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B) Les stratégies cognitives

II) Le transfert intermodal

L’exposé des différentes explications et des méthodes de rééducation des troubles des apprentissages montre à quel point la question de l’intégration sensorielle est centrale. Nous allons ici nous intéresser plus particulièrement à la modalité haptique et à la reconnaissance de formes à caractère spatial, car pour notre étude, nous avons choisi de faire passer des tâches de transfert intra et intermodal haptique-vision de formes géométriques simples et orientées.

Dans un premier temps, nous allons décrire la spécificité des modalités tactile et visuelle, les processus de perception visuelle et haptique d’un objet et les représentations spatiales imagées, ainsi que les caractéristiques du transfert entre le toucher et la vision. Dans un second temps, nous décrirons l’évolution du transfert intermodal toucher-vision au travers d’études chez le bébé et chez l’enfant d’âge pré-scolaire et scolaire.

2.1) Le transfert intermodal toucher-vision

L’intégration sensorielle est basée sur le processus neurologique permettant l’organisation des informations sensorielles reçues de son corps ou de l’environnement. Nos activités quotidiennes reposent toutes sur la participation simultanée et interactive des différents sens car la plupart des objets et événements nécessitent, pour être perçus, la mobilisation de plusieurs modalités sensorielles. Cette coordination entre les différentes informations sensorielles est nécessaire pour préserver l’unité des objets qui nous entourent. Une bonne intégration des informations est importante pour le développement des apprentissages chez l’enfant et permet d’améliorer la planification des actions.

Le transfert intermodal peut être défini comme la capacité de transférer une information prélevée dans une modalité pour être utilisée ensuite via une autre modalité.

Le transfert intermodal suppose des processus cognitifs complexes comme le traitement de l’information par une modalité, sa mémorisation et sa reconnaissance dans une autre modalité. De façon plus précise, Hatwell (1986) a détaillé 4 étapes : « 1) prise d’information, par les organes sensoriels, du stimulus-modèle ; 2) conservation en mémoire (à court terme) de cette information ; 3 ) prise d’information, par les organes sensoriels, des objets offerts au choix ; 4) opération cognitive de comparaison entre les objets perçus en phase 3) et la représentation mnésique du modèle, et décision perceptive finale (jugement d’identité ou de non-identité). » Ce transfert d’information d’une modalité à une autre est rendu possible notamment par l’existence des neurones bi- ou multimodaux qui répondent par exemple à des stimuli tactiles et/ou visuels, ainsi que tactiles/visuels/auditifs.

2.1.1) Caractéristique du toucher par rapport à la vision et l’audition

Le toucher partage des caractéristiques communes avec la vision et l’audition ce qui le place de façon intermédiaire entre ces deux modalités. Le toucher et la vision apportent tous deux une connaissance spatiale de l’environnement et de certaines propriétés des objets. Le toucher se distingue néanmoins de la vision et de l’audition car il est une modalité de contact dont les récepteurs sont répartis sur tout le corps. Cette caractéristique de proximo-réception a des conséquences. En effet, le champ perceptif tactile est limité à la zone de contact avec les objets. La perception tactile nécessite pour percevoir et appréhender les objets dans leur intégralité, des mouvements volontaires, d’une amplitude variant en fonction de la taille de ce qu’il faut percevoir, pour compenser l’exiguïté du champ perceptif tactile. La taille de ce champ varie alors en fonction des segments corporels mobilisés (un doigt, la main entière, les deux mains associées à des mouvements des bras, etc.). Des perceptions kinesthésiques issues de ces mouvements sont

