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Lectures possibles : le totalitarisme social

LECTURES MARGINALES D’UNE ŒUVRE FONDATRICE

2- Lectures possibles : le totalitarisme social

Bien que les académies exigent que le travail critique se fasse sur le texte et veuillent évacuer les lectures sociologiques, la dimension sociale persiste et les rapports qu’entretient l’auteur avec la société détermineront l’apport qu’aurait l’œuvre à la civilisation humaine. Dans notre cas, Djaout est considéré par l’opinion nationale et ceux qui fabriquent cette opinion comme un auteur engagé. Perçu comme un auteur affilié à l’aile francophone, Djaout ne réclame aucune appartenance idéologique, politique ou culturelle. Nous ne nous disposons pas de ses textes (journalistiques) où il passe du récit au discours et s’implique de fait dans les questions d’actualité qui se posaient. Collaborateur dans la page culturelle de l’unique journal francophone, Djaout serait tenté par les revendications identitaires. Les médias (appareils idéologiques) ont fait un classement qui a mis Djaout dans la case des contestataires. Toutefois, cette organisation n’échappait pas à ce que voulait l’idéologie sociale. Ecrire pour le peuple est un acte insensé et qui n’a pas de sens puisque ce peuple n’est pas prêt à lire ce que les lettrés écrivent. Le poète qui croit pouvoir dire avec d’autres mots ce que le commun des mortels est capable de dire est coincé par ce que le groupe prétend de lui.

La contextualisation est la première concession faite par la critique littéraire aux lectures. Toutefois, l’aspect qui pourrait être évoqué détermine l’orientation de la lecture. Sur quel contexte fonderons-nous notre lecture ? L’idéologie officielle qui prend en charge le discours fait au sujet de l’Histoire semble être la cible de l’œuvre djaoutienne. Même si aucun travail sociologique n’a été fait, il nous semble permis de dire que les contours des idéologies d’alors sont lisibles sur certains textes. Le rapport établi par Pierre Bourdieu constitué autour de la tension dominants-dominés est adopté par le discours social. Si les gouvernants sont perçus comme des dominants et le peuple, lui, est considéré comme un dominé ; il n’en demeure pas moins que cette structuration garantit la survie de l’expression artistique. C’est-à-dire que l’auteur est soumis à une

logique, le créateur et l’extérieur. L’individualité, constamment menacée, et la socialité, constamment et essentiellement oppressante. Il s’agit, dans ce cas, de redéfinir la socialité. Un groupe équilibré où les rapports sont mus par une tension oscillant entre les individus recèle des sensibilités idéologiques fort diverses, mais l’équilibre n’est menacé que lorsqu’un article est enfreint. Aussi bien pour l’auteur que pour les autres classes sociales, des infractions sont commises. Et pourquoi l’auteur est-il redevable d’une conversion socialisante d’une parole essentiellement individuelle ?

Dans notre cas, l’œuvre observe tout le code social. Elle reproduit un voyage qui devrait se clore par le réenterrement des os recherchés. Le style et les figures de style sont mobilisés sur un modèle social qui aurait été banni par le chef de file des auteurs maghrébins. Par conséquent, le récit se calque sur un discours qui nourrit des similitudes avec ce qu’un courant prétend au sujet de la politique et de la gouvernance. L’œuvre en question est un argument d’un discours qui plonge ses racines dans le groupe social. L’œuvre est dans ce cas sous la tutelle de l’idéologie, l’auteur se positionne dans le groupe. C’est pourquoi, nous sommes tentés de dire que l’écrit djaoutien subit le totalitarisme social. Toutefois, nous nous gardons de toute négation des travaux réalisés au sujet de la création, de l’écriture, des approches et des restrictions méthodologiques. Le contexte dans lequel le texte djaoutien a vu le jour était marqué par l’interdiction de toute lecture de l’Histoire et si cette lecture venait d’être faite de lourdes accusations tomberaient. Le régime politique qui disait tirer sa légitimité de la révolution ne pouvait accepter aucune lecture critique de l’Histoire. Et l’idéologie officielle fit que l’Histoire se réduisît à l’identité arabo-musulmane. Coincé par un discours dissident à l’idéologie officielle, l’auteur s’est trouvé dans le giron d’une société qui recelait des sensibilités fort différentes. Et le discours sur l’identité nourri par les dissidents politiques était l’un des moteurs des guerres idéologique, culturelle et morale que le deux camps animaient. D’autre part, l’auteur,

