• Aucun résultat trouvé

Le transport de marchandises et de castor

Chapitre 2 La contrebande montréalaise au quotidien

2.2 Les pratiques et les axes de la contrebande

2.2.1 Le transport de marchandises et de castor

Transporter des marchandises illégales, voilà qui peut être difficile. Il est important pour les contrebandiers de bien choisir leur moyen de transport, qui permet de cacher ce qu’ils ont à transporter. Dans son journal, Catherine Dagneau fait état des différentes manières de cacher les marchandises et le castor pour les faire entrer et sortir de Montréal. À pied, en charrette ou en canot, tous les moyens de transports sont bons pour les contrebandiers. Cachés dans des paniers ou sous des produits agricoles, les produits transportés en fraude alimentent une économie parallèle, non seulement pour exporter du castor, mais également pour importer des porcelaines et tissus fins utilisés par les Montréalais et les Montréalaises.

Le canot étant le moyen de transport le plus utilisé dans la traite des fourrures, il est normal qu'il serve aussi à la contrebande. Dès la première page rédigée par Catherine Dagneau, des militaires : « Ont vu un canot appartenant au nommé Guillet ou il y avoit

[illisible] pieces de drap d’angleterre23 ». Ce moyen de transport est d’ailleurs mentionné plus d’une douzaine de fois dans le journal.

Il existe également des moyens de dissimuler les marchandises afin de les transporter, même le jour, sans éveiller les soupçons, bien que les autorités cherchent à limiter ces méthodes. Catherine Dagneau cite justement un moyen connu de transporter les marchandises de contrebande afin de tenter d’en réduire la pratique :

« M. Dupuis avoitetably que l’on visiterois les sauvages qui portoient des mannes parce que c’est dans les mannes que les sauvages apportent les vaiselles, les mouselines et les calenderies, les sauvages ne s’y étoient pas opposés et ils étoient accoutumés à cet ordre qui est d’ailleurs conforme a ceux de la Cour qui est de leur faire entendre que tout ce qu’ils portent et qui n’est point de leur usage est suspect de contrebande24 ».

Retenons deux éléments de ce témoignage. Premièrement, les mannes servent à transporter des marchandises qui sont susceptibles de contrebande. Ce sont des grands paniers, généralement en osier, qui servaient justement au transport d’éléments et de marchandises divers. Deuxièmement, on voit que ce sont les Amérindiens qui sont ciblés dans cet extrait. La déclaration de Dagneau à l'effet qu'ils acceptent qu'on inspecte leurs mannes est toutefois étonnante quand on connaît leur opposition générale à être soumis aux lois civiles françaises25.

Outre les paniers en osier, la veuve a également vu passer des peaux dans des grands sacs : « elle m’a apprit aussy que tout le castor qui passoit en fraude passoit la plus grande partie par la prairie que les habitants le transportaient dans des poches et

23Journal de Catherine Dagneau, op. cit., folio 287r. 24Journal de Catherine Dagneau, op. cit., folio 288r.

25Jan Grabowski, « Les Amérindiens domiciliés et la « contrebande » des fourrures en Nouvelle-

que les Sauvages lalloient prendre chez les habittans26 ». Dans ce cas-ci, on accuse de complicité les habitants de La Prairie de La Magdeleine, située près de la mission iroquoise du Sault Saint-Louis. On peut facilement imaginer que les habitants de La Prairie qui livraient du grain en sacs à Montréal, réutilisaient ces sacs au retour en les remplissant de peaux de castor. On sait d’ailleurs que La Prairie est « l’un des théâtres les plus importants27 » du commerce illicite des fourrures.

Il arrive également que certains contrebandiers utilisaient des véhicules pour faire entrer des marchandises de contrebande dans la ville. Ainsi, Catherine Dagneau rapporte dans l’un de ses rapports que des marchandises de contrebande ont été transportées dans une calèche : « Six sauvages venans de la nouvelle angleterre chargés de pieces de draps et autres marchandises […] on les a rapportés parti dans la calèche du S. Hervieux qui conduisoit le commis de monsieur de Senneville et partie sur le dos de deux sauvages28 ».

Par ailleurs, les contrebandiers et les Amérindiens participant à ce commerce font parfois le transport des marchandises de manière la plus naturelle qu’il soit, sans tenter de cacher quoi que ce soit à qui que ce soit. En effet, il arrive, à quelque reprise, que Catherine Dagneau n’évoque que des personnes qu’elle ou que l’un de ses informateurs voit passer, transportant des peaux ou des marchandises prohibées : « Jay vu passer un

26Journal de Catherine Dagneau, op. cit., folio 292v.

27 Louis Lavallée, La Prairie en Nouvelle-France, 1647-1760 : étude d’histoire sociale, McGill-

Queen’sUniversityPress, Montréal et Kingston, 1993, p. 230.

sauvage avec un fort gros paquet de castor sur les six heures du matin29 »; « Sortant du Sermon de la paroisse sur les quatre heures apresmidy je rencontré la femme de Tegouassin sauvagesse du sault St Louis chargée d’indiennes, je les ay vu et maniées il y en avoit 10 pieces30 ». Si l'Amérindien qui transporte un paquet de castor agit probablement en toute légalité, l'épouse de Tegouassin apporte en contrebande ces 10 pièces d'indiennes.

De nombreux autres exemples pourraient être utilisés dans le journal de Catherine Dagneau afin d’illustrer les manières de transporter les fourrures et diverses marchandises illégales. Mais nous avons vu qu’elles étaient notamment transportées dans des mannes, dans des sacs, dans des calèches ou simplement à bras par des individus se déplaçant à pied. Dans d’autres cas, les marchandises sont cachées par des couvertures, les acteurs de la traite ne font qu’emprunter des chemins très peu fréquentés, bref les moyens de transporter les marchandises illégales sont très diversifiés et il semble que les acteurs de la contrebande utilisent à la fois des moyens très ordinaires et fassent preuve d’imagination afin de faire passer leurs peaux et marchandises sans réprimandes de la part des autorités. Ils profitent notamment du statut particulier des Amérindiens, incluant les domiciliés du Sault Saint-Louis, pour en faire des intermédiaires importants.

29

Journal de Catherine Dagneau, op. cit., folio 291r.

Documents relatifs