange eau douce/sédiments plus dense que l’eau de mer (Normark et Piper, 1991; Mulder et Syvitski, 1995). Ces courants ont une continuité importante dans le temps et leur dynamique suit celle de la crue du fleuve avec une montée en charge suivie d’une décrue. Cette dynamique particulière s’enregistre parfois au sein des dépôts avec un granoclassement inverse en base de séquences, même s’il arrive fréquemment qu’elles soient tronquées par le pic de crue, et que seul l’enregistrement de la décrue subsiste dans les dépôts. Elles deviennent alors difficilement différentiables des séquences liées à un courant de turbidité s. str. (Mulder et al., 1998; Mulder et al., 2001a).

Afin d’éviter la contradiction entre haute densité et limite de Bagnold, Mulder et Alexander (2001b) proposent une classification des écoulements basée sur les mécanismes de transport et de dépôt, les vitesses, et les concentrations (Figure I-8).

Figure I-8. Représentation schématique des différents types d’écoulements gravitaires et des dépôts associés (d’après Mulder et Alexander, 2001b).

I.2.4. L’évolution des écoulements

Au cours d’un écoulement gravitaire, les caractéristiques hydrodynamiques ne sont pas figées (Middleton et Hampton, 1973 ; Figure I-9). Le volume et la dynamique de l’écoulement se modifient tout au long de son parcours. Il peut ainsi passer d’un état laminaire à un état turbulent, ou vice versa, suite à la perte ou au gain de fluide et/ou de charge solide et aux modifications de la topographie. Le dépôt résultant ne caractérisera pas toujours le processus de transport dominant, mais plutôt l’état de l’écoulement avant la phase de dépôt.

Figure I-9. Modèle d’évolution d’un écoulement gravitaire dans le temps et/ou l’espace (d’après Middleton et Hampton, 1973).

Figure I-10. Evolution temporelle et spatiale des écoulements et dépôts associés : le modèle de Kneller (d’après Kneller, 1995).

Dans les années 90, Mutti (1992) propose une approche génétique impliquant un continuum des processus et faciès associés. L’organisation amont-aval des faciès enregistre l’évolution des écoulements gravitaires au cours de leur déplacement. Amélioré depuis (Mutti et al., 1999), ce modèle (facies tract concept) prend en compte l’ensemble des faciès susceptibles d’être déposés par les écoulements gravitaires, de la débrite aux turbidites de faible densité.

Les deux précédents modèles sont basés principalement sur l’évolution spatiale des écoulements. Le facteur temps n’étant que rarement pris en compte, Kneller (1995) est le premier à introduire la notion d’évolution temporelle des écoulements. Son modèle rend compte de la capacité érosive et dépositionnelle des écoulements, et de l’organisation verticale et horizontale des séquences de dépôts (Figure I-10). Il est basé sur des principes hydrodynamiques simples permettant d’expliquer la variabilité des séquences turbiditiques observées et d’appréhender le rôle de la topographie dans l’évolution de la dynamique des écoulements et donc des dépôts associés.

I.2.5. Les systèmes turbiditiques

Les processus gravitaires sont à l’origine de grands systèmes de dépôt, assemblage d’une grande diversité de structures et de corps sédimentaires (Stow et Mayall, 2000). Ces systèmes ont fait l’objet de plusieurs classifications basées sur l’étude de séries turbiditiques anciennes (Mutti et Ricci Lucchi, 1972), ou sur l’étude de systèmes turbiditiques actuels (Normark, 1970). Walker (1978) est le premier a proposer un modèle synthétique intégrant ces deux approches. Il reste cependant incomplet pour expliquer la diversité des systèmes turbiditiques observés dans l’ancien et l’actuel. Il faudra attendre le milieu des années 90 et la classification de Reading et Richards (1994) pour que des paramètres comme la taille et la géométrie du bassin, et la nature du système d’alimentation soient pris en compte.

On distingue généralement deux principaux modes d’organisation des systèmes sédimentaires générés par les écoulements gravitaires (in Babonneau, 2002) :

(1) les systèmes non chenalisés généralement générés par des instabilités de pente ponctuelles et isolées sous la forme de glissements en masses pouvant évoluer au cours du transport en coulées de débris puis en bouffées turbides. L’architecture de ces systèmes est peu évoluée et se limite à une (ou plusieurs) cicatrice (s) d’arrachement en amont, une zone de transit sédimentaire (by-pass) plus ou moins importante, et à une zone de dépôt de forme lobée dans la partie aval.