nécessairement liées aux perceptions purement cutanées pour former un ensemble indissociable appelé perceptions tactilo-kinesthésiques ou « haptiques » (du terme anglais haptic, lui-même emprunté au grec et introduit en psychologie par Revesz, 1950; cf. Gibson, 1962). Il en résulte une appréhension morcelée, plus ou moins cohérente, parfois partielle et toujours très séquentielle, qui charge lourdement la mémoire de travail et qui nécessite, en fin d’exploration, un travail mental d’intégration et de synthèse pour aboutir à une représentation unifiée de l’objet (Revesz, 1950). Mais le percept tactile final dépend de la qualité des mouvements d’exploration effectués et de la qualité de la synthèse mentale faite à l’issue de l’exploration. En raison du rôle central que jouent ces mouvements d’exploration pour la perception tactile, ce sont les régions les plus mobiles et les mieux dotées en récepteurs sensoriels qui sont les plus performantes. Il s’agit de la région buccale, très utilisée par les nourrissons à cause de leur immaturité motrice, et surtout des mains (ou plus exactement des systèmes bras-main). Chez l’adulte, ces dernières constituent au plan cognitif le système perceptif haptique.

Au cours de cet exposé nous utiliserons indifféremment les termes de « toucher ou haptique». Le terme toucher étant le plus souvent utilisé mais il faut l’entendre dans le sens toucher actif ou haptique qui vient d’être décrit.

Le caractère successif du toucher s’oppose à la simultanéité de la vision. Toutefois, le vaste champ perceptif visuel permet une appréhension globale et immédiate de beaucoup d’aspects du stimulus mais des mouvements d’exploration y sont également nécessaires pour tirer les invariants spécifiant les propriétés spatiales de l’environnement. Cependant, l’amplitude de ces mouvements oculaires est sans commune mesure avec celle des mouvements manuels, surtout lorsque ceux-ci sont associés à ceux des bras. Il est donc justifié de considérer le toucher comme beaucoup plus séquentiel que la vision (Hatwell,

2000). Le toucher informe alors le sujet sur les propriétés spatiales de l’environnement et, de ce point de vue, il est largement redondant avec la vision puisqu’il permet d’accéder, sous certaines conditions, aux propriétés physiques et spatiales de texture, forme, taille, localisation (direction et distance), orientation, etc.

Le fonctionnement du toucher se rapproche de celui de l’audition sur la dimension séquentielle. En effet, l’audition, domaine du successif, est la modalité la plus adaptée à la perception des stimuli temporels (durées, rythmes, parole). Toutefois, dans l’audition, l’ordre d’apparition des stimulus ne peut être modifié car il est porteur de sens (dans la parole, la musique, etc.), alors que le toucher peut revenir en arrière, explorer dans n’importe quelle direction, repasser plusieurs fois sur les mêmes parties du stimulus, de la même façon que l’œil explore une scène ou une image de grandes dimensions.

Eléments de neurophysiologie

Les progrès des techniques d’imagerie cérébrale et ceux de la neuropsychologie permettent aujourd’hui une approche plus fine de la manière dont fonctionne la modalité haptique et dont elle est intégrée aux autres sources d’informations perceptives (Hatwell, 1986; Heller & Schiff, 1991; Millar, 1994; Streri, 1991). Les études de neuro-imagerie suggèrent la présence d’un réseau lié à la multimodalité vision-haptique d’objet dans le cortex occipito-temporal (Amedi, Malach, Hendler, Peled et Zohary, 2001), ainsi que l’activation d’aires multimodales (cortex antérieur cingulaire, lobule pariétal inférieur, le cortex préfrontal dorsolatéral gauche) pendant l’intégration vision-tactile (Banati, Goerres, Tjoa, Aggleter et Grasby, 2000). Ces aires corticales multimodales postérieures et antérieures sont déjà développées à 6 ans (Gogtay et al, 2004 ; Sowell, Thompson et Toga, 2004 ; Casey, Tottenham, Conor et Durston, 2005). Beauchamp (2005) décrit deux

régions, du cortex occipito-temporal latérale, spécialisées dans l’intégration haptique- vision de formes.