individu social, selon l’un des paradigmes adoptés par la sociologie, ne croit pas être en devoir de subir les lectures que fait la société des faits. Néanmoins, dans notre cas, l’exception fait que Djaout soit le porte-parole d’un discours à la fois savant et populaire. Les stéréotypes font que Djaout donne une nouvelle dimension à l’écriture. Même si le roman ne porte pas de germes hautement subversifs ; le recours à l’expression artistique pour faire sa propre lecture, recevoir les auréoles de la dissidence politique enracinée dans le groupe social, hériter d’un combat où la mystification l’a emporté sur la réalité déterminent l’apport social de l’œuvre.

L’engagement djaoutien n’avait aucune conséquence sur les faits idéologiques puisque les œuvres de cet auteur ne constituaient pas et ne constituent pas une pièce du combat que prétendent mener les membres de sa famille idéologique. Fondée essentiellement sur l’Arabité et l’Islamité, l’idéologie étatique voulait se donner comme l’héritier des martyrs. Il en est résulté un dogmatisme autour de la question identitaire laquelle fut adoptée par les fabricants de l’opinion publique. Mohammed Arkoun écrivait à propos d’un poète : «Il y a circulation et interaction

continues entre les expériences vécues du groupe et les discours qui les transfigurent, les valorisent, les intègre dans la mémoire collective. Bien qu’articulés par un auteur identifiable comme personne qui transcende le groupe, ces discours exaltent le sujet collectif, renforcent le sentiment d’appartenance identitaire, intensifient la communion de tous dans la célébration… »1 La perception de l’auteur comme un sujet qui manie le verbe à merveilles et qui se constitue comme l’autorité qui détient un savoir dont l’expression se fait par le biais de la langue confirme un sociologisme déjà totalitaire.

La légitimation de l’expression artistique par le groupe social n’affecte en rien la marge infinie que prend l’auteur dans son acte à la fois historique et solitaire, sinistre et jouissif. Dans notre cas, Les chercheurs

1

ARKOUN Mohammed, Comment lire l’espace maghrébin ? Sur le site Internet de l’islamologue

d’os n’auraient pas existé si le composite social s’était réduit à une entité

normative et hermétique. Pourtant, le « je » qui parsème l’œuvre de Djaout se range arithmétiquement plutôt d’une société telle que perçue par le groupe que d’une composition narrative qui réclame une autonomie par rapport au groupe dont fait partie l’auteur. La mobilisation du récit dans la constitution d’un imaginaire social, et donc d’une idéologie n’a pas été ignoré par les mouvements doctrinaux fondés sur un sacré rigide. Le récit est, dans ce cas, une construction collective réussie par des groupes pourtant hostiles, à tout le moins dans l’ordre historique immédiat, à la création artistique telle que comprise par les écoles occidentales. Arkoun écrivait à propos de la fonction que jouait le récit dans la constructions des représentations mentales : « Les confréries diffusent les conduites et les

représentations sacrées et sacralisantes pour maintenir à l’aide de fragments narratifs (akbbâr, taqsit, timushuha) la crédibilité d’un système de croyances et de non croyances soumis à des recompositions, des adaptations, des interpolations habilement occultés par les techniques du récit. »1

Pour conclure ce petit sous-chapitre, il faudra vérifier les paradigmes érigés par les écoles de critique qui semblent prises dans l’étau de la sociologie. Peut-il y avoir de texte qui puisse échapper aux dynamiques sociale et historique ? Si oui, l’on n’est pas déjà sur les tablettes d’un ordre idéologique issu de l’Histoire dont se réclament toutes les écoles ? Aussi, l’est-on dans un manichéisme qui hante les académies et dont on veut brutalement se détacher. Un critique sociologiste écrivait : « Ainsi parler d’une lecture socio-critique c’est implicitement accepter que

c’en est une entre autres et refuser de voir d’en dernière instance les différentes méthodes de lectures relèvent de conflits de classes. […] Cette notion de lectures plurielles me paraît une nouvelle manière de déplacer la

lutte des classes sur le terrain d’une illusoire technicité, c’est-à-dire de l’éluder une fois de plus. »1