(2) les systèmes chenalisés beaucoup plus matures et évolués que les précédents. Ils se développent à l’aval d’une source d’apport en sédiments relativement abondante et régulière et se composent de trois éléments architecturaux élémentaires caractérisés par des modes de fonctionnement distincts :

 le canyon, vallée sous-marine incisant plus ou moins profondément le rebord du plateau continental. Il est dominé par l’érosion et constitue une voie de transit pour les particules, depuis le plateau continental vers le bassin profond (Shepard, 1963, 1981) ;

 le système chenal-levées, développé à la sortie du canyon, correspondant à une zone mixte ou interagissent à la fois des processus de transit et d’érosion et des processus de sédimentation. Généralement érosifs dans leur partie amont, les chenaux passent progressivement à une morphologie de type dépositionnelle en raison de la diminution de pente et la perte d’énergie des écoulements turbiditiques. La morphologie des chenaux est fortement influencée par la nature des apports : rectiligne et très peu

marqué topographiquement lorsque ces derniers sont grossiers et, au contraire, étroits, profonds, et sinueux lorsque le matériel transporté est fin (Clark et al., 1992; Galloway, 1998). Les levées, développées sur les flancs latéraux des chenaux, sont construites par débordement de la partie sommitale des écoulements turbiditiques (overbank ; Piper et Normark, 1983; Hiscott et al., 1997 ; Figure I-11A). Ce processus entraîne un appauvrissement relatif de la fraction fine le long du trajet de l’écoulement et explique le transport des sables dans les chenaux et le développement de lobes sableux en aval des systèmes chenal-levées. On distingue fréquemment, au sein de ces levées, des structures particulières comme des dunes géantes, des sillons d’érosion et des chenaux secondaires (Masson et al., 1995; McHugh et Ryan, 2000; Migeon et al., 2000). Contrairement aux canyons, le système chenal-levées est peu stable dans le temps. Une brèche peut s’ouvrir dans la levée suite à la rupture de cette dernière, éventuellement lors de l’intensification du flux turbiditique. Ce processus, appelé avulsion, entraîne une migration latérale brutale du chenal et des écoulements qui y transitent. Un nouveau système chenal-levées s’édifie dans les dépressions situées au pied de l’ancienne levée (Flood et Piper, 1997 ; Figure I-11B) ;

Figure I-11. A. Schéma conceptuel illustrant le processus de débordement permettant la construction des levées (d’après Migeon, 2000) ; B. Schéma explicatif du mécanisme d’avulsion d’un système chenal-levées (d’après Flood et Piper, 1997).

 les lobes, objets ou faciès sédimentaires de forme lobée associés à la mise en place des éventails profonds (Shanmugam et Moiola, 1991). Dans les systèmes fossiles, ces dépôts sont généralement définis comme des corps sableux non chenalisés tabulaires de plusieurs mètres d’épaisseur et dont la continuité latérale est importante (sheet sand ; Mutti et Normark, 1991). Dans les années 90, les acquisitions de données sonar sur le lobe distal du Mississippi ont révélé une réelle complexité, avec des systèmes de chenaux distributaires et une morphologie dendritique en surface (Twichell et al., 1991). Suivant leur mode de mise en place, trois types de lobes peuvent être associés

aux chenaux : (1) les lobes de crevasse (crevasse splay lobes), mis en place le long d’un système chenal-levées à la suite d’un effondrement local d’une levée (Lonsdale et Hollister, 1979) ; (2) les lobes d’avulsion, équivalents des unités de HARP’s1 définies sur l’Amazone (Flood et al., 1991). Ces lobes correspondent à l’évolution des lobes de crevasse par pérennisation de la nouvelle voie de transit et abandon du chenal initial en aval ; (3) les lobes distaux, mis en place au débouché d’un système chenalisé et constituant le terme le plus distal des systèmes turbiditiques. Encore assez mal connue il y a quelques années, leur architecture interne a été récemment décrite. Elle est constituée par l’accumulation, au coeur d’une dépression préexistante, de plusieurs sous-unités lobées de faciès sismique chaotique et de forme bombée (Gervais, 2002; Gervais et al., 2004). Les travaux de Bonnel (2005) ont mis en évidence l’importance de la chenalisation dans ce type d’objet sédimentaire.