En ce qui concerne l’encodage et le rappel des informations tactiles et visuelles, une étude de Shaw, Kentridge et Aggleton (1990) montre l’importance de la région limbique du lobe temporal pour l’association intermodal (toucher-vision) avec des patients Korsakoff, alcoolique et post encéphalique. Leurs résultats montrent que les transferts intra modaux sont préservés mais pas intermodaux comparés à des sujets contrôles. De même, Lepage, McIntosh et Tulving (2001) ont tester l’encodage et le rappel de formes géométriques en 3D non verbalisables chez des adultes sains, droitiers. Les transferts V-V, T-T, T-V et V-T étaient effectués. Un enregistrement en TEP (tomographie par émission de positron) lors de la phase d’encodage intermodal montre les régions communes à l’encodage d’une information visuelle et haptique (activation du lobe temporal médian droit, du cortex bilatéral préfrontal supérieur et du gyrus bilatéral postérieur inférieur) ; et la reconnaissance intermodal active la région orbito-frontale droite et le gyrus cingulaire antérieur.

Il existe aussi des neurones «multisensoriels» dans le colliculus supérieur qui répondent à des stimuli visuels, auditifs, et tactiles. D’autre part, certains neurones, mis en évidence dans l’aire 6 et le colliculus supérieur, peuvent à la fois être sensoriels ou moteurs (Stein, Meredith, & Wallace, 1994). Les cellules superficielles du colliculus supérieur, qui ont de larges champs récepteurs, s’habituent vite et répondent de préférence au mouvement ; les couches profondes répondent à la fois à des afférences visuelles, auditives et proprioceptives, il y a intégration des cartes sensorielles, motrices et initiation motrice des saccades oculaires vers une stimulation quelle que soit sa modalité. Les propriétés des neurones du colliculus supérieur font que cette aire est considérée comme un centre

important d’intégration multisensorielle (Stein et al, 1994). La comparaison des réponses de ces neurones sous stimulation bimodale ou unimodale montre que l’effet de la stimulation bimodale ne semble pas additif mais multiplicatif: une réponse faible à un stimulus visuel peut être amplifiée jusqu’à 12 fois si elle est déclenchée par un stimulus bimodal visuo-auditif.

Le cortex préfrontal a aussi des connexions réciproques avec toutes les aires impliquées dans le traitement des informations sensorielles. Par ses efférences vers le cortex prémoteur et le striatum, il participe au contrôle moteur. De plus, il est en relation avec des structures impliquées dans la mémorisation (complexe amygdalo-hippocampique, thalamus) et les structures limbiques (ou motivationnelles). Il est en relation avec les aires pariétales (aires 5 et 7) et temporales (aires 21 et 22). Il joue un rôle important dans les processus d’attention au stimulus et dans la mémorisation à court terme de séquences d’événements sensoriels. Il s’agit d’une structure importante dans l’organisation temporelle du comportement appris. Les subdivisions observées dans les aires pariétales postérieures se retrouvent au niveau de la partie de l’aire associative préfrontale qui est spécialisée dans la mémorisation à court terme des cibles spatiales.

En ce qui concerne, la perception de l’espace dans la modalité haptique et visuelle, des études (Graziano & Gross, 1993 ; Wallace, Meredith & Stein, 1992) ont montré que l’aire 7 pariétale postérieure semble liée à la représentation de l’espace. Les neurones de l’aire 7b sont moteurs et somesthésiques. Parmi ceux-ci, certains sont des neurones bimodaux visuo-tactiles qui répondent par exemple à la même localisation spatiale du stimulus. Le sulcus intra pariétal serait impliqué dans le traitement des informations spatiales polymodales comme il a été démontré chez le singe (Anderson, Snyder, Braddly et Xing, 1997) et dans les études de neuro-imagerie chez l’homme (Grefkes et Fink, 2005 ; Kitada et al., 2006). Enfin, Merabet et al (2004) suggèrent que le cortex occipital est

fonctionnellement impliqué dans les tâches tactiles demandant une analyse spatiale fine chez des voyants.

2.1.2) Spécificité des perceptions visuelle et haptique, et représentations

spatiales imagées